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L’Osona, Sauvage et authentique

01 Oct L’Osona, Sauvage et authentique

C’est une région souvent méconnue des nord-catalans car située dans l’arrière-pays de Barcelone et Girona, entre mer et montagne. Pourtant, l’Osona, qui gravite autour de son chef-lieu, Vic, offre le charme de paysages incroyables, qui ont su inspirer de grands artistes et hommes de lettres. Balade entre champs de blé et impressionnants massifs rocheux, cascades et petits villages authentiques.
Un clocher d’église pointant le nez hors de l’eau d’un immense lac… L’image, insolite, est connue par-delà les limites de la région de l’Osona. Mais la découvrir de ses propres yeux reste surprenant. Ce matin, l’église ne dévoile qu’un petit bout de son sommet, le barrage de Sau étant bien rempli. Car la hauteur visible du clocher est devenue, pour les habitués du lac, un indicateur du niveau de l’eau. Sa présence rappelle aussi au promeneur une étonnante réalité : à ses côtés, immergées à plusieurs mètres de profondeur, se trouvent les ruines d’un village oublié, Sant Romà de Sau. Le plan d’eau est aujourd’hui devenu le terrain de jeu des sportifs de pleine nature et des familles, en quête d’un lieu paisible pour pique-niquer le week-end. Ici, dans la petite région des Guilleries, nous nous trouvons au nord-est de Vic, le chef-lieu de la comarca (canton) de l’Osona, qui se situe sur une ligne nord-sud entre Ripoll et Barcelone, à l’ouest de Girona et Olot.

Osona3Vallées verdoyantes et plaine céréalière

L’Osona se compose d’une plaine autour de Vic, noyau central économique et culturel, entouré de plusieurs petites régions : hormis les Guilleries, on trouve le Montseny, au sud-est, l’Alt Congost, à l’extrême sud, le Lluçanès, au nord-ouest, et les trois micro-régions d’El Bisaura, du Vall de Ges et du Cabrerès, situées au nord-est. Autant de dénominations différentes que de paysages variés ! Des plaines céréalières aux plateaux, en passant par les forêts de chênes et les vallées toutes en rondeurs, l’Osona offre une palette aussi contrastée qu’authentique de la Catalogne. Le long des petites routes de campagnes et des chemins de terre, on ne boude pas le plaisir d’un calme campagnard épargné par le tourisme de masse qui sévit à quelques kilomètres d’ici, sur la Costa Brava. Mais ce charme d’arrière-pays ne résume pas l’Osona. Ici se trouve l’âme catalane, ses racines, sa vérité. Vic n’est-elle pas la ville de toutes les traditions ? Sardanes hebdomadaires, fêtes et foires… Ici la culture catalane se vit, au-delà du folklore, comme une réalité quotidienne. Ici, de grands artistes et poètes ont vécu, créé, se sont révélés. Ici les traditions culinaires restent très présentes. Ce sont toutes ces réalités, qui transpirent de l’Osona, que le visiteur découvre au fil de ses pérégrinations. Balade qui commence, donc, par ce superbe barrage de Sau.

Aux pieds du Parador, l’étang de Sau

Si le clocher de Sant Romà se laisse voir de près depuis notre position actuelle, près du Club Nautic de La Riba, c’est en esquissant un grand tour du barrage que l’on découvrira l’une des plus belles vues sur le site : on accède, après le col de Terrades, à un endroit situé sur la commune de Masies de Roda, dominant la retenue d’eau. L’Etat espagnol ne s’y est pas trompé, en ouvrant ici le Parador de Vic-Sau, fameux hôtel haut de gamme. Depuis les colonnes de la terrasse de cette grande bâtisse en pierres blanches et grises, c’est un splendide paysage qui se déroule aux pieds des vacanciers. Derrière le lac, immense, s’étirent les montagnes ocres et blanches des Guilleries. C’est dans ce massif aux bois luxuriants que le célèbre bandit Serrallonga se cachait après avoir commis ses forfaits. Les Guilleries évoquent aussi un paysage mystérieux fait de monastères, de châteaux oubliés et de chapelles. Car dans les terres de l’Osona, les légendes et l’histoire sont partout. Ici-même, au Parador de Vic-Sau, un acte important de l’histoire de la Catalogne s’est joué. Du 12 au 15 septembre 1978, on y rédigea l’avant-projet de statut de la Catalogne, plus connu sous le nom d’ « Estatut de Sau ». Une statue représentant une femme portant un enfant à bout de bras rappelle cet acte fort, précurseur de la Catalogne autonome. Un paysage sublime pour une revendication politique qui se voulait tout aussi impérieuse.

