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Le Bages : A cœur de Catalogne

01 Oct Le Bages : A cœur de Catalogne

Situé en plein centre de la Catalogne, le Bagès est aussi la plus grande comarque du pays, remarquable par sa diversité de paysages et la richesse de son patrimoine.
Le Bagès est l’une des plus grandes comarques de Catalogne, située en plein centre du pays. Malgré la variété des paysages, un lien perceptible unit les différents espaces délimités par les vallées du Llobregat et du Cardener, les vastes plateaux généralement dévolus à l’agriculture et à la garrigue, et enfin les sommets boisés de yeuses et de pins, qui semblent sceller l’enclavement du territoire. Et pourtant… Il s’agit d’un véritable carrefour, une sorte de poste de contrôle des liaisons inter-catalanes, habité depuis la nuit des temps.

Une naissance prometteuse

Et d’abord par l’homme de Neandertal qui a habité les « Coves de Toll » pendant le quaternaire, bien à l’abri dans ces montagnes giboyeuses à souhait. Puis, par les Ibères dont subsiste, quasiment intact, le village de Cogulló. Et bien sûr, par les Romains qui ont défini la vocation agricole de ces terres vouées, dès le second siècle avant JC, à la vigne, au blé et à l’olivier, le triptyque méditerranéen par excellence. Aisément accessible depuis la côte, passage obligé vers la péninsule orientale, le Bagès possédait d’entrée tous les atouts d’un développement harmonieux.

 

Bages2Une terre crénelée

Eu égard à sa position stratégique, entre Lleida et Barcelone, le Bagès est littéralement hérissé de châteaux. C’était la porte de la Vieille Catalogne, la Marca Hispanica définie par les Carolingiens dès le VIIIe siècle comme une sorte de ligne Maginot érigée contre les Sarrasins. Malgré la destruction quasi-totale de l’appareil défensif catalan par le funeste Philippe V, au début du XVIIIe, les châteaux de Balsareny, Castellbell, Castellet, Castellnou, Castellar et Rajadell dressent encore fièrement les vestiges de leur splendeur belliqueuse. Celui de Cardona, immense, spectaculaire, auréolé de sa résistance farouche contre Philippe V, arc-boute sa catalanité irrévocable à la roche. En son enceinte, se dressent la canoniale Sant Vincenç et la tour de la Minyona. Si Balsareny est plus modeste dans ses proportions, son site qui surplombe de 450 m la retenue d’eau qui amorce le canal de Manresa, vous enchantera. Au passage, jetez un coup d’œil à l’adorable ermitage de la Mare de Déu del castell, juste à côté.

 

Bages3Croisée des chemins / chemin de Croisés

Logiquement, la majorité des villages ont conservé leur passé médiéval, leurs rues pavées, leurs voûtes romanes et gothiques. L’architecture civile du Bagès est à la fois un manuel d’architecture, une chronologie minérale et une cartographie de l’économie de la comarca au fil des décennies. Palais renaissants ou baroques jouxtent de grandes demeures modernistes ou d’anciens mas du XIXe siècle, parfois même des bastides. Nous reviendrons sur la splendeur de la capitale, Manresa, l’une des villes catalanes les plus riches, en termes de patrimoine bâti. Ici, se croisent le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle qui monte à l’ouest vers l’Aragon, celui de l’Abbé Oliba, qui fit de l’axe entre Montserrat, les Pyrénées, et au-delà le Roussillon, la colonne vertébrale de sa vie et de son sacerdoce d’évêque et de bâtisseur, ou encore celui d’Ignace de Loyola, fondateur du Saint Office.

Catholique, profondément

Le sillon laissé par le catholicisme est profond, indélébile. A commencer par Montserrat, emblème suprême de la catalanité et haut lieu de spiritualité, le site catalan le plus visité après Barcelone, avec ses deux millions de visiteurs venus admirer l’architecture et l’incroyable cirque montagneux, une vaste cathédrale naturelle de falaises et d’à-pics qui sert d’écrin à la basilique où veille la Moreneta. Indescriptible, la deuxième montagne sacrée des Catalans – après le Canigou – ne laisse aucun visiteur indemne, quels que soient ses centres d’intérêts : spirituel, touristique, artistique (les collections du musée de Montserrat sont de premier plan) ou littéraire. Montserrat est une île de tolérance et de savoir, plantée au plus près des nuages.

Sant Benet, l’esprit catalan

Plus économe de ses mystères, le monastère de Sant Benet est un lieu étrange, une sorte de condensé de Catalogne. L’édifice religieux bâti au Xe siècle a fait l’objet d’une razzia sarrasine. C’est donc sur ses ruines et à partir des mêmes pierres que fut édifié le monastère roman au XIIe siècle. Le cloître présente encore des chapiteaux d’époque, dont certains de la première construction. Placé au XVIe siècle sous l’autorité de Montserrat, il devint une école d’art, puis une maison de retraite pour les moines, avant d’être racheté par la famille du peintre Ramon Casas. L’édifice est alors restauré et décoré par Puig i Cadafalch qui lui restitue toute sa majesté. C’est ici que Ferran Adrià, génie catalan de la cuisine moléculaire a installé sa Fondation Alicia et ses jardins de la cuisine, potagers de haut vol, à la fois conservatoire et laboratoire. Sant Benet mérite que vous lui consacriez une bonne demi-journée !

