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Marie Costa : Le Vallespir au coeur

01 Sep Marie Costa : Le Vallespir au coeur

Marie Costa est directrice des relations internationales et du développement territorial à la ville de Perpignan. Elle a accepté de nous parler de ses racines vallespiriennes.

CC : Marie Costa, vous êtes originaire du Vallespir…

Plutôt deux fois qu’une. Ma mère est de Prats de Mollo, mon père est né à Lamanère d’une mère de Serralongue et d’un père venu du sud, de Sant Miquel de Pera, à côté de Beget, c’est-à-dire, juste de l’autre côté à moins de deux heures de marche. On peut dire que je suis d’ici, oui.

vallespir12CC : Comment décririez-vous cette vallée ?

Une terre de labeur et de bonté. Une terre farouchement catalane. Une terre vraie.

CC : Vous-même parlez le catalan ?

Vous voulez rire ! C’est ma langue maternelle, mes grands-parents qui vivaient avec nous ne parlaient pas autre chose et je passais tous mes étés à Olot dans ma famille du sud. J’ai eu la chance d’avoir un père visionnaire qui n’a jamais considéré que le catalan fût de quelque manière que ce soit inférieur au français. D’ailleurs, une des grandes joies de ma vie, c’est d’utiliser ma langue dans mon travail de tous les jours, alors que tant de gens de ma génération l’ont abandonnée en écoutant les sirènes de la francophonie…

CC : Votre Vallespir à vous, ce serait quoi ?

Là, vous me posez une question à tiroirs ! Ce sont les fontaines de Prats où l’on va goûter, enfant. Le souterrain de Fort Lagarde, interdit mais fabuleux. Ma tante Simone assise sur le seuil de la maison de la Forge del Mig qui monte des vigatanes, et surtout, les jeudis à l’Alzine Rodone et le Tech comme immense terrain de jeu…

CC : Pourtant vous êtes partie…

Oui, je suis partie à 17 ans pour Toulouse, puis pour l’Allemagne et Paris. Je ne pense pas qu’il faille loucher sur le Canigou ou soutenir l’USAP pour se sentir catalan. La Catalogne, je la transporte avec moi où que je sois puisqu’elle me constitue. D’ailleurs le plus compliqué a été de revenir !

vallespir10CC : Pourquoi ?

Ce pays est dur. Il n’accepte pas qu’on le quitte, alors il le fait payer ! Et puis, je suis une femme, alors il y a double punition ! Je l’aime un peu malgré moi. Furieusement.

CC : Vous aimez rencontrer d’autres cultures, d’autres langues ?

Etre bilingue, ça ouvre au monde. J’adore l’expression de Joan Pau Giné « una llengua per al dia, i una per a la nit » (une langue pour la journée et une pour la soirée), c’est tout à fait ça. Il y a des couleurs, des odeurs, des sons qu’on ne sait dire que dans une langue, elle en a la mémoire exclusive. Quand on est bilingue, on claudique d’une langue à l’autre, le calque n’est jamais parfait. On sait que la langue est juste un outil. Alors, comme à Olot sous Franco, la télé était en castillan, je l’ai appris sur le tas. Et puis, il y a eu ma rencontre avec l’allemand. A Amélie, il y avait beaucoup de juifs qui parlaient yiddish, alors en fait, je l’avais dans l’oreille sans le savoir. Rajouter l’anglais a été très facile. Après, c’est la vie qui s’est chargée du reste : les tournages en Italie m’ont obligée à me débrouiller en italien, j’ai travaillé au bureau hollandais des fleurs, en néerlandais… puis il y a eu le portugais, le catalan est une langue fossile, un passeport fantastique pour toutes les langues latines ! D’ailleurs je n’écarte pas d’apprendre l’arabe et l’hébreu si un jour, j’ai enfin le temps !

CC : Vous parlez de la Catalogne et pas du Vallespir…

La Catalogne c’est ma nation, le Vallespir c’est mon pays…

CC : Et la France ?

La France a été ma mère nourricière, mais je ne peux pas dire comme Camus que ma patrie c’est la langue française, même si c’est ma langue d’écriture et de culture. Il manquerait quelque chose. A l’inverse, si demain, je vivais dans un contexte 100% catalan, il me faudrait me ressourcer au français. C’est pour ça sans doute, que j’ai une très forte conscience de minorité. C’est même le fil rouge de ma vie. Nous allons vers des identités multiples. Ici plus qu’ailleurs, il faut en avoir conscience et l’accepter en nous et chez les autres. D’ailleurs, une des personnes qui a le plus éclairé mon enfance était un juif hongrois. Il était libraire. Chez lui, j’ai feuilleté des milliers de livres, et j’ai découvert la musique classique, deux axes de ma vie. Il s’appelait Ladislas Petö. Vivre à Amélie c’était ça, un pied dans la Catalogne de toujours, un pied vers le large.

vallespir11CC : Vous considérez que la Catalogne a eu une histoire tragique ?

