VOTRE MAGAZINE N° 129 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 129 EST EN KIOSQUE

La Selva : La comarca aux deux visages

01 Avr La Selva : La comarca aux deux visages

Depuis ses plages de sable doré et ses criques abritées, jusqu’à la végétation exubérante de ses forêts humides et montagneuses, en passant par sa richesse architecturale et ses paysages multiples, la “comarca” de la Selva concentre sur son territoire une étonnante richesse patrimoniale.

En quittant Gérone pour Barcelone et une fois passé l’aéroport, on pénètre dans la Selva. Cette comarca bien nommée, constitue un intermède vert et naturel séparant la zone sud de Gérone, industrielle et agricole de celle du Vallès Oriental, plus au sud, qui annonce déjà les immenses plaines fourmillant d’activités économiques entourant la capitale catalane. La Selva possède pourtant deux visages, l’un maritime et l’autre montagnard. Côté mer, nous sommes encore dans le monde minéral de l’ardoise et des galets, des bosquets de chênes-lièges et des pinèdes des derniers kilomètres de la Costa Brava du sud.

selva3La plage des artistes

C’est à Tossa de Mar que s’achève ce paysage quasi continu, juxtaposant criques, falaises et plages protégées au fond de calanques auxquelles on n’accède que par des chemins escarpés et parfois secrets. Autrefois port de pêche actif, Tossa s’est bâtie sur la partie du massif de Cadiretes qui plonge directement dans la Méditerranée. Pour se protéger des attaques de pirates, la ville a édifié, dès le XIIe siècle, d’imposantes murailles au tracé singulier qui surprennent l’arrivant lors de sa première visite. La partie haute du promontoire, le cap de Tossa, où des traces d’un peuplement ibère ont été découvertes, abritait le fort médiéval ainsi qu’un moulin à vent qui furent détruits en 1917, pour y construire le phare actuel qui continue à protéger les marins et qui est un objet de visite très fréquenté toute l’année. Tossa, intellectuelle à la manière d’un Cadaquès, s’ouvrit aux artistes dès les années trente. De nombreux peintres, dont Pere Créixams, Rafael Benet, George Kars ou Marc Chagall, y ont séjourné. Ce dernier avait surnommé Tossa « le paradis bleu ». Le Musée d’Art moderne de Tossa de Mar possède d’ailleurs une œuvre du peintre russe, « Le violoniste », l’un de ses thèmes favoris. Un peu plus tard c’est Ava Gardner qui, venue en 1950 pour y tourner le film « Pandora and the Flying Dutchman », revint y séjourner régulièrement entre 1957 et 1961 où, pour la petite histoire, elle eut deux relations amoureuses, curieusement avec deux toreros : Luis Miguel Dominguín et Mario Cabré.

Une merveille d’équilibre

Après Tossa de Mar et avant de se diriger vers l’intérieur des terres, un crochet par Lloret de Mar s’impose, au moins pour une raison : la visite du sanctuaire de Santa Cristina, « l’un des plus doux endroits, équilibré, élégant et situé avec grâce de la côte catalane » selon le grand écrivain Josep Pla et auquel le poète Ferran Agulló a consacré ces vers : « Entre les roques de la Costa Brava, com un lliri que entre penyes s’esponcella, Santa Cristina, blanca meravella s’alça entre pins, mirant-se la mar blava. » (Entre les rochers de la Costa Brava/comme un lys perdant sa virginité entre les pierres /Santa Cristina, blanche merveille/s’élève entre les pins, regardant la mer bleue). Plus au sud, la côte perd son caractère sauvage et la douce ligne côtière n’est plus qu’une longue plage qui s’évanouit doucement aux abords de Barcelone.

