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« LA » RATAFIA : HUMBLE ET DIVINE

01 Nov « LA » RATAFIA : HUMBLE ET DIVINE

Cher lecteur, un avant-propos pour vous dire qu’il m’est impossible de sacrifier à l’orthodoxie grammaticale française en appelant « le » ratafia, une boisson maternelle, douce, liée à l’enfance, qui n’a rien, mais alors rien, de masculin. J’écrirai donc « la ratafia », en catalan, par respect pour cet héritage précieux que rien d’intempestivement industriel n’est encore venu gâcher et qui embaume encore sagement tant de nos vieux buffets.

ratafia4Résolument traditionnelle

C’est la liqueur catalane par excellence, celle qui rythme les repas de fête et les réunions familiales. Celle qui réconcilie tous les sexes et toutes les générations, autour d’un véritable rite de fin de repas. Odorante, délicieuse, un rien épaisse, elle nappe comme nulle autre les petits verres à digestif. Sa couleur est toujours d’un beau brun clair et chaleureux. Et son goût ! Comment dire… il se démultiplie en déclinant toutes ses composantes, comme une explosion végétale, presque fleurie au creux de la gorge. La ratafia, c’est bon, dans tous les sens du terme.

Délicieuse et curative

Car avant tout, la ratafia est un bienfait. Tout Catalan qui se respecte peut légitimement se demander comment font les peuples qui n’en boivent pas ! Non seulement, c’est délicieux mais ça guérit tout : une petite difficulté de digestion ? Pas de problème, la précieuse boisson a des vertus digestives. Toutes les jeunes filles le savent, en cas de règles douloureuses, elle est souveraine. Contre la méchante gueule de bois des lendemains de fête, on n’a pas fait mieux. Sinon, elle permet à nos respectables grands-mères de ne pas recourir au canard pour absorber un peu d’alcool : avec la ratafia, elles y vont franco, histoire d’attaquer la sieste en beauté. Même les enfants ont droit à une gorgée. Universelle, la ratafia !

Un chaudron de sorcière

Quand j’étais petite, le régime franquiste infligeait un unique programme télé, généralement soporifique et bien sûr, horreur suprême, en castillan ! La lucarne bleue restait donc obstinément grise, par un obscur acte de résistance instinctive. On me mettait alors dans les mains une serviette à broder, ou des draps à ajourer et la veillée commençait. Souvent, les grands-tantes comparaient « leurs » ratafias. Pour l’enfant que j’étais, ces histoires de lune montante pour telle plante, de lune descendante pour telle autre, de solstice d’été et de noyer poussant à proximité ou non d’un ruisseau, étaient un peu inquiétantes, comme un rite de sorcellerie qui m’aurait échappé. Mais pour l’imagination, ça valait toutes les séries télé : je voyais des vallées, des ruisseaux, des montagnes et des femmes penchées sur les herbes, en pleine nuit. Passionnant.

Une recette multiple

Donc, je peux vous le dire, «la » recette de la ratafia n’existe pas. Ou plutôt elle existe, en milliers de versions, selon les climats et les vallées. C’est comme les boles de picoulat ou l’ouillade, ça dépend des familles et certainement de l’environnement végétal du mas d’origine, car géographiquement c’est quand même autour de la Garrotxa et du Montseny, grands pays de mas et de hameaux que ça se passe : Olot, Besalú, Santa Coloma de Farners et Centelles en sont en quelque sorte les épicentres, même si Santa Coloma s’en est proclamée la capitale mondiale !

Autour de la noix verte

Le tronc commun de toutes les recettes, c’est la bogue de noix verte, mise à macérer dans de l’alcool avec des herbes soigneusement choisies. Selon ma grand-tante, il en fallait absolument treize (parmi lesquelles la menthe, la verveine, la camomille, l’anis étoilé, le basilic, le citron), auxquelles venaient s’ajouter de la noix muscade, des clous de girofle et de la cannelle. Ce mélange doit être stocké « a sol i serena » c’est-à-dire en plein air aussi bien la nuit que le jour, pendant quarante jours et quarante nuits, avant que la macération ne soit stoppée par l’adjonction de sucre. La ratafia n’est pas catalane pour rien, ici tout se mérite !

ratafia3Catalana, sí, sí !

Non, non, je ne pousse pas de hihan au hasard : l’expansion géographique de la ratafia, ce sont d’abord les pays catalans et leurs pays immédiatement limitrophes. Bien sûr, je ne parle pas des liqueurs de fruits, ni des rhums arrangés, non. Je parle de ce mélange précis de noix verte et d’herbes. On en trouve au Val d’Aran, sous l’appellation aigua de nodes (eau de noix), à Minorque où des œillets, des magnolias et même des cerises viennent l’enrichir. A Majorque, on n’hésite pas à y intégrer la peau d’un citron. A peine note-t-on une incursion du merveilleux breuvage en Aragon et dans le Limousin, mais sous une forme sensiblement différente. La ratafia c’est une affaire catalane. Une affaire de famille. Et de tourisme…

