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Montserrat : reine des cœurs

01 Août Montserrat : reine des cœurs

C’est l’’autre montagne sacrée des Catalans : elle abrite l’abbaye où règne la « Moreneta », la vierge de Montserrat, symbole de résistance, de rayonnement et d’’histoire. Un haut lieu de catalanité et de spiritualité.
Montserrat est cœur. Cœur de Catalogne. Montserrat est poumon. Poumon de culture, de nature et de spiritualité. Montserrat a quelque chose d’irréversible et d’intouchable, comme une force d’attraction, allergique à toutes les tentatives d’exégèse. Déshabillé au filtre de l’étymologie, le massif montagneux de Montserrat signifie en réalité « montagne en dents de scie ». Mais si Montserrat est d’abord montagne, elle est aujourd’hui, par-dessus tout, Sainte Patronne de Catalogne, celle que l’on célèbre tous les ans le 27 avril.

Montserrat2Un nom comme un drapeau

Il suffit de se pencher sur les prénoms d’une majorité de Catalanes, sur les Montse et Montserrat pour se rendre compte de l’attachement quasi viscéral à la magique Montserrat. Visiter Montserrat, c’est ainsi tout d’abord tutoyer l’un des plus forts et des plus profonds symboles de la Catalogne. Visiter Montserrat, c’est caresser la beauté d’une montagne aux formes précieuses. Visiter Montserrat, c’est se fondre dans l’histoire intime du peuple catalan, c’est découvrir l’accueil d’un monastère bénédictin. Il y a évidemment des dates à retenir. Des dates par milliers, nichées entre le IXe et le XXe siècle. Il y a des noms à savoir. Ceux des ermites fondateurs, des architectes, des sculpteurs, des peintres, des orfèvres. Ici, tout est d’hier, d’aujourd’hui, de demain et de toujours. Comme un trop plein d’émotions, comme une abondance de sentiments. Alors certes, Montserrat a un richissime passé, mais c’est son présent qui nous pénètre et nous inspire instantanément. La visite que nous vous offrons ne supporte pas de sens précis ni de parcours fléché. Elle est étrangement simple et ne s’enrichira que du sens contenu dans les pierres, les couleurs, les odeurs, les sons et les mouvements des gens qui viennent ici par milliers, à la recherche du « sens de la vie ».

Une Nature vierge aux formes fantasmagoriques

Pas de guide à suivre, ouvrez grand vos yeux et votre cœur. Là-haut, à plus de 200 mètres au-dessus du niveau de la mer, à mi-chemin entre ciel et terre, Montserrat trône brusquement. Avec ses sommets découpés du Cavall Bernat, des Agulles, du Serrat del Morro, du Montgros, de Sant Joan ou encore de la Palomera, Montserrat appelle à la rêverie. Décrété parc naturel en 1987, ce massif d’une extraordinaire beauté livre effectivement un exemple d’érosion exceptionnelle. Sur 10 km de long et 5 km de large, la force de ce relief n’est pas sans rappeler ces petits châteaux improvisés de sable fin et mouillé, que s’ingénient à construire les gamins sur la plage. C’est indéniable, il y a là, dans ces roches ventrues, dans cette masse de conglomérats pâteux, une ode à l’enfance. De grotte en gouffre, l’œil émerveillé promène alors son imagination en terre de légendes. On trouve là le grand rocher dit de la « Panxa del Bisbe » (la panse de l’évêque), la roche solitaire de « Trencabarrals » (crève-tonneaux). Plus loin, le calcaire s’évade et se précipite en « Momieta » (petite momie), en « Momia » (momie) ou encore en « Gat » (chat) et en « Elefant » (éléphant). Emmitouflé dans son écharpe de silence, Montserrat appelle à la majesté comme à la paix. Dans la lumière miellée, 1 200 espèces végétales, dont le pin, l’érable, le tilleul, le noisetier, le houx, le buis et l’if s’adonnent à un véritable concert parfumé. De petites promenades en longues balades, de crochets escarpés en escapades détournées, la nature offre 1 001 portes d’entrées. A une seule condition : celle de se laisser porter par la magie des lieux, par le vol des martinets à ventre blanc ou le manège des hirondelles de rochers, par le cache-cache des genettes et des fouines.

Montserrat3Le baiser à la « Moreneta »

Accessible à pied, par le funiculaire ou par le téléphérique, ce massif insolite abrite en son sein la célèbre abbaye bénédictine consacrée à la fameuse Vierge de Montserrat, plus connue sous le nom de « Moreneta » (la brunette). Car, il faut bien le dire, c’est pour elle que l’on vient essentiellement à Montserrat. C’est pour pouvoir, une fois dans sa vie, approcher la divine vierge noire, l’embrasser furtivement et poser ses doigts sur la boule qu’elle tient dans sa main droite comme symbole de l’univers. Taillée en bois à la fin du XIIe siècle, elle serait selon les témoignages historiques et les analyses, devenue plus sombre au fil du temps. La légende raconte qu’en l’an 880, un samedi alors que la nuit tombait, quelques enfants bergers virent descendre du ciel une puissante lumière, accompagnée d’une belle mélodie, qui se posa sur le flanc de la montagne. Le samedi suivant, la vision se répéta. Les quatre samedis suivants, le curé d’Olesa les accompagna et pu constater la vision miraculeuse. Après avoir pris connaissance de l’évènement, l’évêque qui se trouvait à Manresa organisa une montée vers Montserrat, pendant laquelle fut découverte une grotte où se trouvait une image de la sainte Vierge. L’évêque proposa alors de la transférer à Manresa mais dès qu’ils essayèrent de la porter en procession, elle se fit tellement lourde qu’ils ne purent la faire bouger. L’homme d’Église interpréta ce fait comme la volonté de la Sainte Vierge de rester en ce lieu et décida de faire construire une chapelle sur le site. Aujourd’hui, la Vierge se trouve dans la basilique, au milieu de la tribune centrale. Immanquable. Sa statue perchée au cœur d’une coupole polychromée attire une foule immense. Tout en haut, comme posée à l’avant d’un navire, elle veille sur l’interminable cordon de personnes qui ont parfois traversé le monde pour l’honorer de près. Dans la file d’attente, le temps ne compte plus. Pèlerins, dévots et touristes en oublient l’heure, pénétrés qu’ils sont d’un mimétisme inconscient où chacun adopte le même rythme, la même lenteur déambulatoire. La « Moreneta » suscite un étrange sentiment de parenthèse. Croyant ou non, il fait soudainement bon de se sentir attiré pas son mystère. L’impression d’être subitement habité.