Les saveurs du terroir

En laissant la côte et avant de s’enfoncer dans la Selva proprement dite, il faut, pour les amateurs de bonnes tables, passer par Vidreres, la « Ville gastronomique » comme indiqué à son entrée. Bien qu’à quelques kilomètres à l’intérieur des terres, elle est toujours considérée comme une ville du secteur maritime de la région, mais elle préfigure déjà, par son paysage vert et boisé, la Selva de l’intérieur. Petite ville équilibrée et active, typique de la Catalogne rurale, elle est partagée entre des activités artisanales, l’agriculture et l’élevage. Depuis longtemps, ses restaurants ont acquis une réputation culinaire de qualité, même si elle est surtout connue pour son plat populaire, le « ranxo », sorte d’« escudella » ou d’« ollada » que l’on célèbre chaque année pour les fêtes carnavalesques.

selva4La Selva intérieure

Dès que l’on quitte la zone côtière, on pénètre dans la « depressio litoral », l’étroite et longue plaine qui sépare la chaîne côtière des massifs compacts de la Catalogne. Cette longue plaine abrite le « corredor mediterrani », la zone de communication si importante pour la Catalogne et pour son ouverture vers la France et l’Europe. Cette plaine sépare aussi la Selva maritime de la Selva intérieure et laisse déjà apparaître le caractère humide et boisé de cette partie du territoire. Entre Maçanet de la Selva et Hostalric, les nombreuses plantations de peupliers qui oscillent au vent nous l’annoncent : ici, l’eau est présente en quantité. L’abondance de fontaines, rivières et ruisseaux, sources d’eaux minérales chaudes ou froides, marque ce territoire et est la clé d’interprétation de ces paysages. D’ailleurs, les petites cités de Sils et Maçanet de la Selva qui s’étendent sur le territoire, encore plat dans cette partie de la Selva, ont été construites sur un ancien lac datant de plusieurs millions d’années, entourées de petites collines volcaniques, où s’installèrent les premiers peuplements autochtones. De nombreuses demeures fortifiées y furent construites au Moyen-Age. De cette époque, Maçanet garde un bel ensemble architectural en son centre-ville, encadré par ses deux églises, de même qu’un puits de neige : « el pou de Glaç ». Chaque année, la « Fira del Pagès », (la Foire du Paysan) s’articule sur deux thèmes principaux : les racines agricoles de Maçanet et sa variété de produits artisanaux.

L’eau de la forêt

Sa voisine Sils, qui elle aussi faisait partie du lac d’origine, a conservé en partie un grand étang, aujourd’hui réserve naturelle recelant une riche biodiversité d’oiseaux et de plantes aquatiques. La large plaine, puis les contreforts vallonnés qui recueillent les eaux des massifs humides du Montseny et des Guilleries, nous introduisent vers des paysages spécialement boisés. Les voyageurs qui empruntent « l’eix transversal », la voie rapide est-ouest qui traverse la Catalogne centrale ne manquent pas d’être surpris par l’extraordinaire et dense végétation qui apparaît brusquement à leurs yeux : pins, sapins, chênes verts et chênes blancs, châtaigniers, hêtres ou bouleaux colorent la montagne de mille nuances de vert. Ces mêmes paysages sont portés à leur magnificence quand vient l’automne. Au pied du Montseny, Hostalric s’étire des rives de la Tordera jusqu’au sommet de la colline d’origine basaltique où est situé son château d’époque médiévale. On trouve la mention d’une auberge – « l’hostal » – au bord du « Camí de França » dès le XIe siècle.

selva2Un château imposant

La ville a conservé presque en totalité son imposante place forte, grâce à de nombreuses restaurations débutées à partir des années soixante. Les longues murailles et la partie médiévale du vieux village, situé à l’intérieur de l’enceinte, en font l’un des plus importants exemples d’architecture militaire de Catalogne. La visite du château est impressionnante, tant par la qualité de la réhabilitation architecturale effectuée, que par les dimensions de l’édifice. Une fête médiévale s’y déroule d’ailleurs, de même qu’un festival de gastronomie, le « Gastroart ». Ce cadre historique exceptionnel se prête à de nombreuses activités culturelles ou ludiques comme les Nuits Musicales du château d’Hostalric, les cycles de Théâtre Ouvert ou encore de nombreuses fêtes populaires.

