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Anna Diaz & Juan Antonio Serrano : Regards croisés sur l’avenir

01 Déc Anna Diaz & Juan Antonio Serrano : Regards croisés sur l’avenir

Anna Diaz est conseillère au tourisme et à la consommation pour le Conseil Général du Val d’Aran. Elle défend bec et ongles les spécificités de cette haute vallée et ses atouts de destination touristique de pleine nature, en toutes saisons. Hôtelier lui-même, Juan Antonio Serrano est président du Syndicat Hôtelier du Val d’Aran et de la Fédération des Hôteliers de Lleida. Il consacre ses efforts à développer sur son territoire un tourisme durable et qualitatif, propre à fidéliser une clientèle européenne et à faire mieux connaître le Val d’Aran aux touristes venus d’autres régions de l’état espagnol.

 
itw2CC : Bonjour! Selon vous, Anna Diaz, quels sont les défis que doit relever le Val d’Aran en matière de tourisme ?

Je dirais qu’il y a trois axes : travailler en profondeur nos clients traditionnels, notamment les Catalans et les Français de Midi-Pyrénées et d’Aquitaine, développer de nouveaux marchés avec l’Europe du nord, et bien sûr, travailler sur une pluri-saisonnalité assumée.

CC : Vous partagez cette opinion, Juan Antonio Navarro ?

Je dirais que nous devons continuer à faire pression sur les institutions pour qu’elles consacrent au tourisme de montagne les mêmes efforts qu’elles ont concentrés depuis des années au tourisme de bord de mer. La disproportion est énorme. Pendant des générations on a parié sur l’héliotropisme au mépris des autres formes de tourisme, pourtant certainement tout aussi durables, pour ne pas dire plus, car notre environnement, lui, est encore intact. Il a fallu attendre le succès de nos stations de ski pour qu’enfin, nous soyons pris en considération ! Et puis, le marché espagnol reste en grande partie à conquérir.

 CC : Anna, justement, d’où viennent les clients du Val d’Aran ?

Ils viennent évidemment de toute la Catalogne, avec un grand vivier à Barcelone, mais aussi beaucoup de Midi-Pyrénées et d’Aquitaine car c’est depuis le Comminges que nous restons le plus accessibles. Nos stations de ski sont très prisées des Français tout proches. Ils viennent chez nous chercher la beauté de la nature et la possibilité de pratiquer d’autres sports que le ski. Ils sont à la fois chez eux et ailleurs, ça leur permet d’allier confort et dépaysement, équipements ultramodernes et monde rural préservé.

 CC : Vous voulez ajouter quelque chose, Juan Antonio ?

Oui, ne pas oublier que pour les à-côtés, nous sommes au top : chiens de traîneau, randonnées en raquettes, patinage, motoneige…Nous sommes des pionniers en la matière de ce côté-ci de la frontière et que nous avons les stations les plus importantes des Pyrénées… Et puis, nous sommes vraiment au cœur du massif !

itw3CC : Anna, je crois savoir que le tourisme d’été se développe…

Oui, bien sûr. Nous sommes sortis de la pure saisonnalité liée aux sports d’hiver : nous avons des paysages magnifiques, un patrimoine roman qui n’a rien à envier à la Vall de Boí, et une identité unique qui nous rend exotiques. Côté nature, nous sommes limitrophes du magnifique parc d’Aigüestortes avec ses lacs et ses pics. Le Val d’Aran c’est un peu un condensé de Pyrénées, mais sans le côté nid d’aigle inaccessible de l’Andorre et avec une vraie authenticité. Il y a un changement de public aussi. Nous voyons de plus en plus, aux côtés des familles traditionnelles, des groupes de copains, mais d’une part nous mettons beaucoup de temps à nous désenclaver et d’autre part, nous sommes encore, malgré tous nos efforts, sur deux saisons très tranchées avec de réelles difficultés à combler les intersaisons.

CC : Juan Antonio, vous partagez cette opinion ?

J’ajouterais qu’on est quand même loin de tout…

 CC : Vous vous sentez un peu abandonnés ?

