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L’épopée du Byrrh

02 Juin L’épopée du Byrrh

La fantastique success-story de deux frères muletiers guidés par une insatiable curiosité et une grande imagination. Biographie d’un apéritif de légende : Le Byrrh.

Vers 1860, deux frères originaires de Corsavy, dans les hauteurs sauvages du Vallespir, décident de transcender la modestie de leurs origines en quittant l’état de paysans, et la perspective de succéder à leur père en tant que muletiers. Ils deviennent marchands ambulants. Armés de simples mulets qui transportent leur commerce de village en village, Pallade et Simon Violet vendent tissus et colifichets sur les marchés et dans les mas, avant d’amasser assez d’argent pour pouvoir ouvrir une boutique à Thuir, la capitale des Aspres, célèbre pour son activité commerciale multiséculaire. 

Médicament ou apéritif ?

Une fois sédentaires, et devenus des marchands reconnus d’étoffes et de tissus, ils décident d’acheter une petite cave vinicole pour accompagner la folle expansion de la viticulture. Nous sommes en 1866. Les deux frères se mettent en tête d’élaborer un vin apéritif aromatisé au quinquina qu’ils commercialiraient en pharmacie, en vantant ses vertus toniques. L’initiative n’est pas du goût de l’ordre des pharmaciens car le quinquina était considéré comme un produit médicinal et ne devait, en l’espèce, être manipulé que par des apothicaires dûment agréés. Les pharmaciens de Montpellier leur intentent un procès. Le médicament va donc devenir un apéritif, baptisé par hasard de la référence d’un rouleau de tissu : B.Y.R.R.H, bien qu’une autre légende tenace veuille qu’il s’agisse là d’initiales de noms féminins, correspondant aux dames de cœur des deux frères. Pour les pays du nord, Byrrh ressemble beaucoup à l’anglais Beer ou à l’allemand Bier, et la confusion ne permet pas un décollage vertical des exportations.

1930 : la gloire médiatique

Rien de tel dans les pays latins, où le breuvage, vraiment tonifiant, mais surtout délicieux, dans son inimitable équilibre d’arôme d’orange, de café, de sureau et de quinquina connaît le succès. L’épopée du Byrrh est en marche. Très vite, le Byrrh devient une boisson incontournable et connaît un destin réellement international. Les descendants de Simon et Pallade ont bien compris la leçon et surfent sur la légende, amassant au passage une véritable fortune, faisant aussi la prospérité de Thuir et de ses environs. Gustave Eiffel en personne, construit la grande verrière des ateliers de Thuir qui accueillent des fûts de dimensions inusitées pour permettre à la noble boisson de vieillir en beauté dans les effluves de vieux chêne. Exporté grâce au mataburros, la voie ferrée qui relie directement les établissements Violet à la gare de Perpignan, le Byrrh fait l’objet de techniques commerciales modernes et le modèle paternaliste adopté par les patrons fidélise des générations d’ouvriers et de cadres. Dans les années 30, le Byrrh est devenu la star des zincs, porté par une campagne publicitaire moderne basée sur la fresque murale et l’affichage.

Un must

Pas un village de France, pas une gare, pas un café de province ne résiste à la Byrrhmania. Le long des routes, le moindre mur aveugle accueille la marque, et souvent des répliques des fantastiques affiches Art Nouveau, qui assurent au breuvage une nouvelle clientèle, très prescriptrice, les femmes. Avec de l’eau de Seltz ou du Picon, le Byrrh s’adoucit et devient l’élément de sophistication obligatoire de tout cocktail réussi. Le Byrrh séduit, il fleure bon un mélange d’enracinement et d’exotisme. Il faudra l’avènement des vins doux naturels pour marquer son recul commercial. Entre-temps, les usines Byrrh de Thuir se seront dotées du fût le plus grand du monde et elles auront occupé des centaines de travailleurs, avant d’être rachetées par la maison Cusenier.

La mémoire préservée

Après quelques années de relative discrétion, les caves Byrrh, qui restent encore partiellement en activité, sont redevenues l’atout majeur de la ville de Thuir, et au-delà, la locomotive touristique de tout le territoire. 300 000 visiteurs viennent tous les ans de tous les horizons pour découvrir les établissements conservés dans leur jus, l’incroyable nef dessinée par Eiffel, mais surtout, la fantastique histoire des frères Violet, fils d’un simple muletier du Vallespir, parvenus à force de travail et d’intelligence, à forger une véritable légende. Patiemment, les affiches signées des plus grands designers de leur temps ont été retrouvées et exposées. Films, mappings, diaporamas, accompagnent les visiteurs et les propulsent au cœur du mystère. Comédiens, musiciens, cuisiniers et sommeliers invitent à une grande fête des sens qui ravit le public. Avant de quitter les lieux, un kiosque Byrrh somptueux et intact offre son zinc pour une dégustation qui va bien au-delà du gustatif. Plutôt une plongée dans un monde que les saveurs du quinquina font renaître. Derniers nés des enfants Byrrh, après les ateliers de cuisine des Toques Blanches, une école de sommellerie partagée entre Thuir et Banyuls, et une visite en musique, histoire de ne pas perdre une émotion. Gageons que les frères Violet, du haut de leur nuage, trinquent à l’avenir !

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