La tradition de l’argile

Non loin de là et davantage adossée au massif du Montseny, se trouve Breda et son original clocher carré. Cette petite ville possède une industrie de la céramique vieille de plus de mille ans et l’une des principales de Catalogne, grâce à la qualité d’une argile très réfractaire que l’on extrait non loin de là, à Riells. La « Terrissa de Breda » s’est spécialisée depuis toujours dans les ustensiles de cuisine de terre cuite traditionnels comme le sont les « olles », « tupins », « cassoles » et autres « perols » aux émaux colorés dont le fameux rouge de Breda. Plus au nord, sur les pentes du massif, la petite ville d’Arbúcies veille sur le Parc naturel du Montseny qui occupe la plus grande partie de la commune. Son Musée Etnologique du Montseny, situé dans l’ancien bâtiment de La Gabella, du nom de l’ancien impôt, est un centre de conservation du patrimoine territorial et social de ce secteur montagnard. On peut y observer le fonctionnement d’une ancienne forge. En dehors du magnifique château de Montsoriu, une autre visite s’impose à Arbúcies : l’ermitage roman de Sant Marçal de Montseny, à 1 000 m d’altitude, une ancienne abbaye dont le prieuré est devenu aujourd’hui un hôtel de qualité. Près de la chapelle, se trouve la « Taula dels Tres Bisbes » (la Table des Trois Évêques) située exactement à la jonction des évêchés de Barcelone, Vic et Gérone. Selon la tradition, c’est à cette table ronde que les trois évêques venaient y délibérer, sans pour autant quitter le territoire de leurs diocèses respectifs.

Que d’eau !

Plus au nord, Sant Hilari Sacalm offre, comme d’autres villes thermales de Catalogne, un charme hors du temps. Il suffit de déambuler dans les ruelles pour entendre chanter les sources, rigoles et ruisseaux et admirer les chefs-d’œuvre de l’architecture de style noucentiste comme la fontaine et l’hôtel de la source Font Picant, les bains de la Font Vella ou l’édifice de la Taverna de l’Aigua. A visiter, le musée des Guilleries de Sant Hilari, consacré à l’écosystème de la zone et bien évidemment au monde de l’eau thermale et minérale qui se trouve dans le bel édifice moderniste récemment restauré de la Cooperativa, place du Dr Robert.

Au milieu de la plaine centrale de la Selva, s’étend la petite ville de Santa Coloma de Farners, la capitale de la comarque avec ses 12.000 habitants. Elle se trouve au beau milieu de la Selva, à 142 m d’altitude et représente et symbolise d’autant plus sa comarca, qu’elle est située à l’articulation entre la plaine et la montagne. Très ancien peuplement – son église est citée dès l’an 898 -, la ville fourmille d’activités artisanales et industrielles diverses, dont une spécialité locale, la fabrication de biscuits, et en particulier des « teules » (tuiles), sorte de petites langues de chat courbées très fines. A l’entrée de la ville, le Musée Trias du biscuit vous invite à découvrir l’histoire et la fabrication de ces gâteaux secs, depuis le grain de blé jusqu’à leur présentation finale. La collection de boîtes et d’emballages tout au long d’un siècle d’histoire y est particulièrement intéressante. A dix minutes à pied du centre, le parc de Sant Salvador, propose une promenade unique dans un milieu vert et boisé. On parcourt ce grand ensemble arboré de dizaines d’espèces différentes, en suivant de larges allées ou de petits sentiers qui longent et croisent petits cours d’eau, barrages, cascades et fontaines.

Des thermes pour terminer

Il faut également se rendre au château de Farners, construction de style roman du XIe siècle, situé sur un triple éperon rocheux qui domine la vallée. Le château aux murs épais entoure un donjon circulaire crénelé à la silhouette massive. Un peu en dessous du château, le splendide sanctuaire de la Mare de Déu de Farners est un véritable petit joyau de l’art roman. C’est un modèle d’équilibre architectural qui bénéficie d’un parfait état de conservation. A l’intérieur, un simple retable baroque accueille la statue de la Vierge de Farners. En quittant Santa Coloma, un arrêt aux thermes d’Orion est indispensable. Au milieu d’une nature à la végétation exubérante, l’établissement thermal offre un ensemble de balnéothérapie des plus complets et modernes, grâce aux eaux chaudes que produisent ses sources naturelles. Ce remarquable site de style néo-classique et noucentiste propose, en dehors de tout ce qui peut être consacré aux soins du corps, des facilités de repos et de gastronomie. Un ensemble qui symbolise parfaitement ce que peut offrir la Selva à ses visiteurs : un terroir authentique et multiple, au sein d’une nature généreuse et exceptionnellement préservée.

Pas de commentaire

Poster un commentaire