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Des musées pour muser en beauté

01 Août Des musées pour muser en beauté

Des musées comme autant de fenêtres ouvertes sur la mémoire riche, croisée, foisonnante de la Catalogne, installés au cœœur d’un patrimoine bâti magnifique, à découvrir sans modération, d’une ville à l’autre.

Si la Catalogne est devenue la toute première destination de Méditerranée, elle ne le doit pas exclusivement à la sublime beauté de ses criques sauvages, ni aux rondeurs alanguies de ses plages de sable. Cet héritage, elle le partage avec d’autres terres du Mare Nostrum. Non, ce qui fait de la Catalogne une destination exceptionnelle, c’est l’adossement de cette beauté naturelle des côtes à un patrimoine naturel et bâti exceptionnel dû à l’histoire dense et mouvementée de cette terre de passage. Ce que les musées catalans conservent, au sud comme au nord, c’est cette mémoire des hommes, de leurs activités, de leur art, qu’ils n’aient fait que passer, météores inspirés, ou qu’ils aient au contraire façonné cette terre à leur main. D’un musée à l’autre, la Catalogne se donne à lire comme le produit merveilleux de rencontres successives. Une leçon de tolérance et de différenciation. Il faut dire que tout commence très tôt avec l’homme de Tautavel (- 450 000 ans), le plus ancien Européen connu, né à l’extrême nord du territoire, en lisière d’Occitanie. Ne ratez pas le Musée de Tautavel : 1 500 m² de salles passionnantes à visiter avec un audioguide et des reconstitutions saisissantes de la vie des hommes des cavernes captés dans leur quotidien de chasseurs et de cueilleurs avec la faune et la flore de l’époque. Didactique, ludique, la muséographie est un modèle du genre qui passionnera grands et petits. Le village est charmant sous sa falaise. Si vous avez besoin de fraîcheur, poussez jusqu’aux Gorges du Gouleyrous et leurs eaux turquoise. Ici, vous avez rendez-vous avec tous les matins du monde.

Un siècle de transgression

Du côté de Céret, c’est plutôt l’aube du siècle dernier avec le Musée d’Art Moderne : dans ce petit village du Vallespir est né le Cubisme autour de Manolo Hugué et de Pablo Picasso. Le musée regorge d’œuvres de maîtres comme Krémègne, Pignon, Soutine, Dufy, Capdeville, avec une incursion bienvenue vers les arts créatifs, notamment la céramique. La façade du musée arbore d’ailleurs une fresque en céramique signée Antoni Tapiès. L’expo d’été est consacrée au « peintre dans l’arène », une vision transcendée de la tauromachie, de Goya à Picasso. Si vous avez le temps, notez sur vos tablettes de vous rendre à Collioure pour y comprendre la naissance du Fauvisme, en 1905, lorsque Derain et Matisse optèrent pour la couleur pure : le petit musée vous enchantera. Presque en face, Music vous invite à un voyage autour du monde, guidé par le son doux du hautbois. Ici vous attend une succession de tableaux qui présentent les instruments dans un environnement naturel d’objets précieux, de photographies, de matières. D’une salle à l’autre se décline le génie sans fin des hommes en fonction de la géographie, du climat, des espèces d’arbres et des besoins cultuels des instruments inventés. Ce tour du monde a bien sûr un fondement et un prétexte catalans : les instruments de la cobla. Au passage, n’oubliez pas de vous promener sous les frondaisons des platanes centenaires et de vous rafraîchir aux fontaines de la capitale du Vallespir, accueillante et belle.

musee3Les chemins de l’exil

Si accueillante en effet qu’y résonnent encore les échos assourdis de la Retirada, célébrée et expliquée à La Jonquera, au magnifique Musée de l’Exil, un musée centré sur l’expérience humaine de la guerre et du déchirement, avec des photographies d’anonymes, des lettres bouleversantes, des affiches… Un musée à la fois hiératique et infiniment charnel dont on ne sort pas intact et qui contribue largement à montrer la différenciation identitaire de la Catalogne et l’existence, avant le conflit, de structures qui lui étaient propres. A la sortie, retrouvez le vieux village de La Jonquera, avant les hypermarchés et les bordels pour touristes. Vous serez surpris. Juste le temps de traverser quelques vignes et oliveraies, et voilà déjà Figueres avec l’incroyable théâtre musée dessiné par Dalí lui-même. Après un coup d’œil à la façade surplombée d’énormes œufs, vous voilà dans un univers singulier et presque indescriptible, qui est une porte ouverte sur l’imaginaire du maître de Cadaquès. Sa collection privée d’abord, dans laquelle on trouve des Duchamp et un Gréco, des croquis qui soulignent l’incroyable maîtrise technique du peintre, la salle Mae West dans laquelle les meubles dessinent le visage de l’artiste, des sculptures, des bijoux et enfin la crypte où repose le maître. Cette sorte de cadavre exquis improbable et protéiforme finit par esquisser le portrait mental d’un génie du XXe siècle. Si vous voulez mieux le connaître encore, poussez jusqu’à sa maison de Port-LLigat, près de Cadaquès, et jusqu’au château de Pubol, construit pour sa muse et épouse, Gala.

