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La rivière aux quatre diamants

01 Jan La rivière aux quatre diamants

Sur les horizons mouvants du delta de l’Ebre, entre terre et mer, sous des ciels presque flamands, quatre villes racontent le poème du fleuve et de la mer : Ampolla de Mar, Ametlla de Mar, Sant Carles de la Ràpita et l’’Alcanar… Ecoutons-les.

Ici, les doigts tendres du fleuve caressent la mer, la modèlent et l’apprivoisent. Ici, les oiseaux confondent le ciel et la mer, les canaux et les routes, les rizières et les plages. Ici, de toute éternité, l’homme est venu tirer des flots de quoi survivre. De part et d’autre du fleuve nourricier, quatre villages de pêcheurs aux destins particuliers portent l’identité unique des Terres de l’Ebre.

Riviere2Ebre de multiples mémoires

Au nord il y a l’Ametlla et l’Ampolla, dessinées par la rencontre de l’Ebre et de la Méditerranée autour d’anciennes embouchures témoins des errances du fleuve au fil des siècles. Au sud, il y a encore comme une résonance arabe, puis morisque, comme si l’Orient refusait de céder totalement la place. Nous sommes sur des terres de reconquête. On y trouve l’Alcanar et Sant Carles de la Ràpita. Au milieu de ce pays étrange coule le fleuve roi, l’Ebre de multiples mémoires, étalé en son delta comme une mer dans la mer. Histoire croisée de quatre villages de pêcheurs…

Un Finisterre

Dès que l’on approche du delta de l’Ebre, que ce soit depuis le sud où le nord, une sorte de langueur semble s’emparer des paysages qui s’étirent, s’allongent en longues plages douces cerclées de rochers et de pinèdes. C’est un pays de confins, un pays sans limites qui se joue des horizons et que le fleuve immense unit davantage qu’il ne sépare. Un Finisterre qui se fond dans la mer comme un nageur descendant d’invisibles degrés jusqu’à s’immerger et disparaître dans le camaïeu infini des bleus et des gris. Ici, tout est frangé de lointain.

Fortins et cabanes

La rencontre des eaux fortes du fleuve et de la salinité épaisse de la mer peu profonde est un domaine de choix pour toutes sortes de poissons, de crustacés et de mollusques qui depuis la plus haute antiquité, ont attiré les pêcheurs et des nuées d’oiseaux graciles. Il n’y avait guère de place sur ces terres étranges que pour quelques cabanes et des fortins défendant ses ports de mouillage naturels contre les razzias. C’est donc sous ce double signe que sont nées les quatre villes des terres de l’Ebre : L’Ametlla et l’Ampolla au nord, Alcanar et Sant Carles de la Ràpita au sud.

Grain d’orient

Au sud, l’orient est partout. Le village ibère, la Moleta del Remei d’Alcanar, a eu beau livrer des céramiques, des os travaillés (aiguilles, manches, spatules) et des outils en métal (couteaux, clés, pointes de lance), on sent partout la présence du village musulman, (Al Khanat signifie « boutiques des marchands » en arabe) qui faisait partie au IXe siècle de l’ancien califat de Tortosa. Les traces chrétiennes datent, elles, du XIIIe : devant les incessantes razzias des Barbaresques, les chrétiens, en la personne des Hospitaliers menés par Hugues de Forcalquier avaient donné au lieu sa qualité de ville par le biais d’une charte l’érigeant en « terre de frontière » et s’étaient dotés de remparts et de tours de défense. Pourtant le village est à 4 km des « cases d’Alcanar » ces maisons de pauvres pêcheurs devenues aujourd’hui un centre touristique majeur dopé par la proximité de l’immense baie des Alfacs.

Riviere3Une vraie ville

Tout près, Sant Carles de la Ràpita présente une physionomie très différente. On sent que la ville était promise à un autre destin. Le tracé de ses rues, la noblesse de certains édifices rappellent que Charles III conçut au XVIIIe siècle le projet – avorté – d’en faire le plus grand port de Méditerranée. Là aussi, pourtant, les Arabes sont encore présents, à commencer par le nom (« Ràpita », signifie en arabe « forteresse »). C’est d’ailleurs d’ici, le symbole est clair, que furent expulsés en 1610 les derniers Morisques, empruntant ainsi les mêmes chemins de mer hasardeux que leurs frères d’infortune juifs deux cents ans plus tôt.

Mar y muntanya

La ville porte beau avec ses fontaines monumentales comme celle des Alamèdes, sa gloriette monumentale, et Les Casotes, un bâtiment construit par la Compagnie Royale de Canalisation des Ruisseaux de l’Ebre qui abrite aujourd’hui le musée de la Mer et de l’Ebre. Partout, des persiennes valenciennes étoilent les façades. Et tout ça adossé à la montagne, la serra del Montsià qui abrite le magnifique parc naturel des ports avec ses crêtes et ses gorges, paradis de la chèvre ibérique. Vous y trouverez la hêtraie la plus méridionale d’Europe ; la ville est ourlée de plages, de lagunes, de salins.

Un grand port de pêche

Par temps clair, on peut, au sud, deviner la silhouette imposante du château de Penyiscola où se réfugia l’antipape Pedro de Luna. Mais ne nous y trompons pas, la ville n’a rien d’une belle au bois dormant couchée sur les lauriers d’un prestigieux passé : c’est un des ports de pêche les plus dynamiques de Catalogne, un port thonier de premier plan doublé d’un port nautique ultra-performant qui permet à Sant Carles de la Ràpita d’aligner une offre touristique complète, susceptible de séduire toutes sortes de publics.

