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La Via Augusta : vraiment impériale

01 Août La Via Augusta : vraiment impériale

C’était l’une des plus grandes voies de l’Empire Romain, celle du commerce avec les peuples ibères et ceux d’’Afrique du nord. Un axe vital, à la fois fleuve nourricier et autoroute avant la lettre qui a changé à jamais le destin des terres traversées
Si les Ibères sont sans aucun doute les premiers habitants historiques de la Catalogne, c’est l’empreinte romaine qui reste décisive. Après leur débarquement à Empúries en 219 avant Jésus-Christ, les Romains envahissent peu à peu l’ensemble des terres. Ils lèguent alors à la Catalogne un héritage immense qui déterminera pour les vingt-deux siècles qui suivent son développement et son histoire. D’abord la langue (ne dit-on pas que le catalan est un bas latin ?) ; puis le droit et notamment le principe de droit du sol, l’agriculture, l’élevage, l’industrie (en particulier le tissage du lin) et enfin le commerce.

VA2Bâtisseurs et visionnaires

Mais surtout, les Romains, fondateurs de Tarraco, destinée à devenir la plus grande ville après Rome, ont entrepris en Catalogne une politique de grands travaux publics : amphithéâtres, théâtres, cirques, thermes, ponts, aqueducs… Cette politique d’expansion de l’Empire reposait en grande partie sur la création de voies de communication terrestres rapides et balisées et sur l’organisation de provinces tenues par un pouvoir central fort et indiscuté.

Des voies vitales

En Catalogne, deux voies royales de l’empire se rejoignent. La Via Domitia au nord, qui reliait la Narbonnaise à Rome, la Via Augusta au sud, qui allait de Panissars à Cadix. Ces grandes nationales catalanes de l’Antiquité, voies royales entre Rome et l’Hispanie, étaient de véritables autoroutes, si performantes déjà, si adaptées au terrain, que les ingénieurs modernes ont repris leur tracé presque exactement ! La Via Augusta reste la voie terrestre la plus majestueuse d’Ibérie : une véritable colonne vertébrale qui n’a pas encore livré tous ses secrets.

Une colonne vertébrale

Son nom, au fil des siècles, ressemble à une valse-hésitation : Via Herculea, Via Heraclea, chemin d’Hannibal… Une constante, toutefois, son association à des héros et conquérants, définitivement figée par l’empereur Auguste qui lui donne son appellation définitive. Longue de 1 500 km, du Perthus à Alicante, la Via Domitia traverse toute la Catalogne et constitue, dans la péninsule ibérique, l’axe principal de transport des marchandises qui circulent d’un bout à l’autre de l’empire, et arrivent aussi bien par voie maritime que par voie terrestre.

Une autoroute avant la lettre

Tout indique que les Ibères utilisaient déjà cette route, alors à l’état de piste, et que les Grecs, dans leurs rares incursions continentales firent de même. Il ne s’agit donc pas d’un tracé ex-nihilo mais d’une optimisation magistrale de l’existant. Tout au long de cette route pavée, bornée, délimitée, normalisée, creusée d’ornières qui sont autant de rails pour les véhicules hippomobiles, des relais de poste permettent des escales confortables qui offrent aux voyageurs gîte, couvert et surtout, la possibilité de prendre un bain. A bien y réfléchir, les autoroutes modernes ne font pas mieux…

VA3Bornes et relais

Ces relais de poste, idéalement disposés, sont distants de 35 km environ, soit une vingtaine de milles romains (1 481 m) et correspondent à la distance normale parcourue par jour par les équipages. Ainsi, la livraison des marchandises peut-elle être planifiée avec exactitude pour ces routiers de l’Antiquité. C’est d’ailleurs en général la découverte de bornes portant mention de ces relais et des distances les séparant qui a permis d’attester la présence de la Via Augusta.

Le commerce pour finalité

Comme l’autoroute actuelle, la Via Augusta est plus ou moins parallèle à la côte. Il est en effet essentiel qu’elle puisse accéder aux deux grands ports, celui de Rhodes (Roses) et celui d’Empúries qui tiennent le haut du pavé et servent de point d’importation et d’exportation, notamment pour le vin, les poteries, les étoffes, les céréales et l’huile. Loin de se limiter à une relation bilatérale avec Rome, ces ports exportent et importent dans tout l’Empire romain et déterminent un développement économique sans précédent dans le nord de la péninsule ibérique.