Art roman

La route poursuit son chemin surplombant le barrage et, après être passée sous le Puig dels Moros, point culminant à 582 m, on accède au monastère Sant Pere de Casserres. Plus de mille ans qu’il observe le cours de l’eau, depuis l’un des méandres du fleuve Ter. De l’avis des connaisseurs, ce monastère est un superbe édifice d’art roman lombard, l’un des plus remarquables en Catalogne. En poursuivant vers l’Est, on accède au petit village de Tavertet. Maisons en pierre, fleurs aux façades… Rien ne dépare de ce charmant village de montagne un peu endormi en semaine. Les citadins l’ont visiblement élu pour y poser leurs valises le week-end. Depuis la falaise, la vue sur la vallée est époustouflante. A quelques encablures de là, Rupit est tout aussi charmant. On passe un petit pont suspendu peu rassurant pour accéder au cœur du village. Murs à l’ancienne, là encore, et sols en dalles de pierre… Tout ici séduit immédiatement.

Des saucissons de deux mètres !

En face d’un balcon rempli d’outils traditionnels de paysans, la vitrine de la charcuterie de Laura attire le regard. De très grandes llonganisses (saucisses sèches) sont pendues… Certaines font jusqu’à deux mètres de haut ! A l’intérieur, peu de choses ont dû changer depuis l’ouverture du magasin, voilà quelque soixante ans. L’Angeleta, la mère de la patronne actuelle, raconte volontiers cette époque révolue où la « matança del porc » se déroulait en pleine rue. Il y avait alors foule, pour tuer le cochon. Aujourd’hui les nouvelles normes sont passées par là, mais la charcuterie reste une institution. La culture n’est pas seulement culinaire en Osona. L’Est de la région est aussi un formidable terreau de talents littéraires. Pour découvrir cette richesse, nous poursuivons la balade vers Folgueroles, le village du célèbre poète catalan Jacint Verdaguer.

Osona2Le village de Jacint Verdaguer

Ici, l’âme du vicaire et homme de lettres est encore présente, à chaque coin de rue. Sur la place principale, un monument indique qu’il naquit ici, le 19 mai 1845. Sur les murs de la moindre rue, des plaques citent ses vers. Une grande mélancolie monte alors de ces ruelles a priori comme les autres. Comme cet extrait de « Muntanyes regalades » du livre Canigó : « tota la nit he filat vora l’estany de Banyoles, al cantar del rossinyol, al refilar de les goges. Mon fil era d’or d’argent la filosa ; los boscos veïns m’han pres per l’aurora ».Sur la façade du 18 carrer de Sant Jordi, on apprend que Jacint Verdaguer a vu le jour ici. Non loin, un musée lui rend hommage. Sur la place qui porte son nom, une autre maison, aujourd’hui transformée en boucherie, indique qu’il a vécu ici, de 2 à 18 ans. Le village tout entier vit dans la descendance de cet écrivain romantique ultra-reconnu. Une route permet même de le découvrir. Mieux, on est allé jusqu’à imiter sa signature dans la forme d’un cours d’eau qui coule non loin ! Sur les photos aériennes, son nom se lit à la perfection. Mais Verdaguer n’est pas l’unique illustre poète de l’Osona. Miquel Martí i Pol, décédé en 2003, très populaire et vénéré, notamment, par l’artiste Lluís Llach, qui collabora avec lui, est né non loin, à Roda de Ter. Cap sur cette petite ville, dans laquelle il passa toute sa vie. Étrange cité coupée en deux par un immense pont, dans laquelle cohabitent immeubles restaurés et vieilles façades décrépites. Là aussi, une route rend hommage au poète. On y découvre les lieux qu’affectionnait Miquel Martí i Pol, le site de l’ancien centre paroissial dans lequel, adolescent, il faisait du théâtre pendant l’après-guerre, l’école où il allait,… De quoi ravir les fans du poète catalan contemporain le plus lu.