Terre de bruixes

Les églises et chapelles, innombrables, regorgent de retables baroques. Il suffit de se laisser porter par les petites routes vallonnées, d’en pousser les portes lourdes, et l’enchantement opère. Tant de ferveur n’a pas manqué d’apporter quelques excès. Ici, du côté de Sant-Feliu Sassera, nous sommes sur des terres de sorcellerie et d’ésotérisme. Cette propension à dialoguer avec les forces de l’univers a valu à 23 femmes du cru de finir sur le bûcher au XVIIe et XVIIIe siècle. Des itinéraires balisés permettent de suivre les chemins empruntés par ces guérisseuses, sages-femmes, qui ont payé de leur vie l’acquisition de connaissances interdites.

Au creux des forêts

Ces chemins traversent des forêts profondes de pins blancs ou maritimes, et de chênes rouvres ou verts. Presque deux tiers du Bagès sont couverts de bois. La mémoire des charbonniers et des bûcherons fait d’ailleurs l’objet de fêtes traditionnelles, tandis que les champignons, abondants, divers et inépuisables, constituent l’une des bases de la gastronomie. Les parcs naturels y sont nombreux : parc naturel de Sant Llorenç i l’Obac, Geoparc catalan central, Parc naturel de la Montagne de Montserrat. Sauvage, préservé, le Bagès est idéal pour tous ceux qui aiment marcher à la rencontre de nouveaux paysages.

Une terre généreuse

Un cinquième du territoire du Bagès reste dévolu à l’agriculture. L’empreinte des Maures y est déterminante, notamment à travers le canal de Manresa qui détourne sur 26 km les eaux du Llobregat, pour irriguer la plaine fertile. Orge, blé, chanvre, tournesols, colza, dessinent un tapis velouté, étoilé d’éclats de jaune vif. Un peu plus loin, là où l’eau se fait plus rare, à flanc de coteau, apparaissent la vigne et l’olivier, émaillés d’amandiers centenaires. Dans le secret des mas isolés, l’élevage des porcs et des bovins constitue une branche d’activité en pleine expansion. Quoique très réduit, le vignoble donne des vins de haute tenue, d’appellation Pla de Bages. Pour leur part, Les produits agro-alimentaires bénéficient, par ailleurs, d’un label : « Rebost de productes naturals del Bagès ».

L’éclat du sel

Malgré le caractère plutôt riant du paysage, le hiératisme cambré des massifs semble receler un mystère, une gravité étrange. C’est qu’ici régnait autrefois la mer. Regarder les paysages de ce point de vue, comme s’ils étaient des fonds sous-marins, c’est comme mettre des lunettes 3D, ou traverser une chambre noire. Tout s’éclaire de l‘intérieur. A commencer par les montagnes de sel de Cardona, une curiosité absolue. Une sorte de diamant brut dont la blancheur se tapit au cœur de la terre pour livrer ses transparences diaprées et balafrées de noir. Le château de Cardona lui-même, inexpugnable, se dresse sur une montagne… de sel !

Terre de labeur

L’homme a vécu au creux de cette terre depuis des millénaires. En témoignent cabanes, galeries, tronçons de voie ferrée et surtout, colonies ouvrières aujourd’hui désaffectées. Le site minier n’a été abandonné qu’en 1991 ! La montagne a longtemps accueilli en son sein le dur labeur des hommes acharnés à en extraire l’or blanc. L’industrie s’est tout naturellement implantée sur ces terres, favorisée par la présence des deux fleuves, le Cardener et le Llobregat et leur puissance motrice qui permettait l’installation de moulins et de turbines. Dès le Moyen-Age, les moulins à huile ou à grain balisent les cours d’eau, et l’artisanat se développe.

Industrielle par nature

L’industrie textile, déjà présente sous forme de mégisseries artisanales, s’est donc imposée dès le début du XIXe siècle, avec ses villages ouvriers autarciques, dotés de leur propre église, de leur économat et de leur café ! Abattoirs, minoteries, moulins à huile et caves portent encore aujourd’hui un secteur agroalimentaire florissant. La métallurgie, la chimie, la fabrication d’accessoires automobiles et de matériel électrique sont venus remplacer le textile et donner du travail aux habitants de la comarca. D’autant que cette aventure industrielle se donne à voir et à comprendre à travers tout un réseau de musées et de centres d’interprétation aussi passionnants que ludiques !

Le Bagès est un inépuisable réservoir d’émotions. Vous pourrez y réveiller le Thierry La Fronde qui sommeille en vous, y succomber aux sortilèges des bruixes, rêver à la révolution industrielle, vous abandonner au rythme de vos pas le long des sentiers magnifiques qui vous entraînent dans le sillage des pèlerins ou des mineurs de fond et vous recueillir à Montserrat. Qui dit mieux ?

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