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Elne, l’impériale au grand coeur

02 Mar Elne, l’impériale au grand coeur

Entre les Albères et la mer, Elne dresse au milieu d’un véritable jardin de vignes et de maraîchages, les murailles de sa ville haute et le miracle gracile de sa sublime cathédrale. Une ville qui n’en finit pas de livrer ses mystères.
Fièrement campée sur sa colline, Elne impose à l’horizon la verticalité de ses remparts et de sa cathédrale, étrange acropole posée sur la plaine fertile, maraîchère, vigneronne, longée par les eaux proches du Tech, à quelques kilomètres à peine de la mer. Hiératique, mystérieuse, aristocratique, Elne intrigue et fascine.

elne3Dès la plus Haute Antiquité

L’oppidum naturel sur lequel est construite la ville a inspiré les Ibères, dès la plus haute antiquité, avant que ne s’opère, en douceur, la colonisation romaine au IIe siècle avant Jésus-Christ. Les Romains s’installent alors à Ruscino délaissant Illibéris. La cité jouit d’une grande prospérité qui sera mise à mal en 121 avant J-C lorsque les Romains décident d’interdire aux autres peuples méditerranéens, l’accès aux ressources locales. La ville entame alors un long déclin pour le plus grand profit de Ruscino qui connaît en revanche un grand rayonnement.

Castrum Helenae

Elne n’a pas dit son dernier mot. En 337, l’empereur Constantin change le nom d’Illibéris en Castrum Helenae en hommage à sa mère, Hélène. Il refait de la ville une capitale administrative et économique, délaissant Ruscino qui ne s’en remettra pas. Elle gardera ce statut privilégié après l’invasion des Wisigoths qui y installent leur évêché, et également sous les Carolingiens, époque à laquelle elle fait l’objet d’un pariage, c’est-à-dire qu’elle est placée sous l’autorité conjointe de l’Evêque et du Chapitre. C’est au XIe siècle qu’est entreprise la construction de la cathédrale, bientôt jouxtée d’un magnifique cloître, tous deux appelés à devenir les emblèmes de la ville, et au-delà, de l’art catalan tout entier.

Un rôle spirituel et politique

L’évêché d’Elne a été le cadre d’une série de conciles, réunis dans la plaine de Toulouges, dits conciles de paix, car ils prenaient place dans le mouvement de la Paix de Dieu. Le premier de ces conciles a été réuni par l’archevêque de Narbonne, Guifred de Cerdagne en 1027 et c’est le premier à évoquer le concept de Trêve de Dieu, qui complète celui de Paix de Dieu, sous la houlette de l’immense Abbé Oliba, l’un des pères fondateurs de la Catalogne.

elne2Massacrée par les Français

Mais Elne a rendez-vous avec un destin beaucoup plus funeste. Philippe le Hardi voulant prendre le Roussillon à Pierre III d’Aragon, ses troupes se livrèrent à un épisode barbare connu sous le nom de « massacre d’Elne », qui eut en Europe un immense retentissement. Les habitants s’étaient enfermés dans l’église mais selon les chroniqueurs de l’époque « rien ne leur valut car les portes furent tantôt brisées » et ils furent tous mis à mort. Les Français détruisirent ensuite toute la ville de telle sorte qu’il n’y est pas resté « pedra sobra altra » (pierre sur pierre). Ils mirent le feu aux églises, générant un sentiment anti-français durable et puissant. Elne fut ensuite par trois fois l’otage des affrontements frontaliers : dans la guerre fratricide qui opposa les deux fils de Jaume 1er le Conquérant, Jacques II et Pierre IV d’Aragon en 1344 ; lorsque Louis XI et Jean II se disputèrent le Roussillon en 1461 ; et enfin, après le Traité des Pyrénées, en 1793, quand le Général Ricardos procéda à une incursion territoriale et vint mettre le siège sous les murailles de la ville…

Lent déclin

Entre-temps, Elne a beaucoup perdu de sa splendeur car elle subit la concurrence de Perpignan auquel l’éphémère Royaume de Majorque a donné un statut de capitale. En 1601, le Pape Clément VIII, prenant acte de ce statut particulier, décide d’y transférer l’évêché. Néanmoins, pendant plus de quatre siècles, l’évêque restera « évêque d’Elne en résidence à Perpignan ». Qu’importe, la page était tournée et dès lors, la ville cessa de jouer un rôle de premier plan et devint lentement la bourgade paysanne qu’elle est aujourd’hui.

L’excellence toujours

Mais à Elne, la ruralité prend un relief particulier. Les terres alluviales du Tech font des alentours un véritable jardin des Hespérides où tout pousse : légumes du potager bien sûr, mais aussi melons, fraises, vergers de pêchers et d’abricotiers. La vigne, généreuse, justifie la création d’une cave coopérative. Sur la place du marché, dès l’aurore se pressent producteurs et acheteurs (grossistes, épiciers, restaurateurs) soucieux de fournir à leurs clients le meilleur de la terre catalane. Une véritable ruche qui fait d’Elne un centre économique important et une sorte de mini-Saint-Charles à l’échelle du territoire ou plutôt du terroir.

elne4La culture pour bannière

Ce qui met en lumière et souligne l’unicité d’Elne, c’est la culture. Le patrimoine d’abord, avec la réminiscence constante des glorieux épisodes antiques qui monopolise archéologues et sociétés savantes et l’installation dans les bâtiments jouxtant le cloître, d’un musée dédié au passé préhistorique et antique de la ville. Mais surtout avec un ensemble cathédral roman qui s’impose comme l’une des merveilles de la Catalogne, et dont l’autel majeur fut consacré en 1069. La tour et le portail remontent également au XIe siècle. Dès l’entrée, on est frappé par l’immensité des lieux et la rareté des ouvertures qui confère à l’ensemble une sombre grandeur et une acoustique magnifique.