Rats des villes, rats des champs

Cet essor est en très grande partie dû à la Via Augusta. Gerunda (Girona), Barcino (Barcelone) et surtout Tarraco (Tarragone) deviennent de grandes agglomérations dotées des infrastructures urbaines (égouts, thermes, bâtiments publics) et culturelles (théâtres, œuvres d’art) les plus modernes. Notons que ces agglomérations sont encore aujourd’hui des capitales de province… Partout, dans les campagnes, de riches villas s’implantent, en général de vastes domaines viticoles qui jouxtent de belles demeures patriciennes. Des ateliers d’artisans voient le jour pour la poterie, les armes, les céramiques… Sur la côte, des villas d’un autre type, uniquement dévolues à la villégiature des notables, s’implantent aussi. Vie urbaine, vie paysanne et résidences secondaires, tout est déjà là.

VA4Un réseau dense à redécouvrir

La Via Augusta, véritable arbre de vie de ce monde en émergence. Son tracé part de Panissars puis traverse Figueres, Gérone, Cambrils, Martorell, Barcelone, Sitges, El Vendrell, Tarragone, puis El Perelló avant de plonger en Pays Valencien. Elle confluait en outre avec des déviations vers le Cap de Creus et Sant Pere de Rodes d’un côté, avec la chaussée de Capsacosta en direction des Pyrénées de l’autre. Les vestiges sont rares et épars. Il s’agit le plus souvent de bornes indiquant le nom de l’empereur au pouvoir et la distance en milles romains, jusqu’au relais le plus proche. Ou encore de la découverte d’une route pavée aux ornières pré-creusées caractéristiques.

Gloire et belle ouvrage

Mais parfois, les nécessités du terrain donnent lieu à des merveilles comme le pont du diable de Martorell, magnifiquement conservé, il enjambe encore le Llobregat. Les hauts faits historiques génèrent aussi des monuments comme l’arc de Torredembarra, qui règne encore crânement sur les voies modernes et rappelle la puissance de Rome et l’orgueil de ses conquérants. Ou encore celui de Berà, juste avant le pays Valencien. Un peu partout, les villes ont retrouvé cette lointaine mémoire et les musées archéologiques sont innombrables d’un bout à l’autre de la Catalogne.

De précieux gobelets

Ce sont pourtant d’autres sources qui ont permis l’identification et la définition de la Via Augusta. Et d’abord, quatre étranges objets mnémotechniques. Les gobelets de Vicarello, quatre gobelets d’argent datés de l’époque d’Auguste (fin du Ier siècle avant J.-C.), trouvés près du lac de Bracciano et conservés à Rome au musée des Thermes. Ils décrivent les étapes et les distances d’un itinéraire allant de Rome à Gades (Cadix, en Espagne).On trouve ainsi les noms des villes et des listes verticales de relais, avec le nombre de milles qui les séparent. Ces objets qui mesurent de 10 à 15 cm sont une véritable mine de renseignements.

Des journaux de voyage

Autre source, littéraire celle-là, l’Itinéraire d’Antonin (en latin Itinerarium Antonini Augusti) est un guide de voyage de la Rome antique qui recense les villes-étapes de l’Empire romain, et les distances qui les séparent. Il nous est connu par vingt manuscrits qui vont du VIIe siècle au XVe siècle. Il fait partie des itineraria adnotata, c’est-à-dire qu’il ne comporte pas de représentation cartographique. Cet étrange guide routier couvre une grande partie du monde romain, mais bizarrement pas sa totalité. Il recense et décrit tout de même 372 voies sur 85 000 kilomètres qui sillonnent tout l’Empire, dont la Via Augusta.

Instantané de la Via Augusta

Ces deux sources, confrontées aux bornes et vestiges de voies retrouvés, permettent d’avoir une idée très exacte du tracé de la Via Augusta. Malheureusement, les ouvrages modernes se sont souvent superposés à elle, notamment les routes royales du Moyen-Age, aussi ne dispose-t-on pas de tronçons intacts si ce n’est sur l’une de ses perpendiculaires, la chaussée de Capsacosta. Imaginer 1 500 m de pavage de cette qualité, présentant des pierres creusées d’ornières destinées à éviter les déraillements des chariots et charrettes et les embourbements éventuels dus aux intempéries, a quelque chose de vertigineux. Plus encore, si l’on pense au personnel nécessaire et à la relative rapidité de réalisation.

Sans cette volonté romaine d’établir en Catalogne la deuxième grande ville de l’Empire, sans cet effort sans précédent pour développer l’économie, sans cette voie unique, fleuve nourricier et colonne vertébrale à la fois, sans doute les mentalités catalanes d’hier et d’aujourd’hui auraient-elles été différentes. Avec la Via Augusta, les fées du travail, du commerce et de l’entreprise sont déjà autour du berceau de ce qui sera la Catalogne. Alea jacta es.

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