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Perpignan, tout un voyage !

04 Oct Perpignan, tout un voyage !

Il y a tant de capitales en elle… capitale du Roussillon, capitale de la Catalogne nord, capitale des Pyrénées-Orientales, capitale de la sardane, capitale européenne du vin, capitale de métropole… Décidément, Perpignan s’écrit en lettres capitales.

Il faut s‘abandonner dans les bras de Perpignan tous les sens en éveil, bien abrité du vent dans les rues étroites que le jeu du soleil sur la brique nimbe d’un halo de corail aussitôt reflété par le marbre blanc des trottoirs. La ville offre des cheminements secrets dans l’enroulement de ses venelles tortueuses, souvent pentues, intactes depuis le Moyen-Âge. C’est là que s’ouvrent au regard, derrière de belles portes cochères en plein cintre ourlées de pierres taillées, des hôtels particuliers cossus, qui conjuguent à merveille la majesté française de façades classiques et l’exubérance silencieuse de patios ibériques souvent ornés d’un puits. Parfois, en levant la tête, on surprend une cascade végétale jaillie d’une terrasse, un dessous de balcon en céramiques colorées ou bien l’élégance singulière d’une balustrade de fer forgé. Perpignan respire, sa poitrine se soulève entre retenue et brusques élans : une vraie fille du sud dont les parfums et les goûts se savourent lentement et ne s’oublient jamais, à la fois piquante et pudique. Dans la rue Paratilla s’entrelacent tous les effluves de la Méditerranée, mêlant avec bonheur les saumures de morue et d’anchois, les épices colorées, l’iode vivifiant des poissons frais et cette indéfinissable fragrance de fruits mûrs qui convoque l’été au milieu de l’automne… Une foule joyeuse se bouscule, paniers au bras. Même émerveillement sur la place de la République toute proche, carrée comme beaucoup de places ibériques, ou encore dans les vitrines des pâtisseries où se bousculent dans les odeurs de citron, de cannelle et d’amandes grillées, rousquilles, tourons, bras de Vénus et croquants. « Moi, je suis plutôt Place Cassanyes » dit Marlène « c’est un condensé de Méditerranée et d’Orient ». Cet enchantement des sens reste à perpétuer dans les dizaines de petits restaurants en centre-ville, autour des halles ou autour du théâtre de l’Archipel. Ils n’ont pas leur pareil pour tisser une bayadère serrée de saveurs catalanes et de gastronomie française qui ressemble à la dualité tranquille de la ville. Bien sûr, catalanité oblige, la ville sacrifie à la tradition des tapas, ce compromis convivial et savoureux qui, à l’image des mezze orientaux, n’est ni repas ni apéritif. D’autant que les vins du cru sont à la hauteur, et même dans les hauteurs de la sommellerie internationale ! Perpignan est d’ailleurs cette année capitale européenne du vin, noblesse oblige !

Roman et Gothique

Il faut vivre la mémoire de Perpignan, française depuis 360 ans seulement, en suivre les méandres à partir de la colossale nef unique de la cathédrale Saint Jean, visible à la fois dans son état roman et gothique, puisque les deux églises sont encore juxtaposées, juste séparées par une calade graphique et ombreuse, une vraie curiosité locale. Comment ne pas s’attarder sur la beauté altière du Campo Santo, le cimetière cloître brodé d’arcades en ogives ou reposent nobles et bourgeois, flanqué de sa jolie chapelle, la Funerària, avec ses beaux vitraux contemporains ? « Franchement, passer d’une église à l’autre, c’est passionnant. Je n’imaginais pas tant de choses à voir » explique Laeticia, nordiste en vacances. « Surtout la chapelle du Tiers-Ordre, je ne savais pas ce qu’était un temple décadaire avec son effigie de l’Être suprême des révolutionnaires et ses symboles maçonniques ». Sur la rue Rabelais s’imposent l’énorme église gothique des Dominicains ornée d’un joli cloître, le couvent des minimes avec son grand parvis et ses faux airs mexicains, siège probable de l’ancienne synagogue dont il conserve jalousement, bien caché sous le cloître, le bain rituel, le mikvé. Plus haut, sur la colline, l’église Saint Jacques d’où s’ébranle chaque année la procession de la Sanch. Quelques rues pittoresques du quartier Saint Jacques, semblent tout droit sorties du Caire avec leur linge aux fenêtres et l’aspect un peu déglingué des vieilles maisons. Les ombres noires des gitanes volubiles accompagnées d’enfants donnent à l’ensemble un graphisme poétique, intrinsèquement méditerranéen qui n’appartient qu’à Perpignan. On butte alors sur les traces de l’ancien arsenal qui abrite encore la silhouette désossée de l’ancienne église des Carmes, puis sur le glacis de l’imposant Palais des Rois de Majorque.