Montserrat4Les lumières du chemin de l’Avemaria

Après l’avoir approchée, touchée, implorée, les visiteurs redescendent par le « cami de l’Avemaria », un petit chemin gorgé de fraîcheur qui mène du trône à l’extérieur, coincé entre la façade de la basilique et la paroi de la montagne. Nul besoin de mots ni d’explications. Là, le silence vient tout à coup éclairer des milliers de cierges dressés sur des perchoirs alignés à perte de voix. Le rouge-bougie déferle en cascade de catadioptres, alors que le bleu s’accroche aux rétines humides. C’est ici justement, sur les pavés de ce chemin enclavé, que l’absence de voix se fait voie. Le visiteur bascule dans un inqualifiable ailleurs. Certains parleront de foi et de ferveur, d’autres de spiritualité, de communion universelle ou de quête intérieure. C’est un des « effets Montserrat ». Comme si, ni les sublimes œuvres d’art, ni leurs auteurs, ni les dates, ni les époques durant lesquelles elles ont été conçues n’avaient d’importance. Le vrai temple de Montserrat semble finalement être formé non pas de pierres, mais de tous ces hommes et de toutes ces femmes, qu’ils soient moines ou simples pèlerins, qui visitent et vivent Montserrat de l’intérieur. A la manière des paroles de l’apôtre Paul qui écrivait : « Vous êtes le temple de Dieu et l’esprit de Dieu est en vous. Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple. »

Etrange galerie des offrandes

Pour apprécier la basilique, ses oculi latéraux, ses nombreuses veilleuses qui pendent tout autour de la nef centrale et ses chapelles qui s’arrondissent comme autant de bijoux de l’Art Nouveau, il suffit une nouvelle fois de se laisser aller, de façon à ce que le cœur de Montserrat se révèle comme une évidence. Avant d’atteindre le parvis qui s’ouvre sur un sol marbré de noir et de blanc, enrichi d’allégories et d’une inscription en latin qui fait référence au baptême, une petite salle s’ouvre aux regards curieux. C’est un drôle d’endroit au décor étrange. Un espace vague où viennent s’empiler des résidus de destins. Au mur, une plaque de marbre indique que « les offrandes et les promesses qui sont déposées en ce lieu seront retirées le premier jeudi de chaque mois sans qu’elles ne puissent être récupérées ». Au mur, suspendus aux patères, des tresses de cheveux, des bras en plastique, de la layette. Sur la petite étagère qui court tout le long de la pièce, des caisses accueillent un bric à brac d’objets aussi insolites qu’hétéroclites. Une photo de deux amoureux enlacés enveloppe une plaque d’immatriculation cabossée, des béquilles s’appuient sur un poème d’amour plastifié. Ces objets dorment tous d’un sommeil désolé, posés là en accomplissement d’un vœu ou en remerciement d’une grâce obtenue.

Ancrée dans la vie

Loin d’être figée dans son histoire, Montserrat est « vivante ». L’« Escolania », la manécanterie où ont par exemple été formés Jordi Savall et Rafael Subirachs, est l’une des plus célèbres maîtrises du monde. Les jeunes musiciens sont formés ici. Et c’est de cette vie que vient sa force. Comme de la présence de sa centaine de moines bénédictins qui vivent sur place et suivent la règle de Saint Benoît. Sous le sceau du travail, de la prière et de l’accueil des pèlerins, les « monjos » ont des activités différentes. Alors que certains s’occupent de l’organisation intérieure du monastère, d’autres consacrent leur temps à des travaux de recherche, d’enseignement ou de divulgation dans des domaines tels que l’histoire, la théologie ou encore la musique. Ils sont d’ailleurs responsables d’une prestigieuse maison d’édition de livres et de disques. Des moines à qui le peuple catalan voue une éternelle reconnaissance. Sous le régime de Franco, malgré les lois anti-catalanes qui avaient été promulguées, les moines ont continué à célébrer les mariages et les baptêmes en catalan. Ils ont ouvert leurs portes à de nombreux nationalistes qui vécurent dans la clandestinité jusqu’en 1975. Au-delà des guerres, Montserrat a mis un point d’honneur à sauver, préserver et transmettre la langue catalane en conservant une bibliothèque remarquable et un musée qui abrite des œuvres du Caravage ou du Greco, aux côtés d’œuvres de grands Catalans. Et c’est finalement parce qu’il s’y manifeste toute une série de valeurs religieuses, culturelles, sociales, historiques et écologiques que Montserrat symbolise la vie de tout un peuple.

 

 

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