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Paysan, la tête haute : rencontre avec Enric Ferré, un jeune éleveur heureux

01 Oct Paysan, la tête haute : rencontre avec Enric Ferré, un jeune éleveur heureux

Fils, petit-fils et arrière-petit-fils de paysans, Enric Ferré a repris le flambeau en misant résolument sur l’ultra-local et l’authentique. Sa petite exploitation se situe dans l’Alt Camp, à la limite du Penedès. Il élève justement des coqs du Penedès, de magnifiques volailles au plumage d’encre et aux pattes sombres.

Ferre3Cap Catalogne : Bonjour Enric Ferré ! Tu es donc l’un des fers de lance de la production de coqs du Penedès, cette race de volaille typiquement catalane. Qu’ont-ils de si spécial, ces coqs ?

Enric Ferré : D’abord, leur couleur, leur plumage, leurs pattes et même leur bec sont noirs, d’où l’appellation « Galls negres del Penedès ». Ensuite, c’est une race à croissance lente, élevée en plein air, dont la chair est plus foncée que celle des autres volailles. Un peu plus ferme aussi que la chair d’un poulet par exemple, mais très tendre et surtout incomparablement savoureuse. On les élève pendant 18 semaines au moins, pour obtenir un poids qui va de 2,5 kg en été et jusqu’à 2,8 kg en hiver, c’est-à-dire le double du poids d’un poulet.

CC : Tu en parles avec passion. D’où t’est venue cette vocation ?

EF : D’abord, je suis fils et petit-fils de paysans. Dans ma famille on cultive la vigne et les oliviers depuis plusieurs générations et c’est dans cette atmosphère que j’ai grandi. Mon père a cherché à diversifier la production de l’exploitation familiale pour des raisons économiques et aussi pour que nous puissions tous rester sur nos terres, comme cela a toujours été le cas pour les générations précédentes. Nous allions régulièrement à la Fira del Gall (foire du coq) à Vilafranca del Penedès. C’est comme ça que mon choix s’est porté sur l’élevage de volailles. J’ai aujourd’hui 32 ans et je me suis installé comme jeune agriculteur en 2002, à vingt-deux ans, c’est donc une décision très précoce, mais j’ai déjà dix ans de recul. Donc, j’en suis sûr, c’était le bon choix !

CC : Et sur l’exploitation, vous êtes combien ?

EF : On se situe dans une logique vraiment artisanale : nous sommes deux, à savoir mon père et moi. Nous ne visons pas une production énorme mais nous tenons beaucoup à garder la qualité et l’authenticité qui font le prix de nos volailles. C’est un énorme travail, une assiduité de tous les instants, mais je n’en changerais vraiment pour rien au monde : il me donne la fierté de la belle ouvrage.

CC : Justement, cette production représente combien de coqs ?

EF : 2 000 par an, à peu près 120 par semaine. Croyez-moi, ça suffit à justifier beaucoup plus que deux pleins temps. L’agriculture ne connaît pas les vacances et les week-ends : il faut nourrir les bêtes tous les jours !

Ferre2CC : Et tu ne produis que des coqs ?

EF : J’ai des confrères qui élèvent aussi des poules, des chapons ou des poulardes mais ce qui m’intéresse c’est cette race autochtone, catalane, qui correspond totalement à son environnement. Je ne fais que des coqs du Penedès, je les trouve magnifiques et attachants. Et puis, ils sont très implantés dans la vie des familles catalanes : ils accompagnent les repas de fête, les grandes tablées. Ils sont à la fois traditionnels et adaptables à toutes sortes d’influences culinaires. Il existe une demande forte et soutenue.

CC : Et c’est une appellation ?

EF : C’est en cours auprès des instances européennes et en très bonne voie. Nous présentons toutes les garanties demandées : un territoire bien délimité, des conditions drastiques en termes de nourriture des volailles et de liberté en plein air, des exploitations modernes capables de répondre aux normes d’hygiène et un vrai savoir-faire artisanal. On a beaucoup travaillé avec la Generalitat de Catalunya et les institutions concernées.