Oui, on peut le dire. Malgré tous les efforts de communication liés à la prise en compte de notre identité particulière, malgré les déclarations symboliques, nous sommes un peu laissés pour compte, en bout de territoire à l’ouest pour les uns, en bout de territoire au nord pour les autres, et puis malgré tout, tellement singuliers au sein de l’état espagnol… Cela nous a longtemps protégés mais nous devons nous donner les moyens de faire de notre singularité un atout et de nous faire connaître. Nous tablons énormément sur l’internet et les réseaux sociaux.

CC : Anna ?

Le Conseil général du Val d’Aran existe justement pour défendre notre spécificité et notre statut. C’est ce à quoi nous nous employons depuis mes services : être en complémentarité avec l’offre touristique au sens le plus large de la région de Lleida tout en imposant notre différence et nos atouts. Je crois que tout indique qu’il s’agit d’une démarche payante

CC : Juan Antonio, vous pensez que les gens n’ont pas conscience de votre particularité ?

La plupart des Catalans ont pleinement conscience de notre existence, de notre statut particulier au sein de la Catalogne et de la présence de notre langue, l’occitan. Mais la Catalogne a toujours été ethnocentrée et en termes de population, nous ne pesons pas grand-chose, alors…Pour ce qui est du reste de l’Etat espagnol, rien n’est moins sûr, ils sont habitués à nous englober dans la Catalogne. Les voies de communication qui mènent à nous sont tellement mauvaises depuis le sud, même si les paysages traversés sont sublimes… En fait, c’est plus facile côté français, ce qui explique d’ailleurs notre survie à travers les siècles en tant qu’enclave occitane.

CC : Anna, vous pensez que les gens du Comminges et au-delà, les Béarnais ou les Toulousains sont au fait d’une identité partagée ?

Clairement, oui. Cette conscience occitane existe et la barrière de la langue, avec son recul marqué en France, n’y change rien. Vous savez en Val d’Aran nous sommes tous quadrilingues : le castillan et le catalan parce que ce sont les langues officielles de nos cadres administratifs, l’occitan parce que c’est la langue de nos pères et le français par proximité et par capillarité. Alors l’essentiel est ailleurs, dans le partage du patrimoine traditionnel par exemple, et le courant passe bien.

itw4CC : Juan Antonio, le trilinguisme est partout ?

De ce côté-là, il faut le dire, la Generalitat a joué le jeu et la langue occitane est protégée dans son usage quotidien. Nous sommes d’ailleurs le seul territoire occitan à jouir d’un statut particulier qui nous reconnaisse pleinement. Ce n’est le cas ni en France ni en Italie, par exemple. Alors oui, tous les panneaux routiers sont en occitan, catalan et castillan comme l’ensemble des documents touristiques d’ailleurs. Même si les gens ne le comprennent pas, le fait de le traiter à égalité impose sa légitimité.

CC : D’ailleurs Juan Antonio, vous êtes à la fois président du syndicat des hôteliers du val d’Aran et de la province de Lleida…

Oui, il faut quand même savoir que notre petit pays représente 20% des ressources touristiques de la province de Lleida, ce n’est pas négligeable. Le syndicat, c’est un regroupement d’associations qui représentent la totalité du secteur : campings, bars, restaurants, discothèques, hôtels, gîtes ruraux, refuges de montagne… L’un de nos points forts, c’est la diversité de nos structures d’accueil qui s’adaptent aux saisons et au public particulier qu’elles entraînent. Impossible de ne pas trouver chaussure – montagnarde – à son pied. Donc, la profession m’a choisi pour la représenter et mes pairs de la province de Lleida en ont fait de même. C’est une grande responsabilité et un défi formidable, d’autant que je suis moi même hôtelier..

CC : Anna, comment voyez-vous l’avenir de ces hautes vallées ?

Je crois que l’avenir sera international parce que des petits territoires vrais comme le nôtre se feront de plus en plus rares, et que le patrimoine, pris au sens le plus large du terme, du paysage à la cuisine, des produits de terroir à la neige, de la randonnée aux sports aquatiques, nous permettra de briser les saisonnalités figées d’aujourd’hui. Le Val d’Aran n’a pas survécu aussi longtemps pour baisser les bras, en tout cas au Conseil Général, nous maintenons le cap !

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