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Le Raval : Né du peuple

01 Avr Le Raval : Né du peuple

Plus connu sous le nom de Barrio Chino, le Raval de Barcelone a pourtant une histoire rurale, chrétienne et industrielle assez méconnue. Petite séance de démythification…
Le Raval est si intimement lié à la vie de Barcelone qu’il a donné un verbe, « ravalejar », c’est-à-dire, se promener dans le Raval. Il faut dire qu’il a une histoire aussi contrastée que passionnante ! Tout commence avec les remparts concentriques, successivement construits par les rois catalans Jaume 1er (1268) puis Pere le Cérémonieux (1348) car c’est à leurs pieds que s’étend alors le Raval, essentiellement agricole et promis à le rester. C’est alors une zone de fermes, de petites étendues maraîchères, et de pacage ou s’ébattent vaches, porcs et moutons. Une vraie campagne, coupée de la ville par des portes et des péages, et ouverte sur la mer au sud. Malgré la proximité de la ville et son expansion prévisible, les choses sont appelées à une certaine immobilité. En effet, la mise à l’écart de la Catalogne, privée par décret royal de commerce avec les Amériques, alliée à la succession de guerres et d’épidémies qui frappe le pays aux XIVe et XVe siècles, coupe toute velléité de développement. Ce gel apparent va durer jusqu’au début du XVIIe siècle !

Le secours du ciel

Le salut du Raval viendra de l’église et du Concile de Trente. Effrayée par l’avancée rapide de la Réforme dans le nord de l’Europe, la hiérarchie catholique décide de passer à la contre-offensive. La vénérable institution entame alors une entreprise de séduction sans précédent auprès des fidèles, par la construction de chapelles, de couvents, de monastères qui doivent devenir les « palais du peuple », l’émerveiller par leurs décors, leurs dorures, leurs volutes. On construit donc à tour de bras, dans tout le monde catholique, en pleine effervescence baroque. Malgré le fait que la Réforme soit, dans la Péninsule, totalement inexistante, le monde ibérique est saisi d’une véritable fièvre missionnaire. Entre le XVe siècle et les lois de désamortissement du XIXe, qui voient l’état se réapproprier les terres possédées par les congrégations et ordres religieux, le Raval devient donc une terre de couvents, de chapelles et d’églises, à un jet de pierre de la ville : un assez joli pied-de-nez quand on connaît son avenir…

Malgré l’Espagne, toujours…

La proximité du port et des chantiers navals – les Drassanes se trouvent juste au sud du quartier – pousse pourtant irrésistiblement dans un autre sens que celui de la contemplation et de la prière. Elle dope l’artisanat, le commerce et la petite industrie. Si la face maritime regorge déjà de gargotes et de boîtes à marins comme dans tous les ports du monde, avec leur cohorte de filles faciles et de mères maquerelles, on voit apparaître au XVIIe des filatures et des usines au milieu des champs et jardins. Une fois de plus, la Catalogne exploite les failles de l’Espagne : les monarques espagnols ont interdit l’importation de tissus, et bien qu’importe, on va en produire, et en masse ! Peu à peu, des logements se construisent pour les ouvriers de ces usines, souvent des paysans qui fuient les campagnes frappées par la crise agricole, le phylloxéra, la pauvreté. Le Raval devient alors le quartier industriel le plus dense d’Europe et le catalan Erasme Gònima est à la tête de la plus grande filature du monde ! Et oui, chers lecteurs, encore un fait avéré et méconnu ! Ce n’est pas l’Angleterre qui a alors le primat de la révolution industrielle, mais bien la Catalogne que son développement place alors carrément dans un autre monde que le reste de la péninsule ibérique, sur un pied d’égalité avec les puissances du nord.

De sueur et de larmes

La journée de travail dure certes 12 heures mais l’exploitation de cette main-d’œuvre bon marché et intergénérationnelle (On commence à travailler à dix ans, et généralement on en meurt) s’avère payante pour les industriels nouvellement enrichis. En 1829, le Raval compte 74 fabricants et 647 machines à filer. C’est une véritable termitière, laborieuse et surpeuplée, qui voit apparaître toutes les problématiques liées au salariat, à la condition ouvrière, à l’hygiène publique et à la scolarisation. Un véritable laboratoire qui porte le germe de toute l’histoire ouvrière de l’Espagne et qui annonce les grands bouleversements à venir. Evidemment, tant de pression sociale en un seul et même lieu constitue une véritable poudrière et un terrain de jeu pour les forces en présence. Comme ce sera le cas plus tard, deux logiques s’opposent déjà : une logique caritative qui consiste à accompagner la misère en l’adoucissant mais sans rien changer à la structure qui la génère et une approche plus radicale de libération du prolétariat. Encore, cette dernière approche n’est-elle pas monolithique : dans le Raval s’opposent déjà les anarchistes et les marxistes. Tout est prêt pour l’affrontement. Tout est écrit de ce qui sera le drame républicain.

Le rouge et le noir

Ainsi, la suppression des soupes de charité déclenche-t-elle un soulèvement populaire sans précédent, aussitôt doublé de l’exigence de voir le temps de travail limité à 10 heures par jour. Les ouvriers s’organisent, se regroupent, se parlent et se dotent de leaders qu’ils érigent en porte-parole. Cet embryon de syndicalisme est appelé à faire date et exemple. C’est logiquement dans le Raval qu’apparaît le premier Congrès Ouvrier de l’état espagnol. Le grand syndicat catalan du textile adhère à la première internationale et c’est rue des Tallers qu’est écrite la convocation de l’ensemble des délégués de l’Etat espagnol pour fonder l’UGT. Côté associatif, le mouvement choral ou le mouvement des femmes émergent avec force pour faire entendre la voix de ce petit peuple en marche vers sa liberté. A la pointe de tous les combats, le Raval est l’exemple même d’une société en pleine mutation dont les élites bourgeoises peinent à accepter l’émergence d’un nouveau rapport de forces : le Raval entre dans la modernité et montre le chemin du XXe siècle, bien avant que le calendrier n’en affiche la réalité.

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