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Angel Velasco : No limit pour le touron

13 Mai Angel Velasco : No limit pour le touron

Quand savoir-faire artisanal et enthousiasme d’entreprendre se rencontrent, le touron d’Agramunt se fait aimer de la Chine aux Etats-Unis, des Emirats à la Suède. Entretien avec le patron des tourons Vicens, Angel Velasco.

 
touron4Tourons Vicens depuis 1775 : une réussite mondiale pour la vénérable maison d’Agramunt. Cap Catalogne a rencontré pour vous l’artisan de ce succès inattendu, Angel Velasco.

Le bâtiment, au bord de la nationale, est flambant neuf. La boutique, vitrée en arrondi aligne des mètres de gondoles couvertes de tourons et de chocolat de toutes les couleurs, aux packagings décidément élégants. Un employé vêtu comme dans les années 60, d’une blouse blanche, nous accueille et nous fait monter dans les étages où nous attend le patron.

CC : Bonjour M. Velasco. Vous êtes donc le patron des tourons Vicens, une véritable institution à Agramunt et dans toute la Catalogne. Comment en êtes-vous arrivé là ?

D’abord, l’histoire des tourons d’Agramunt est très ancienne, au moins 700 ans. En fait, lorsque les troupes des comtes d’Urgell sont parties en conquête avec Jaume 1er (XIIIe siècle), elles ont été en contact avec des Valenciens islamisés, très influencés par la gastronomie orientale et c’est ainsi que serait née la recette, une rencontre orient/occident avant la lettre. Le génie d’Agramunt ce sont ces rondelles de touron superposées qui sont aussi des parts individuelles. C’est extrêmement nourrissant et cela se conserve plus longtemps. Il n’en fallait pas plus pour que cela devienne une ration de survie pour les soldats, utilisée dans toutes les guerres ultérieures. Et puis, évidemment, et c’est quand même la première chose à dire, c’est très bon le touron !

CC : A quand remonte la fondation de cette fabrique ?

1775. Il faut vous dire qu’ici avant la guerre civile, il y avait encore 40 petites fabriques artisanales disséminées dans tout le village, principalement des entreprises familiales. Elles ont payé un lourd tribut mais aujourd’hui le touron d’Agramunt est une appellation contrôlée et reconnue au niveau européen, cela vous donne une idée du chemin parcouru.

touron3CC : En quelle année rachetez-vous l’entreprise Vicens ?

En 2000. La maison était alors en perdition. Je suis Barcelonais et pâtissier de formation, je croyais au produit et à sa spécificité, alors j’ai mis toute mon énergie au redressement de l’entreprise et au rayonnement d’Agramunt. Dès que je suis arrivé, j’ai investi dans la diversification et l’innovation, mais en œuvrant avant tout à la conservation du savoir-faire, dans le respect des gens d’ici. Ici on produit tous les tourons existants (nous avons plus de 120 références) et surtout ceux qui n’existent pas encore car nous aimons les aventures gastronomiques et les rencontres improbables, comme le touron au sel, les glaces au touron, les condiments à base de touron… Nous allons nous associer prochainement à un grand chef catalan, ce sera un événement médiatique.

CC : Impossible d’avoir une idée de son nom ?

Non, c’est top secret. Ce que je peux vous dire c’est que c’est une star de la cuisine catalane et qu’il va mettre le touron à toutes les sauces salées ou sucrées. Je crois que l’avenir est là, dans l’audace et l’inattendu.

CC : J’imagine que vous êtes présents sur la scène internationale?

Nous participons à de nombreux salons gastronomiques et foires-expositions dans le monde entier, même en Russie ou en Chine. Et puis nous avons nos propres enseignes à Madrid, à Barcelone, à Sitges, à la Jonquera et nous allons bientôt ouvrir une boutique dans le centre de Paris. La France est d’ailleurs notre premier marché à l’export. Mais nous vendons également en Belgique, en Allemagne, en Italie, en Suisse aux Etats-Unis et depuis peu dans les pays arabes, notamment les Emirats du golfe. Le produit plaît beaucoup et la clientèle se fidélise assez rapidement.

CC : Les matières premières utilisées obéissent à un cycle court ?