Un cloître, comme un jardin de pierre

Construit par les chanoines, le cloître, en forme de quadrilatère irrégulier, rassemble à lui tout seul toute l’évolution de la sculpture médiévale en Roussillon. Les quatre galeries remontent à des époques différentes et ont été sculptées sur deux siècles (entre le XIIe et le XIVe). Toutes les galeries sont réalisées en marbre blanc veiné de bleu, le fameux marbre de Céret. La variété des motifs est incroyable : les colonnettes sont ornées d’écailles, d’entrelacs, de feuillages. Les chapiteaux alternent thèmes animaux côté galerie : griffons, aigles, bouquetins, lions et paons et végétaux côté jardin : palmettes, feuilles d’acanthe, fleurs de lotus. Et ce livre de pierre est aussi une Bible ouverte avec ses personnages disproportionnés aux yeux coulés au plomb. Un véritable chef-d’œuvre, surtout la galerie-sud, l’incroyable galerie romane. Aux quatre coins, les culs de lampe sont dédiés aux évangélistes avec leurs emblèmes.

Le Château d’en Bardou

Un proverbe roussillonnais dit « el bon déu paga i diu pas quan » (le bon Dieu paye et il ne dit pas quand). Il pourrait tout à fait s’appliquer à la Maternité d’Elne. Tout a commencé en 1939 quand Elisabeth Eidenbenz, animatrice du Secours Suisse aux Enfants, suit avec les républicains espagnols la route de l’exil. Horrifiée devant les conditions invraisemblables de concentration des exilés dans les camps de fortune, elle loue à des paysans d’Elne le Château d’En Bardou et y accueille, entre 1939 et 1944, plus de 1 000 femmes et 1 000 enfants dont 600 naissent sur place dans des conditions de dignité et d’hygiène remarquables. Engagée et intrépide, Elisabeth Eidenbenz n’hésite pas à accueillir et cacher des femmes juives avec leurs enfants. En 1944, les Allemands font fermer le site juste avant de quitter le territoire.

Signe du destin

Mais l‘histoire ne s’arrête pas là. En 2002, un enfant de la maternité localise Elisabeth Eidenbenz et la fait revenir à Elne. Très vite la presse s’empare de cette belle histoire. Elisabeth Eidenbenz devient une Juste parmi les Nations, obtient des mains de la reine d’Espagne la Médaille de l’Ordre social de la Solidarité, la Creu de Sant Jordi attribuée par le gouvernement catalan et enfin, la Légion d’Honneur. Le maire d’Elne, Nicolas Garcia, lui-même fils de la Retirada comme tant d’Illibériens, décide d’acquérir le château et d’en faire un lieu de mémoire fonctionnant en réseau avec le Camp de Rivesaltes et le Museu de l’Exili de la Junquera. Un espace pédagogique pour que ne se perde pas la transmission aux plus jeunes et enfin à terme une auberge humanitaire, pour que des jeunes femmes se trouvant dans la situation de dénuement qu’ont connu Espagnoles, Catalanes et Juives entre 1939 et 1944, puissent à leur tour trouver un toit accueillant pour élever ou mettre au monde leurs enfants.

Terrus, un génie pas si local

Et si Elne a tant de talents, c’est que ses enfants en ont à revendre. Etienne Terrus d‘abord, qui fut le guide de Matisse en terre catalane et dont l’œuvre, immense, ne manquera pas d’être un jour reconnue pour ce qu’elle est : l’égale des plus grands. On lui doit des paysages roussillonnais lumineux, comme sculptés dans la glaise. François Bernadi aussi, peintre et écrivain qui porte haut les couleurs de sa terre et dont pour la petite histoire, le fils Fernand, belle basse profonde, poursuit une remarquable carrière sur les scènes d’opéra. Et pour le côté people, c’est Elne que la chanteuse Chimène Badi a choisie pour base et inspiration…

 

De l’Illibéris antique à la ville d’art d’aujourd’hui, il semble bien qu’un même souffle porte Elne vers l’avenir. Du haut de son oppidum et de ses deux mille cinq cents ans d’histoire, la ville en a vu de toutes les couleurs, alternant les périodes de rayonnement et de splendeur, les sièges, les guerres, les actes de résistance, sans jamais fermer ses portes aux fugitifs ou aux exilés, obstinément attachée à sa terre nourricière et à son double horizon de montagne et de mer. Elne a fait de ce passé contrasté son meilleur atout : elle séduit évidemment un nombre croissant de touristes mais aussi, et c’est sans doute de très bon augure, de nouveaux habitants qui parient sur sa beauté tranquille et son humanisme bourru pour sublimer leur quotidien.

 

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