Née du château

Au nord, l’Ametlla de Mar tire évidemment son nom de la forme de sa baie qui évoque irrésistiblement une mandorle. Une baie si présente qu’elle donne son nom aux habitants « les caleros ». Au départ il s’agit de deux minuscules noyaux de population essentiellement composés de pêcheurs et de marins venus se mettre à l’abri des tempêtes ou des razzias, que rien ne destine à se développer. Pourtant, au XIIIe siècle, l’ordre de Sant Jordi de l’Alfama, le seul ordre totalement catalan de l’histoire, y fonde un château aujourd’hui en ruines. Dans la foulée apparaissent deux tours de défense également détruites.

Pari gagné

Ces fortifications favorisent l’installation progressive d’une population sédentaire. La beauté des plages rocheuses ou sableuses, l’arrivée du chemin de fer, et l’authenticité conservée du site feront le reste. Aujourd’hui, l’Ametlla est une destination touristique prisée, dopée par l’imagination des habitants (ne ratez pas la plongée au milieu des thons) et le sens des traditions populaires (superbe musée de la céramique). Un endroit préservé à deux pas du grand fleuve tutélaire.

Riviere4Ancien relais de poste

Le temps de traverser quelques nuances de bleu et de gris, et voilà Ampolla de Mar, avec sa baie en forme de bouteille, qui plonge ses racines au plus profond de l’histoire ibère et romaine comme en attestent les innombrables trouvailles archéologiques réalisées dans ses eaux. Elle fut connue sous le nom grec de Lebedonia avant de s’enfoncer dans la nuit de l’histoire. En effet, si le pape Adrien a bien embarqué ici pour Rome au XVIe siècle, la ville a longtemps été un simple relais de poste sur le Chemin Royal qui reliait Tarragone à Valence. La présence de pêcheurs sur la côte y est attestée dès la Renaissance, mais la ville reste dans un relatif anonymat jusqu’à l’arrivée du chemin de fer en 1867 et la mode des bains de mer qui allaient en faire peu à peu une destination touristique et estivale.

Indépendante à tout prix

Un bref coup de projecteur la sort pourtant de l’obscurité en 1917 lorsque le vaisseau français Maxsherda est coulé par un sous-marin allemand et ses marins secourus par la population. Un monument de bronze, offert à la ville par le gouvernement français en gage de remerciement rappelle l’événement. Mais le développement n’est pas tout de suite au rendez-vous car l’Ampolla ne maîtrise pas totalement son destin : elle n’est guère qu’un hameau appartenant au Perelló dont elle ne sera administrativement séparée qu’en 1990 à la suite d’une interminable bataille juridique engagée dès le début du XXe siècle ! Aujourd’hui, l’Ampolla est devenue une destination touristique de premier plan.

Les errances du fleuve

Il faut dire que le front de mer présente une alternance de plages de sable (plage de l’Arenal, plage des Avallanes) et rocheuses (plage dels Pinets, dels Capellans, del Baconi) et de baies profondes (Cala Maria et Cala de l’Ascanet. En avançant vers le fleuve apparaissent les lagunes, avec leur écosystème caractéristique et leurs rizières. Il semble bien qu’il s’agit là d’anciennes embouchures testées puis abandonnées par l’Ebre. Ces zones si particulières font aujourd’hui partie des « Chemins de la Méditerranée », un réseau d’itinéraires qui traverse les oliveraies, les crêtes et les chemins d’eau des rizières. Une belle invitation au voyage.

Contrastées et inattendues

Les Terres de l’Ebre ont tant de douceur et de force qu’on a du mal à imaginer qu’elles furent le théâtre de la plus terrible bataille de la guerre d’Espagne, la bataille de l’Ebre. Elles sont si intimement tressées de sable et de mer qu’on en oublierait presque que les oliveraies et les vignes donnent ici des jus concentrés et entêtants, consacrés par des appellations contrôlées : le vin de Terra Alta, somptueux et velouté, et l’huile du Baix Ebre Montsià, un nectar émeraude. Bénies des dieux, les terres de l’Ebre jouissent d’un arrière-pays giboyeux et boisé qui vient compléter les incroyables richesses des eaux : thons, moules, huîtres, anguilles, poissons de roche, crustacés, riz rond et transparent… Vous l’aurez compris, la gastronomie est ici au plus haut !

Culte de l’excellence

D’ailleurs, Sant Carles de la Ràpita est la capitale gastronomique du Delta de l’Ebre, avec quelques produits phares comme la langoustine, le poulpe, le riz et la galera, sorte de grosse gamba moins chère que la langoustine mais décidément délicieuse. Ces différents produits se voient consacrer des campagnes gastronomiques tout au long de l’année et donnent naissance à toutes sortes d’arrossejats, ces plats de riz laissés à l’imagination des cuisiniers et aux hasards de la pêche. Côté desserts, les Coquetes de la Creu et surtout, les sublimes pastissets de cheveux d’ange aux saveurs anisées et à l’huile, merveilleuse rencontre de l’anisette et des pâtisseries orientales mettront vos papilles en joie !

Quatre villes comme autant d’armes pour nous guider dans ce pays d’horizons et de brumes né du fleuve et de la mer, dont les histoires et les dimensions diverses sont unifiées par une communauté de destins dictés par l’Ebre et la Méditerranée. Quatre villes comme quatre regards soulignés de khôl portés sur l’âme particulière des terres de l’Ebre. Quatre villes pour quatre invitations au voyage…

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