Oui, les amandes et le miel viennent d’ici, c’est-à-dire de l’Urgell et des comarques voisines, mais aussi du nord du pays valencien, vers Castelló de la Plana, et de l’île de Majorque. Nos noisettes sont des « negretes » de Reus, une variété idéale pour le touron car elle fond dans la bouche. Avec tout ça et bien sûr des millions d’œufs, nous produisons 800 000 kilos de tourons par an et nous le faisons de façon totalement artisanale, sans perdre la tradition et surtout la fierté du travail bien fait. Vicens compte 60 employés dont deux tiennent la boutique et un le musée, ça reste à l’échelle humaine, et pourtant, c’est une grosse unité en termes de production.


touron2CC : Et vous faites également du chocolat ?

Oui, le chocolat à la pierre, celui qui sert exclusivement pour être râpé et fondu, une autre grande spécialité d’Agramunt. En fait c’est du cacao grossièrement moulu sur la pierre auquel on ajoute du sucre et de la vanille. Un aliment assez rustique mais très traditionnel. Je viens de racheter, il y a à peine un mois, une entreprise locale et familiale, Jolonch. D’ailleurs nous étudions déjà le packaging, de nos plaquettes, regardez.

Il nous montre des plaquettes épaisses, enveloppées de Kraft avec une écriture bâton comme chez nous dans les années 60. Effet nostalgie garanti.

CC : Ça donne envie… Donc, un pied dans la tradition et un pied dans l’innovation ?

Justement, avec ce chocolat nous fabriquons de la glace de truffe. C’est devenu un must… Pour revenir au touron, tenez, goûtez ça !

Il me tend ce qui ressemble à de l’Alicante ; vous savez, le fameux touron dur et blanc qu’on mange avec une mandarine autour de Noël… Surprise ! La texture est à la fois craquante et fondante et le sucre ne colle pas aux dents comme l’original. Le goût est exactement identique, c’est comme une mousse solidifiée d’Alicante, légère et sublime.

CC : C’est délicieux ! J’ai vu que vous aviez ouvert un musée à côté de la boutique ?

Oui, avec les collectivités territoriales nous avons trouvé primordial de garder intact un pan de mémoire collective. Allons-y. Il me paraît important que les gens, surtout les jeunes, puissent savoir comment on faisait les choses, il y a encore cinquante ans. D’ailleurs nous recevons énormément de scolaires qui viennent de toute la comarca et bien au-delà !

Nous entrons dans le petit musée, charmant et désuet : des moules de granit, des pressoirs de bois sombre, des fouets mécaniques, des outils burinés par le temps attendent l’ouvrier. Au mur, des panneaux didactiques démontrent les valeurs nutritives et diététiques du touron.

CC : Ça, c’est fort ! Je n’aurais jamais pensé que le touron puisse être diététique ! C’est un sacré argument de vente ! De quoi déculpabiliser des générations de gourmands !

Fruits secs, miel, œufs, c’est aussi le régime crétois. Et puis le touron peut être un dessert en soi, un en-cas ou l’accompagnement d’un simple café. Nous essayons de nous adapter à ces nouvelles consommations qui n’obéissent qu’à l’impulsion.

CC : Comment ?

Nous avons une politique de communication très offensive et un taux de pénétration très fort dans la grande distribution, dont nous sommes devenus « la » référence en termes de touron. Cette année nous avons en outre publié un livre sur l’histoire de la maison Vicens et de la fabrication du touron et du chocolat : c’est une plus-value en termes d’image vis-à-vis du grand public. Nous étudions aussi des packagings plus petits, mieux adaptés à une consommation solitaire ou espacée, et en tablant principalement sur la transparence. Les gens ont besoin de savoir ce qu’ils mangent, je crois que c’est très important. Cela suscite un phénomène d’appétence et d’adhésion qui dope l’achat.

CC : Donc, Vicens va continuer de se développer ?

Oui, la réponse à la crise, c’est l’augmentation des exportations et l’élargissement de la gamme de produits. Il faut des idées, de la volonté et la fierté de transmettre un flambeau. Je crois que nous avons tout ça.

CC : Oui, je crois que vous l’avez au centuple ! Merci.

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