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L’Urgell : un vitrail catalan

13 Mai L’Urgell : un vitrail catalan

Riant, charmant, convivial et splendide, l’Urgell vous attend avec ses splendeurs patrimoniales, son agriculture riche, sa gastronomie artisanale et familiale et ses paysages aussi beaux que contrastés. Une destination touristique encore méconnue qui vaut le détour.
En quelques kilomètres carrés, cette comarca (région), cloisonnée par trois fleuves et le canal de l’Ebre, façonnée par les cicatrices durables d’une histoire mouvementée, présente une incroyable diversité de végétation, de relief, de sites, mais surtout un patrimoine culturel exceptionnel et joliment dispersé, à butiner sans modération.

Le roman, pierre angulaire

L’Urgell s’est structuré autour de la romanité et à ce titre, possède de magnifiques villages fortifiés construits selon un plan hélicoïdal médiéval, striés de venelles étroites et entourés de remparts comme Guimera ou Agramunt. Ne ratez pas non plus La Fullosa qui conserve sa particularité de ville close et ses cases pairals. A Agramunt, ouvrez grands vos yeux : un chef-d’œuvre de l’école de Lleida vous attend, l’église romane dont les deux portails sculptés portent la trace de l’art mudéjar, avec des motifs géométriques et floraux caractéristiques des tailleurs de pierre musulmans. On note également dans l’élancement des voûtes une influence toulousaine, preuve que la comarca voyait passer des artistes de toutes provenances. A Tàrrega, admirez la façade romane du palais des Marquis de la Floresta, remarquablement conservée.

urgell3L’empreinte juive

Beaucoup de ces villes médiévales possédaient des quartiers juifs, notamment, Tàrrega où l’on a découvert les ruines d’une ancienne mégisserie juive au Moulin de Codina, mais également à Agramunt. Concernant ce dernier village, des plans établis sous la couronne d’Aragon ont été retrouvés en Israël : ils montrent clairement l’emplacement de l’ancienne nécropole et du mikvé (bain rituel). Par ailleurs, des fragments de stèles mortuaires hébraïques, exhumés sur place, attestent la présence de cette population jusqu’à la fin du XVe siècle au bord du fleuve Sió, (Sion). Ça ne s’invente pas. Au début du XVIe siècle, il reste quelques convertis apeurés mais la lumière du judaïsme s’est durablement éteinte et avec elle tout un pan de l’économie locale.

Le gothique : l’âge d’or

C’est entre ces deux dates, l’avènement du roman et le départ des juifs, que s’épanouit le caractère propre de l’Urgell : il a le visage du gothique catalan, âge d’or artistique, architectural, scientifique, et bien sûr historique. Le patrimoine civil est impressionnant, avec ses châteaux, notamment celui de Verdú, une ancienne forteresse transformée en demeure de belles proportions dont une partie de la reconstruction fut confiée en 1919 à César Martinell, le disciple de Gaudí. A Tàrrega, les portails des maisons de maître du centre-ville ou la façade de la Cristallerie Mateu, délicatement ciselée, montrent le raffinement de cet art européen dont la déclinaison locale est reconnaissable entre toutes. La place Mercadal, au cœur d’Agramunt, ou la plaça Major de Tàrrega vous enchanteront par leurs proportions et la beauté sereine de leurs façades et de leurs arcades.

Vallbona de les Monges

L’intrication de la délimitation civile et des anciennes possessions religieuses a curieusement séparé le monastère de Poblet (qui se trouve dans la Conca de Barbèra) de celui de Vallbona de les Monges le monastère féminin le plus important de Catalogne, fleuron de la route des cisterciens. Placé sous protection papale, par le pape Innocent III (celui-là même qui décréta la croisade contre les Albigeois et mit fin au rêve occitano-catalan), le monastère fut fondé par des moniales initialement venues du Pays Basque. La reine Violant de Hongrie, deuxième épouse de Jaume le Conquérant, y est enterrée aux côtés de sa fille Sanche. Il s’agit tout simplement d’un chef-d’œuvre gothique avec sa remarquable salle capitulaire abritant une image de Notre-Dame de la Miséricorde et son cloître dont chaque côté relève d’un style différent : arabe, roman gothique. Une splendeur. Pour ceux que la sublime beauté des lieux transporte, un petit séjour à l’hostellerie, simple mais chaleureuse s’impose. Si Vallbona est connu dans le monde entier, la comarca regorge de couvents et d’églises plus modestes mais tout aussi intéressants d’un point de vue architectural : le couvent de Sant Bartomeu de Bellpuig, l’ermitage del Pedregal, (à côté de Vallbona), le couvent de Vallsanta… A vous de vous laisser porter, de colline en colline et d’une émotion à l’autre.