Militaire…

Juste le temps de contempler la sublime église de la Réal, vraiment royale, et sa majestueuse chapelle de la Soledat avant de se laisser glisser le long des rues pentues jusqu’au cœur gothique de la ville, vers la place de la loge qui abrite la mairie et son patio orné de la « Méditerranée » de Maillol, le Palais de la Députation et la Loge de Mer dans un triptyque unique et emblématique contemplé par un autre Maillol, la Vénus au collier. Objet d’incessantes luttes entre les royaumes d’Espagne et de France, la Capitale continentale des Rois de Majorque fut aussi de tout temps un haut lieu militaire et souffrit plusieurs sièges, parfois si durs qu’ils valurent aux Perpignanais le sinistre surnom de « menjarates » ! (mangeurs de rats), et à la ville le joli titre de « fidelíssima » (la très fidèle). Le Palais des Rois de Majorque, avec sa cour encadrée d’élégantes galeries, est ainsi serti dans une double enceinte de remparts, les premiers du Moyen-Âge, les seconds relevant de la citadelle conçue par Vauban.

…et bucolique

Il est pourtant entouré de jardins luxuriants comme pour confirmer sa double vocation de résidence et de forteresse. Le Castillet, petit fortin de briques au parement de marbre et aux ouvertures grillagées, surmonté d’un clocheton et d’une terrasse crénelée, est à la fois porte et prison. Il défend encore de toutes ses briques des remparts aujourd’hui disparus et la mémoire du Perpignan d’autrefois. « Jusqu’en 1904, jusqu’à la destruction de ses remparts, Perpignan, enserrée dans ses murailles, ressemblait à Bayonne, ce qui explique la conservation parfaite de l’hypercentre longtemps intouché » raconte Guillaume, spécialiste du patrimoine. Du haut de ces deux monuments, la vue sur les toits roses de la ville, sur la ligne bleue des Corbières, sur la majesté improbable du Canigou jailli des vignes d’un seul élan laisse sans voix. La nature semble rentrer dans la ville, lui dessiner une ceinture de verdure, lui offrir de grandes oasis, aussi. De quoi donner envie de se couler dans le bleu et le vert, de longer la Têt par les jardins Torcatis, de remonter les Allées Maillol jusqu’à la grande fontaine puis jusqu’aux vénérables platanes du Square Bir Hakeim penchés sur la grâce d’une pièce d’eau presque japonisante. Ici, veillent comme des vigies de mémoire, un Maillol, « l’été sans bras », la belle figure de Pau Casals et le monument aux morts signé du grand Gustave Violet. à l’entrée de la ville, côté Sant Vicenç, un merveilleux jardin offre ses embarcadères nonchalants, ses pièces d’eau et ses ombrages qui ressemblent, sous le souffle de la tramontane à un éventail géant, brandi devant la ville. « C’est un jardin merveilleux » ponctue Xavier, qui est à l’origine de sa création. En plein centre, les jardins Bausil et Terrus, les parterres fleuris des quais de la Basse relaient cette présence têtue de la nature. « N’oublions pas que l’une des étymologies de Perpignan pourrait bien être « parmi les pins » rappelle Raymond, historien à la voix rocailleuse. Çà et là, de belles façades du XXe font balancer leur cœur entre Art Nouveau et Modernisme, entre ornementation et quête de l’épure. Perpignan est belle à parcourir et douce à découvrir. Marcher dans ses rues c’est saisir cette identité déjà ibérique qui la rend si différente de ses sœurs occitanes, à la fois plus secrète et plus ardente. C’est avoir envie de prolonger la rencontre. De poser ses valises, pour le meilleur.

 

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