Roses, un passé imprenable

Lorsque vous irez à Cadaquès sur les traces du Divin Dalí, faites un crochet par Roses et sa citadelle. 2 780 ans d’histoire vous y attendent. Cette énorme forteresse de 131 500 m² fut construite en 1543 pour protéger la ville, englobant, de fait, tout le patrimoine existant. Lorsque le centre de gravité s’est déplacé, elle s’est donc trouvée en position de véritable conservatoire de l’histoire locale, décliné en cinq quartiers d’occupation différents : le quartier hellénistique (les Rhodiens sont arrivés en 776 avant Jésus Christ), la cité romaine, le monastère roman, la cité médiévale et enfin, bien sûr, l’enceinte renaissante elle-même. En six étapes, vous découvrirez les grandes et petites anecdotes de cette épopée, des origines de la colonie grecque, à la Rome Impériale et au bas-Empire romain. Ici sera installé le futur Musée d’Archéologie sous-marine de Catalogne. N’oubliez pas de contempler la baie, classée comme l’une des plus belles du monde, aux côtés de la baie de Rio ou de la baie d’Hanoi. On comprend pourquoi les Rhodiens ont jeté l’ancre ici… Toutefois, la capitale de l’Empordà n’a pas attendu son enfant terrible pour se doter d’un musée. Juste au bout des rambles vous attend le Museu de l’Empordà avec ses collections archéologiques fouillées à Empuries, ses céramiques attiques et ibériques, ses sculptures médiévales et romanes, ses collections de peintres du cru restituées par le musée du Prado. Aux côtés d’artistes locaux comme Dalí, Santos Torroella et Blanqui, vous pourrez admirer des Nonell, Mirn, Cases, Tàpies ou Sunyer, tous liés par le triptyque magique terre-mer-lumière qui, de toute éternité a nourri les peintres catalans. En sortant, animation garantie sur les rambles, immuables et populaires.

musee4Gerunda, la trace gardée

Beaucoup d’encre a coulé sur Girona la Florentine, avec ses façades colorées et leurs encorbellements sur l’Onyar. On connaît beaucoup moins la Girona d’avant : Gerunda. Le musée d’archéologie est pourtant niché au cœur du patrimoine médiéval, dans le magnifique monastère bénédictin de Sant Pere de Galligants, avec son cloître octogonal sculpté. On y trouve des pièces fouillées en 1846 à Empúries (classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO), des pierres gravées retrouvées dans Girona, des éléments d’épigraphie médiévale. Si tant de matières sérieuses vous effraient, soyez tranquilles, ici tout est fait pour favoriser l’interactivité et faire revivre les gens qui utilisaient ces objets quelques siècles avant nous. Les enfants adoreront. Plus près de nous, à ne rater sous aucun prétexte, le ravissant musée de la cathédrale et sa pièce unique, la tapisserie de la création. Il y a mille ans, des hommes rêvaient le monde et le dessinaient avec ses animaux, ses paysages lointains, ses peuples étrangers. Une vraie splendeur. Quelques mètres d’une rue pentue, et vous voilà au Musée des Juifs de Gérone, un petit musée qui fourmille d’explications et de pistes. L’occasion de voir ce que la Catalogne doit de cartographes, philosophes, médecins, astronomes, théologiens ou grands commis d’état à cette communauté chassée par Isabel la Catholique en 1492.

musee2Le territoire avant tout

Il vous reste à visiter le Musée d’art de Girona, installé dans le somptueux palais épiscopal, qui regroupe les collections de l’ancien musée provincial et celles du diocèse. On note une forte prédominance du roman et du gothique avec des majestats (St Miquel de Cruïlles et St Joan les Fonts), des voûtes (St Pere de Rodes et de Sant Feliu), des sépulcres et surtout, une incroyable collection de retables gothiques du XVe siècle qui sont parmi les plus beaux du monde et sont signés d’artistes locaux comme Bernat Martorell ou Lluis Borrassa. N’oubliez pas les céramiques et les vitraux baroques, de toute beauté. Girona c’est ça, des musées bijoux enchâssés dans un patrimoine ramassé et somptueux qui fait de chaque promenade un enchantement et un voyage à travers le temps  A tout seigneur tout honneur, nous avons gardé pour la fin le Museu Nacional d’Art de Catalunya, le MNAC, un musée tout simplement sublime qui mérite largement une demi-journée de visite. Vous le trouverez au pied du Montjuic, pas loin de la Fondation Miró, belle occasion d’un doublon gagnant. Il est installé dans le Palais national construit pour l’exposition universelle et connu dans le monde entier pour la beauté et la somptueuse muséographie de ses pièces romanes et gothiques, les plus rares et les plus belles du monde. Vous vous promènerez dans des églises des Pyrénées magnifiquement évoquées sous le regard du Christ Pandokrátor de Sant Climent de Boí, admirerez les peintures gothiques à haute portée symbolique de Jaume Huguet. Le MNAC couvre bien sûr d’autres périodes jusqu’au XXe siècle et abrite même des collections consacrées aux prémices de la photographie (6 500 tirages) et une magnifique collection de pièces et de médailles (130 000 pièces). A l’affiche, une belle exposition sur le peintre Viladomat, des têtes de marbre dues au maître de Cabestany et un peu d’orientalisme avec Josep Tapiró. C’est tout simplement un grand musée qui mérite le détour. Puisque vous êtes à Barcelone, outre la Fondation Miró déjà évoquée, faites donc un saut au Musée Picasso, voulu par le Maître lui-même pour remercier la ville qui l’a fait naître à la peinture et avec laquelle il entretint toute sa vie un lien si particulier.

Une mémoire sensible

D’un musée à l’autre, la Catalogne décline sa mémoire sensible, une sorte de carte du tendre esthétique, une cartographie des apports et des croisements qu’elle a abrités, pour mieux se faire connaître, pour mieux lire les lignes secrètes de son destin, convaincue qu’il est à déchiffrer dans ce passé multiple. Bien sûr, ce n’est là qu’un florilège subjectif et partial des musées catalans, juste une mise en bouche dont nous gageons qu’elle ouvrira votre appétit d’en savoir davantage sur les hommes qui ont fait de cette terre ce qu’elle est : une terre d’accueil, enracinée et ouverte, passionnément curieuse de l’autre.

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