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LE FORT SAINT ELME

01 Juil LE FORT SAINT ELME

1913-2013. L’aventure contemporaine du Fort Saint Elme débute il y a tout juste cent ans. Au mois d’août 1913, l’ancienne bâtisse militaire qui domine la baie de Collioure tape dans l’œil d’un génie : Pablo Picasso. Le jeune artiste, dont la carrière commence tout juste à prendre son envol, annonce qu’il veut faire l’acquisition de ce fort, à peine démilitarisé par l’État, pour y installer son atelier. L’allure géométrique de la bâtisse, née d’une tour cylindrique s’élançant d’un donjon en étoile, fait écho aux architectures, construites en plans, des toiles cubistes.

fort-saint-elme3Coup de cœur de Picasso

Le paysage qu’offre le site est dans la même veine. Versant nord, le fort donne à voir une vue panoramique de la côte catalane à couper le souffle, alors que son versant sud ouvre sur l’intérieur de la Marenda unissant, de terrasses de vignes en terrasses de vignes, les hauts de Collioure à la Madeloc. Mêlant beauté naturelle et force constructive de l’homme, le lieu parle aux instincts esthétiques premiers de Picasso. Cependant, en Roussillon, l’annonce de l’achat de cette bâtisse historique faite par un artiste réputé bohème et espagnol de surcroît, défraie la chronique. Au matin du 3 août 1913, « L’Indépendant » lance la polémique par un article aussi partisan que conservateur, expliquant que « le peintre Pablo Picasso, l’inventeur du cubisme, celui qui, pour montrer un visage dessine volontiers une chaise ou une règle de calcul, veut s’installer dans l’antique demeure. Il tient à mettre sur les fresques de jadis, les tableaux de la nouvelle école ». Sacrilège ! Fort heureusement, le peintre se voit mis en concurrence avec le Docteur Paul Mounet, gloire du monde du théâtre et respectable sociétaire à la Comédie française.

Guerre classiques contre modernes

Le quotidien catalan alimente cette guerre opposant « classique » et « moderne » afin d’agiter l’opinion publique. Une bataille de camps qui prend fin lors de l’ouverture des enchères par l’Administration des Domaines. Ni le peintre, ni l’acteur ne remportent la vente. Le Docteur Ney s’impose et devient l’heureux propriétaire du fort.

Travaux de restauration

La passe d’arme entre « classique » et « moderne » se voit balayée par la proposition d’un sage notable. Toutefois, cette victoire sera de courte durée. En 1927, le fort change de main. Fernand Ducatte, un scientifique et industriel bourguignon, prend possession des lieux. Inventeur, il conçoit l’ampoule médicale qui permet de transporter les vaccins en toute sécurité. Pendant la Première Guerre Mondiale, il met au point la trousse individuelle du combattant qui sauva des milliers de vie. Il fait figure d’inventeur de génie et d’anticonformiste. Les « modernes » signent donc leur revanche et prennent le contrôle du fort Saint Elme. Fernand Ducatte lance le chantier de restauration de la bâtisse. Des travaux nécessaires puisque si la « torre de guardia » ou tour de signal originelle s’était vu transformée en fortin d’abord par le roi catalan Pere III puis, en 1552, agrémentée de fortification par l’empereur Charles Quint, sa haute mission stratégique se verra violemment disputée durant toute l’histoire. En particulier, lors de la Révolution, lorsque les troupes du Général Dugommier comptent récupérer le fort aux hommes de Don Amoros.

Un fort toujours en guerre

En 1794, le fort ne se rendra qu’après un long siège et un bombardement de 11 000 boulets faute de combattant valide.Dans les années 1930, Fernand Ducatte confie la première mission de restauration à un architecte de renom, Léon Azéma. Amoureux de l’art roman, ce dernier redonne l’esprit sobre et ramassé voulu par les premiers architectes génois tout en repensant un agencement contemporain. Il réhabilite les anciens « assommoirs ». Il reconstruit la tour en y ajoutant un étage. Innovateur, F. Ducatte hérisse d’antennes la terrasse afin de rester en contact par radio avec ses usines réparties dans le monde entier ! De 1927 à 1937, près de 150 ouvriers se relayent, sous les ordres des architectes Léon Azéma et Alfred Joffre, pour offrir une nouvelle jeunesse au Fort Saint Elme.