Je pense souvent à la Pologne, née entre l’Allemagne et la Russie. Nous avons eu notre lot, oui. Et nous l’avons encore puisque personne n’a encore abandonné l’idée de nous éradiquer en nous assimilant. Alors je pense à la cavalerie polonaise, à son panache face aux chars nazis et je me dis que nous nous devons bien ça : rester debout ! Cette vallée le fait assez bien, je trouve. Elle accueille, mais elle ne renonce pas à ce qu’elle est. Je suis fière d’être issue de ces gens, de ces mas, de ces chapelles accrochées aux rochers. C’est un pays qui apprend l’humilité, mais qui enseigne aussi le respect de soi.

CC : Vous ne croyez pas à l’assimilation culturelle ?

Alors là, pas du tout. Et je ne crois pas au communautarisme non plus. Il existe un troisième terme qui consiste à garder sa culture et à adhérer aux valeurs transcendantes de sa terre d’accueil, quand on est immigré. Nous, nous avons été colonisés de l’intérieur, le processus est plus sournois et plus probant. Mais il n’en reste pas moins que je suis catalane. Et que je suis de culture française. Les deux termes sont irréductibles, je dois vivre avec cette dualité-là !

CC : Votre lieu préféré en Vallespir ?

C’est un gouffre qui s’arrondit sous un pont, sur la route de Montalba. Il s’appelle Riubanys. C’est le plus bel endroit du monde pour une baignade. Sinon, je vous parlerai du cimetière d’Amélie, qui jouxte l’école. Un lieu de paix extrême. Ou bien encore des rives de la Ribera Ample. Ou alors, je vais devenir intarissable sur Céret…

CC : Pourquoi Céret ?

Mes années de collège, de lycée, et de jeunesse. C’est une ville magnifique, l’eau y court partout et l’architecture du centre est intacte. Il y a une sorte d’équilibre entre les racines paysannes, rurales, et un appel du haut qui fait que l’art y est chez lui. Toutes les excentricités y sont possibles : elles seront brocardées, bien sûr, mais gentiment. Céret conserve vivante la jeune femme que j’ai été avec ses excès et ses souffrances d’ado. J’ai un lien fort avec ses places, ses terrasses de café. C’est là que je suis née à la littérature, en lisant sur la margelle de la fontaine des neuf jets. Céret c’est mon grand amour.

CC : Quand vous étiez jeune, vous aviez conscience de la frontière ?

Mon grand-père était né de l’autre côté, mon père l’avait passée en 42 pour échapper au STO, on la passait presque toutes les semaines par en haut (le col d’Ares) ou par en bas (Le Perthus). Bien sûr que j’en avais conscience. A 7 ans, j’avais déjà deux porte-monnaie, celui des pesetas et celui des francs. Et je savais très bien changer de syntaxe en passant la frontière, aussi. C’était comme être deux personnes à la fois. Plus tard, c’est devenu une déchirure.

CC : Le Vallespir de votre enfance a changé ?

Il fait comme moi, il essaye de se maintenir… Bien sûr, sa physionomie a changé, des maisons sont apparues, des boutiques ont disparu, mais il reste assez semblable à lui-même. Quand j’arrive à Prats de Mollo, le village le plus accueillant de l’univers, je retrouve cette façon unique qu’ont les gens de vous adopter et de vous écouter. Quand je vais à la fête de l’ours à Saint Laurent, j’ai encore des amis derrière le bar et je sais que si je m’installe à la terrasse du Pablo, à Céret, je ne resterai pas seule dix minutes. Et puis, à un certain âge, les absents vous accompagnent et leur peuple silencieux habite les paysages. Comment vous dire… Pour le Vallespir, j’ai encore des yeux d’enfant : les arbres y sont plus hauts, les fontaines plus fraîches, les églises plus belles, et les gens plus familiers. Quand j’y vais, je rentre chez moi. Quoiqu’il arrive, c’est à cette terre que je retournerai.

5 Commentaires
  • Soler Gloria
    Posted at 12:17h, 30 janvier Répondre

    Merci Marie, c’est très beau et l’on a même quelques sensations et émotions en commun

  • Joaquim Nogareda Genis
    Posted at 15:10h, 28 juin Répondre

    Molta sort, si a Banys d’Arles no us trien com alcaldes soc convençut que hi perdran i força.
    Amb admiració

    Joaquim

  • Moufaddal
    Posted at 03:48h, 30 juin Répondre

    Bonjour Madame

    Juste pour vous dire: Toutes les Félicitations pour votre élection Maire de notre Joli village Amélie les Bains.
    Celà fait 7 ans que j’y habite et 19 ans que j’y effectue des cures thermales avec plaisir…et je me suis toujours dis que cet écrin de ville thermale mérite qu’on prenne soins d’elle; j’entendais des structures, des rues se plaindre en silence ainsi que des habitants.
    Je suis sûre que vous allez comprendre sa sensibilité et lui redonner le sourire
    Je n’ai pas pu voter car confinée à l’étranger et je remercie TOUS les Ameliens qui ont participé à ce changement HEUREUX tellement attendu.
    Tous mes respects.
    Cordialement

  • Michele Canal et Emilio Lopez
    Posted at 20:05h, 01 juillet Répondre

    Félicitations chaleureuses !!!

  • Cadoch
    Posted at 20:48h, 05 juin Répondre

    Marie moi qui ai quitté mon Ceret natal je suis très touchée par ce ressenti
    Félicitations et bon travail
    Marie josee Baylard

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