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LE TEMPS BENI DE PÂQUES

30 Jan LE TEMPS BENI DE PÂQUES

Avec le printemps arrive chaque année le joli temps de Pâques. Pendant une semaine, les villes et les villages mettent en scène les épisodes bibliques de la fin de la vie de Jésus : un véritable catéchisme vivant qui accompagnait autrefois la sortie du Carême, portant les âmes de la plus profonde affliction à l’espérance éternelle. Le génie populaire s’est chargé d’ancrer autour de ce fonds sacré des coutumes plus païennes et un sens de la fête qui ont permis aux traditions pascales d’arriver jusqu’à nous quasiment intactes.

Sur un air de rumba        

Pour les Rameaux, les parvis des églises se couvrent d’enfants chargés de branches de palmier ou de lauriers couverts de friandises qui commémorent l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et sa proclamation par la foule comme Sauveur. Dans le genre, la palme, justement, revient à la fête gitane de l’église Saint Jacques de Perpignan, où les choses finissent en musique, en rumba et en fête populaire pour la plus grande joie de la foule venue en nombre. Petit détail, les gitans nord-catalans se sont convertis à l’évangélisme depuis des décennies mais n’ont pas renoncé à cette fête-là !

Comme au théâtre

Après cette belle journée commence la Semaine Sainte proprement dite, plus sombre, qui voit Jésus marcher inexorablement vers son destin. Il faut imaginer qu’à l’époque, c’était une semaine quasiment chômée, tant les offices religieux étaient nombreux, accompagnant presque heure par heure la lente marche vers la mort. Et il ne faut pas oublier que l’immense majorité de la population était totalement analphabète. Aux livres d’images que constituait la statuaire, s’ajouta alors une dimension théâtrale : les mystères.

Des personnages vivants

Il s’agissait de jouer les épisodes bibliques dans les églises pour donner chair aux personnages de pierre ou de bois qui les peuplaient, exactement comme pour les pessebres vivants. Vers le XIIe siècle, on commença donc à sortir ces statues sacrées et à les promener dans les villages ou vers les ermitages en lentes processions. L’évènement concernait alors essentiellement les saints patrons ou la vierge, lors de la fête votive, mais on trouve dès le XIVe siècle, mention des processions commémorant la Passion du Christ.

Nomade ou sédentaire

De cette racine commune, les mystères médiévaux, sont nées deux traditions bien distinctes : les grandes processions pascales proprement dites et les représentations théâtrales en un lieu fermé, mettant en scène au sens littéral du terme, toute la dramaturgie qui accompagne le jugement et la mort de Jésus. Du nord au sud, vous n’avez que l’embarras du choix, si vous voulez partager une vraie fête populaire et mettre vos pas dans ceux des chrétiens d’autrefois, en proie aux plus folles terreurs et à la foi la plus absolue.

La Sanch en majesté

Au nord, la star absolue, c’est la Sanch, dans sa version diurne perpignanaise et nocturne colliourenque. Elle a lieu le Vendredi Saint. Autrefois, il s’agissait pour la puissante confrérie de la Sanch (du sang du Christ) fondée par Saint Vincent Ferrier, d’accompagner les condamnés à mort pour qu’ils meurent dans la foi chrétienne, quels que soient leurs crimes. Des pénitents cagoulés, souvent pieds nus, portent à travers les rues étroites de la capitale nord-catalane les « misteris », suivis par des femmes portant mantilles noires.

Au cœur de nos villages

Le son lugubre du tambour accompagne les pauses autour de reposoirs fleuris, qui symbolisent les quatorze stations de la montée au Golgotha. Même ferveur, plus modeste et plus prégnante encore, sous les ogives du cloître gothique d’Arles et dans les jolies rues pentues de Bouleternère, en nocturne dans les deux cas, juste éclairées par les torches des pénitents. De génération en génération, les gens défilent, solennels, conscients d’accomplir un devoir que d’autres longtemps avant eux, ont rempli.

paques3Magnifique Girona

Mais bien sûr, vous pouvez trouver là un prétexte en or pour tracer vers le sud… le vieux quartier de Girona, blotti autour de l’incroyable escalier monumental qui mène à la cathédrale, vibre sous les pas d’une légion romaine aux costumes rouges et dorés, les manaies. Comme autrefois, la procession traverse le call, étrange télescopage des traditions et des imaginaires. La foule, immense, silencieuse, joue son propre rôle.

Le Grand Enterrement

Nous reviendrons sur la procession de Verges, la plus incroyable avec sa danse macabre, qui mérite un chapitre particulier. Si vous voulez de l’exceptionnel, du grandiose, il faut opter pour la capitale religieuse : Tarragone, siège de l’archevêché. Là, la procession prend un nom solennel : le Grand Enterrement. Plus de trois mille personnes défilent, en musiques et en chants liturgiques, envahissant les ruelles du vieux quartier derrière les misteris et les drapeaux des confréries.