fort-saint-elme2Toujours plus fort

Toutefois, la mort accidentelle du mécène Fernand Ducatte signe le coup d’arrêt du chantier. Coup d’arrêt qui aurait pu se révéler définitif puisque le fort, quelque peu déserté, ne va pas tarder à être remilitarisé. Avec la Seconde Guerre Mondiale et l’occupation de la Zone Libre par les troupes nazies, au mois de novembre 1942, le Fort Saint Elme est transformé en tour de télémétrie par les troupes de la « Kriegsmarine » déployées de Canet à Cerbère, afin d’anticiper un débarquement des forces alliées. La Croix Gammée flotte sur le fortin, devenu zone interdite jusqu’au mois d’août 1944. Si la Libération ouvre une nouvelle ère pour le Pays Catalan, elle met en péril le fort car suite au départ des soldats allemands, il se voit livré à lui-même et largement pillé. Il sert tour à tour de carrière de pierre ou de simple bergerie.

Un fort insubmersible

Désœuvrée et abattue par les déprédations successives, la famille Ducatte mettra près de cinq ans avant de revenir sur les lieux. Au début des années 1950, une nouvelle étape de conservation faite de quelques travaux d’urgence s’ouvre pour le Fort Saint Elme. Elle durera jusqu’en 2003, année qui marque le grand tournant dans la vie de ce site exceptionnel.Jean-Claude Ducatte, petit neveu de l’initiateur de la première campagne de restauration du fort, entend mettre toute son énergie au service d’un projet privé de restauration afin de l’ouvrir au public. Ce passionné d’histoire, collectionneur, bourguignon à la verve toute catalane, entreprend dans un premier temps des recherches historiques liées aux constructions de tours à l’époque médiévale, réécrit également les différents épisodes qui ont façonné la vie du fort, tout en menant une carrière professionnelle prenante. Un travail scientifique doublé d’une nouvelle mission de restauration commence.

Importance stratégique

Cette dernière se révèle pour Jean-Claude Ducatte « comme une véritable école d’humilité. » Il s’en explique avançant qu’« après l’ajout de 70 tonnes de terre arable et de milliers de pierres, le remontage de kilomètres de murets et la réalisation d’un sol fait de 500 tonnes de gravier, il a fallu passer des centaines d’heures à genou pour mener à bien la finalisation d’un nettoyage correct, non parfait !. « C’est une forme de joyeuse pénitence que je me suis infligée, où il faut souvent surmonter le doute, le renoncement et avoir sans cesse en tête la devise de Charles Quint : Toujours plus loin ! ». Entré en religion pour son fort, Jean-Claude Ducatte et son équipe, en a peu à peu aménagé toutes les salles. Panneaux détaillant l’évolution architecturale du site ou restituant son importance stratégique dans la Méditerranée médiévale, armes et boulets de canon de l’époque moderne permettent au public, depuis 2008, de mieux connaître l’histoire du Fort Saint Elme, mais aussi de la région et redonner vie à des moments d’histoires « où l’épique se confond avec le romanesque. Nous voulons donner envie de connaitre ! ». La visite de cette bâtisse aux couloirs étroits, aux salles ramassées ouvrant, entre ciel et mer, sur l’azur de la Méditerranée par quelques fines meurtrières, donne l’impression d’une déambulation dans les coursives d’un sous-marin. Non pas l’un de la « Kriegsmarine » mais plutôt l’un de ceux qui permettent une immersion totale dans des univers qui semblaient à jamais perdus dans les eaux troubles de la grande histoire.

fort-saint-elme4Les yeux du monde à résidence

Une fois remonté à la surface, à savoir, la place d’arme du fort, le paysage aérien qui se révèle au visiteur communique une sensation d’oxygénation extrême. Il offre la possibilité de survoler toute la côte catalane mais également de balayer d’un regard l’ensemble de la plaine du Roussillon. En contrebas du Fort Saint Elme, le port de Collioure avec son fameux clocher-phare retrouve sa place, en ne cessant de se redessiner sur l’immensité des flots de la Grande Bleue. Un miracle qui se renouvelle chaque jour et à jamais célébré par les amants du beau. « Point n’est nécessaire de vanter le point de vue qu’offre le Fort Saint Elme, » confesse le maître

1Commentaire
  • blic
    Posted at 17:46h, 27 octobre Répondre

    Bravo à Monsieur Ducatte d’avoir consacré une partie de son énergie à préserver et restaurer ce témoin architectural et le faire partager.

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