CC : Tu penses que cela va être décisif ?

EF : Décisif, je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que cela va nous apporter une notoriété nouvelle et surtout, un label de fiabilité, un peu comme le poulet de Bresse en France. Je suppose que cela devrait doper les ventes, même si pour nous cela ne changera pas grand-chose, nous n’envisageons pas de changer d’échelle de production, nous pourrions y perdre notre âme d’artisans de la terre.

CC : Comment sont nourries ces volailles ? Je suppose que c’est très strict ?

EF : En fait, les coqs mangent toute l’année un mélange de soja et de maïs très équilibré. L’IRTA (INRA catalane) a retrouvé des documents anciens attestant la présence de grains de raisin pilés dans la nourriture traditionnelle de nos volailles, ce qui est assez logique ici où la vigne règne presque sans partage. Nous ajoutons donc 5% de ce produit un peu insolite à l’ensemble. A l’époque, on ne gaspillait rien ! Evidemment dans les 10 ou 15 derniers jours, on leur donne du blé et du maïs pour qu’ils parviennent sur les tables au meilleur de leur forme. Disons qu’on les dope un peu sur la dernière longueur, mais de façon totalement naturelle !

CC : La distribution se fait comment ?

EF : En fait, il y a quelques restaurateurs qui nous passent commande directement et mentionnent d’ailleurs sur leur carte la provenance de leurs volailles, quelques détaillants locaux aussi, mais le gros de notre production se vend à Barcelone, sur deux marchés prestigieux, celui de la Boqueria et celui de la Concepció. Notre marque, La Besavia (l’arrière-grand-mère), jouit d’une bonne image de marque, donc nous écoulons sans problème la totalité de la production.

CC : Rien à l’export ?

EF : Non, pas encore, notre production est trop restreinte et le reste de l’Europe ne connaît pas encore notre produit. Quand nous aurons l’appellation, il est certain que la notoriété ne sera plus la même !

Ferre4CC : Il y a des pics de vente dans l’année ?

EF : Incontestablement la période de Noël. Le coq du Penedès est une volaille prestigieuse. Un plat de fête qui se cuisine de mille façons : avec des raisins secs, avec des châtaignes, avec de l’estragon. Et puis ça correspond aux attentes du temps : nos volailles sont pauvres en graisse et riches en protéines et acides insaturés, elles grandissent en plein air, elles ont une image très saine, très bio, très anti-cholestérol ! Autre avantage, avec un coq du Penedès, vous pouvez inviter dix personnes : on est loin des portions chichiteuses de la cuisine moderne !

CC : Tu me parles du Penedès. Pourtant ici, à Rodonyà, nous sommes déjà dans l’Alt Camp, je me trompe ?

EF : Non. Mais le Penedès ne correspond pas du tout aux comarques du même nom. C’est un espace culturel qui intéresse aussi le Garraf ou l’Anoia, par exemple. Nous nous considérons du Penedès par le mode de vie, les produits de la terre, les voies d’échange, la localisation des foires, et c’est comme ça depuis des siècles. La géographie humaine est beaucoup plus importante que les subdivisions administratives, elle les contredit souvent !

CC : Le métier de paysan, c’est rude pour un jeune homme, non ?

EF : Je l’ai choisi. Alors oui, on peut voir ça comme une sorte d’esclavage en termes de temps et aussi de présence. On ne peut jamais s’éloigner ni se dispenser d’une tâche. Mais ce n’est pas comme ça que je vis ce métier. Je le vis comme une chance, une folle liberté. Quand je nourris mes volailles, en pleine nature, je m’inscris dans une lignée de gens qui ont toujours vécu ici, qui se sont nourris de cette terre et lui ont donné leur force de travail. Comme tant de générations avant moi, je travaille avec mon père, mon frère n’est pas loin, c’est une histoire qui continue. Une histoire d’enracinement. Alors j’ai trente-deux ans et je suis un paysan catalan « cap ben alt i orgullós * » comme mes coqs !

*fier et tête haute

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