urgell4Une mémoire de pierre

L’Urgell sait rendre hommage à ses héros. Star incontestée, le mausolée du duc Ramon Folch de Cardona, comte d’Albento, duc de Somme et comte de Palamòs, mort à Naples en 1522, une tombe somptueuse de marbre blanc de Carrare, inspirée d’un temple romain et sculptée en Italie par Giovanni Merliano da Nola, est devenue le symbole de l’art renaissant en Catalogne. A côté de ce personnage historique vénérable, des figures très simples mais caractéristiques de la région sont mises à l’honneur. A Donzell d’Urgell, en pleine zone sèche, ce sont les femmes qui se voient dédier un monument, pour être allées chercher l’eau des puits de génération en génération. A Agramunt, ce sont les « torronaires » (fabricants de tourrons) qui sont justement célébrés comme passeurs d’un savoir-faire local. Enfin, partout aux alentours des villages, s’élèvent sanctuaires et ermitages, dont celui de Sant Pere Claver à Verdú, un jésuite canonisé en 1888 qui fut envoyé en Colombie où il évangélisa 300 000 Indiens. Sa devise : « être l’esclave des esclaves »… Si vous êtes un amoureux de l’art baroque, un détour par l’église de Sant Martí de Maldà s’impose. A voir absolument, le portail entouré de colonnes torsadées ornées de motifs de vigne et de raisin, et son clocher octogonal qui évoque irrésistiblement la Toscane.

Les rues comme théâtre

Mais ne vous y trompez pas, ce patrimoine est vivant : les églises sont visitées, les ermitages sont devenus des lieux de pique-nique et d’excursions familiales, les places et placettes accueillent des marchés et des commerces. L’Urgell est une comarca animée et bon enfant où il fait bon flâner. D’ailleurs, vivre dans la rue est une tradition. Bellpuig est ainsi le théâtre d’une procession qui compte parmi les plus anciennes et les plus authentiques de Catalogne, celle de la Vierge des Sept Douleurs. 12 capgrossos, 3 porquets, 6 cavallets, 2 gegantons et 4 gegants défilent avec les pénitents et la Draca, une femelle dragon devenue l’emblème de la cité. Tout ce bestiaire sorti du plus profond des mythes et des chapiteaux romans fait partie de la vie des gens toutes générations confondues. Quant à Tàrrega, elle est devenue depuis plus de 20 ans une capitale incontestée du spectacle de rue, un peu comme peut l’être Aurillac en France.

Des musées pour tout comprendre

A Tàrrega, le Museu Comarcal vous apprendra tout sur le territoire, du monde des Ibères à la première romanisation, du Moyen-Age au monde moderne. Mais c’est peut-être le Musée de la Mécanisation Agraire, situé dans l’ancienne usine de machines agricoles Josep Trepat qui vous fera le mieux découvrir la mentalité têtue et travailleuse des gens d’ici, obstinés à tirer le meilleur d’une terre dure au labeur de ses fils. Preuve s’il en fallait de l’inscription naturelle de ce prestigieux patrimoine bâti dans la vie des gens, le sous-sol de la magnifique église romane d’Agramunt abrite… Un abri anti-aérien construit pendant la guerre d’Espagne qui contient un petit musée aussi émouvant que didactique.

urgell2Un génie touristique

Car cette comarca à l’écart des grands axes se situe à la croisée de très nombreux itinéraires touristiques : route des cisterciens, route des bons hommes (exil des Cathares vers le sud), route séfarade (ou route des júderias), route du roman (itinéraire transfrontalier). Elle a su mettre à profit un cadre naturel magnifique qui va de la plaine aride à la moyenne montagne, de la vigne des alentours de Poblet aux zones irriguées du bord du canal de Lleida, en créant des sentiers de randonnée à parcourir à pied, à cheval ou à vélo, pour découvrir son patrimoine rural sous tous ses aspects, des parcs naturels, des musées… Et l’accueil est à l’avenant. Pas de grandes structures hôtelières mais plutôt des petits hôtels et des auberges où il fait bon se reposer et déguster les spécialités locales. Les rivières, qui passent de l’état de torrent rapide à celui de fleuve tranquille en quelques kilomètres, offrent de nombreuses zones de baignade et de sports d’eaux vives, une configuration idéale pour des séjours en famille.

 

Peu à peu, l’Urgell est en train de devenir une comarca touristique. Les handicaps d’antan, liés à la ruralité et à un relatif isolement, sont devenus les atouts d’un développement basé sur le tourisme vert, la valorisation du patrimoine et la transmission de savoir-faire ancestraux.

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