L’éternité pour repère

A Tarragone, le temps semble obéir à d’autres lois. A deux pas des pénitents, des ruines de basiliques paléochrétiennes. Un peu plus loin, une nécropole, chrétienne également. Ici, il ne semble pas y avoir eu de coupure entre ces premiers chrétiens, souvent martyrs, et les hommes du Moyen-Age dont s’inspire la procession. Cet enracinement au cœur des siècles confère à l’ensemble une solennité indescriptible.

Une myriade de confréries

Derrière la Royale et Vénérable Congrégation de Notre Seigneur Jésus-Christ vient la cohorte romaine, composée d’une quarantaine de fantassins, d’un joueur de trompette et de six joueurs de tambour. Pas moins de vingt confréries les suivent. Chacune a son propre ensemble musical et son propre chant qui illustre une des scènes de la passion du Christ. Sacs de gemecs et tambours constituent l’essentiel de cet instrumentarium de circonstance, sans cacophonie aucune, tant le tout est orchestré et millimétré.

paques4Impressionnant

Jardiniers, pêcheurs, paysans, anciens élèves d’écoles religieuses, congrégations aux noms incroyables « congrégation du vénéré corps de Jésus lors de la descente de croix », marchent fièrement derrière leur bannière pour accompagner le Christ dans sa marche vers la mort. Les torches nimbent le tout d’une étrange lumière. La sobriété même de cette procession codifiée par des siècles de pratique, suscite la gravité silencieuse de la foule. Un spectacle très impressionnant qui se termine par une messe dans la cathédrale.

Petit village et grand théâtre

Si vous aimez le théâtre, plus ludique, plus direct, tracez donc sur Olesa de Montserrat. A l’entrée du village, un bâtiment blanc à l’architecture moderne ne manquera pas de vous interpeller : né des fêtes de Pâques et pour les fêtes de Pâques, ce théâtre d’un genre particulier possède l’une des plus grandes scènes d’Europe : 780 m² ! La fosse d’orchestre mozartienne n’est pas en reste et il faut bien ça pour que la fête continue !

Musique au top

Tous les ans, ici, selon une tradition dont les premières occurrences apparaissent en 1538, la Passion du Christ est mise en scène, jouée par des amateurs éclairés, et rythmée par la musique. La partition actuelle fut composée en 1997, par Josep Maria Roma, puis enregistrée par l’Orchestre symphonique du Vallès, placé sous la direction de Salvador Brotons. Le spectacle se joue pendant plus d’un mois, à guichets fermés, devant des spectateurs venus de toute la Catalogne.

paques2Expérience totale

Mais rien ne s’approche de l’expérience totale que vous propose Esparraguera. Là encore, il s’agit de représenter la passion sur scène, mais il vous faudra y consacrer toute une journée, répartie en deux séances, l’une le matin, l’autre l’après-midi. 100 comédiens, 400 figurants, un orchestre et un chœur vous transportent à Jérusalem, il y a 2 016 ans. L’événement attire pendant plusieurs semaines, des milliers de visiteurs.

Suspense et action

La première partie du spectacle est consacrée à la vie publique de Jésus et aux épisodes de l’évangile correspondants : choix des apôtres sur le lac de Tibériade, sermon de la montagne, multiplication des pains, guérison du lépreux, résurrection de Lazare, cène… La seconde se penche sur son procès, le reniement de Pierre, ses doutes au jardin des oliviers, puis enfin sur sa condamnation et son supplice.

Spectacle total

La musique, composée en 1976 par Josep Borras, souligne la dramaturgie avec beaucoup de puissance, dans la grande tradition des chorals inventée en son temps par Jean-Sébastien Bach. Et évidemment, comme à Olesa, tout se déroule en catalan ! Un spectacle total qui enchante petits et grands : comme toujours devant les répertoires classiques, connaître la fin de l’histoire n’empêche pas le suspense et l’émotion.

Continuité assurée

Au sud, toutes ces manifestations ont obtenu de la Generalitat le label « manifestation d’intérêt national » qui en garantit la transmission et le maintien. Si vous optez pour les processions, ce sera forcément le jeudi ou le vendredi saint. Mais si vous choisissez la forme théâtralisée, les séances de rattrapage sont nombreuses et les réservations possibles sur internet. Dans les deux cas, attendez-vous à être submergés par cette émotion particulière qui accompagne l’authenticité : c’est ça, au fond, la culture populaire.

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