Viladrau, villégiature de riches barcelonais

En poursuivant notre route vers le sud de la « comarca », nous quittons la route des hommes de lettres pour parcourir celle des collines enchantées du Montseny, qui s’étalent aux portes du parc naturel éponyme. Cap sur Viladrau, charmant village perdu dans la forêt, que l’on atteint après quelques montées et virages dans le maquis. De prime-abord, un village comme un autre, avec sa place vivante, sur laquelle les livreurs stationnent le temps de décharger leurs cargaisons. Les commerces voisins sont alléchants : pâtisserie, épicerie, et – comme il se doit en Osona – charcuterie. Le clocher est superbe, coloré de vert, jaune et rouge. Une grande affiche indique la date de la prochaine « botifarrada popular » (repas à base de boudin). Visiblement, il fait bon vivre à Viladrau. C’est également ce qu’ont dû penser les propriétaires des nombreuses résidences secondaires que l’on découvre, à demi éclipsées par de grands arbres, sur la colline d’en face. Si certaines n’hésitent pas à se baptiser pudiquement « la cabane » ou « le casot », ce sont de superbes propriétés qui s’étalent ici. La bourgeoisie barcelonaise a choisi cette région calme et verte pour les beaux jours, voilà plus d’un siècle, à la faveur du thermalisme de la région. Depuis, aux portes du Montseny, la qualité de vie est restée parfaite. Une qualité que l’installation d’un golf n’a altérée en rien… Et des paysages que le patrimoine de la région enrichit forcément. Églises romanes, châteaux,… La richesse locale est grande.

Châteaux et églises cachés

On admire notamment le château le Centelles, la vieille tour de Tona, ou encore l’étonnante église de Sant Martí del Brull, à la pierre rouge. Mais le secteur le plus authentique de l’Osona est sans aucun doute le Lluçanès. Fait de collines blanches, plantées de pins et de champs de céréales, ce coin de Catalogne semble abandonné de Dieu et des hommes, à des millions d’années-lumière de la frénétique Barcelona. Pourtant, dès que l’on passe la porte d’un café, la vie saute aux yeux. A Perefita, petit village plongé en pleine torpeur de mi-journée, nous entrons dans le bien nommé « café del mitg » (du milieu). Un petit bar de village sans prétention, dans lequel la télévision diffuse les dernières nouvelles. Une grappe de gamins se chamaille en attendant l’heure de partir à la piscine. Au comptoir, un grand-père déguste avec application des supions accompagnés d’un demi bien frais. Le patron sert une salade arrosée d’huile d’olive, l’entrée du jour, à une clientèle du coin. Derrière son comptoir, le père de la patronne, Jaume, raconte volontiers le Perefita d’hier et d’aujourd’hui. « Il y avait 700 habitants il y a cinquante ans, aujourd’hui on est 400 tout au plus » se lamente-t-il. Où sont les jeunes ? A Barcelone, partis travailler. Les habitants de Perefita comptent encore toutefois sur les industries locales : « on produit du fromage, de la llonganissa, et la coca de Peyrefita (pâtisserie, ndlr) » explique Jaume. Le village a certes perdu des habitants, mais visiblement pas son âme. Dans cette partie de l’Osona aussi, le poids de l’histoire et des légendes est fort. C’est ici, dans le Lluçanès, que sévissait le chef de bande Perot Rocaguinarda, du groupe des Nyerros.

Cervantes et le bandoler Rocaguinarda

A la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, ce groupe de bandits luttait sans merci contre un autre, les Cadells. Perot Rocaguinarda reste aujourd’hui encore, avec Serrallonga, parmi les « bandolers » les plus connus de Catalogne, alimentant nombre de légendes… En partie grâce à l’écrivain Cervantes, qui perpétua la mémoire de Rocaguinarda en lui faisant partager trois jours avec Don Quichotte dans son œuvre ! Aujourd’hui, entre Oristà et Sant Feliu, subsistent les restes de la ferme natale du chef de bande. Et sur le rocher des Tres Còdols, des dessins sont gravés… Parmi eux, la signature du bandit. Nous quittons ces terres de mystères pour un dernier périple, qui nous mènera jusqu’à la frontière de la Garrotxa, en longeant le translucide fleuve Ter, puis la rivière Ges. Une route sinueuse que l’on n’osera appeler « chemin de traverse » tant elle épouse patiemment les formes des collines et grimpe, indubitablement, vers la montagne, ignorant superbement la voie rapide qui suit la même direction, de l’autre côté de la vallée. La porte de l’Osona se referme majestueusement, par le franchissement du col « dels Bracons ». La route tourne le dos à l’immense forêt qui s’engouffre vers le fond de vallée et s’élance, tout schuss, vers la Garrotxa, ses volcans et ses montagnes. Un autre monde, dans une même Catalogne.

 

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