Un atout touristique

Ainsi, Santa Coloma de Farners vous attend les 8 et 9 novembre pour la Festa de la Ratafia. La liturgie de cette fête familiale est confiée à la très sérieuse Confrérie de la Ratafia qui scande de sa procession et de sa bannière, le début et la fin des réjouissances, un peu comme la confrérie des chocolatiers ou celle des vignerons chez nous. Chaque année sont intronisés de nouveaux confrères, triés sur le volet avec toute la solennité que suppose une affaire aussi sérieuse. Dans la ville, les ateliers fleurissent pour vous apprendre à élaborer la précieuse liqueur. Deux must cependant, le merveilleux jardin de la ratafia qui rassemble en pleine ville toutes les plantes qui entrent dans sa composition, et l’atelier des vieilles recettes, passionnant. C’est une expérience à ne pas manquer et un week-end de fin d’automne qui s’annonce bien.

Vers l’hiver

Décidément l’arrivée de l’hiver inspire les adorateurs de la liqueur qui réchauffe les cœurs. Chaque premier week-end de décembre, Besalú lui consacre une foire. Vingt-cinq candidats (tous de Besalú) s’affrontent pour créer la ratafia de l’année, laquelle, honneur insigne et convoité, sera tirée en 700 bouteilles par la municipalité. Un grand marché de produits artisanaux accompagne l’évènement, dans le cadre unique des venelles de la vieille cité juive. Comme c’est juste avant Noël, vous y trouverez tout ce que vous pouvez désirer pour décorer votre arbre, votre pessebre ou votre table. Sans parler des produits de bouche à quelques semaines du réveillon…

Boisson de sabbat

Il était logique que Centelles, capitale incontestée de la sorcellerie, se penche sur un breuvage aussi mystérieux que les philtres d’amour et qui a tout, finalement de l’elixir de vie. Après tout, quand nos grands-pères et grands-mères lèvent le coude en fin de repas autour du traditionnel « per molts anys », ne s’agit-il pas de ça ? Ne dit-on pas que les apothicaires, en des temps où l’alchimie se pratiquait dans le secret des officines, n’hésitaient pas à y mêler quelques flocons d’or ou d’argent, symboles et gages d’éternité ? Une originalité, Centelles ne s’intéresse pas directement au produit fini, mais à la cueillette des herbes, en plein solstice d’été, soit le troisième week-end de juin. La ratafia, ce serait donc aussi le bouquet de la Saint Jean caché au cœur de la ratafia, conservé pour l’année et consommé en famille.

ratafia2Ben bé d’Olot

A Olot, depuis plus de cent ans, la famille Russet fabrique une ratafia artisanale qui ressemble à s’y méprendre à celle que je confectionne patiemment, tous les ans selon les instructions posthumes de mes grands-tantes. D’ailleurs, le petit établissement a adhéré au club très fermé des artisans vraiment olotins, rassemblés sous l’appellation « ben bé d’Olot » (Vraiment d’Olot). Alors si vous n’avez pas l’âme du cueilleur, ni celle du liquoriste, ne vous privez pas pour autant de la magie de la ratafia, elle est là, capturée dans la petite bouteille carrée à la jolie étiquette dessinée à l’encre de Chine !

Boisson d’avenir

Comme toutes les vraies créations traditionnelles, la ratafia intéresse de plus en plus les cuisiniers et les pâtissiers qui n’hésitent pas à la travailler pour aromatiser les plats les plus divers. Ainsi, la morue au miel, pignons, et oignons confits à la ratafia est une pure merveille qui sublime les fragrances de badiane étoilée. Le mignon de porc aux cèpes parfumé à la ratafia révèle de nouvelles saveurs de bois qui exaltent le goût du champignon. Ne passez pas à côté de la glace à la ratafia, accompagnée de pain d’épices… un monde s’ouvre à vous. L’an dernier, j’ai tenté un foie gras à la ratafia servi sur du pain d’épices grillé… Bingo ! Dans certains restaurants, on vous propose un café arrosé de ratafia : foncez, ça vaut tous les cafés arrosés du monde !

Un must

Vous l’aurez compris, plus question de ne pas accueillir la ratafia dans votre buffet aux côtés des rhums, Cognacs, Armagnacs, Grand-Marnier et autres liqueurs de vieux garçon ! Vos bras de gitanos et vos crèmes catalanes ne vous le pardonneraient pas… D’ailleurs, tant que vous y êtes, ajoutez-leur une goutte de la précieuse boisson, le résultat vous surprendra ! Elle est comme ça la ratafia, conviviale en diable ! Et vous verrez, c’est un aussi un excellent antidépresseur… Que des qualités, on vous dit !

La ratafia c’est tout un univers à découvrir. Un rituel ancré dans le fond des âges : lié à la cueillette de simples, à la sorcellerie et à la connaissance des rythmes de la nature et des astres, à la confection d’élixirs et de philtres, aux arcanes de la transmission familiale. Selon les plantes choisies, la ratafia parle la terre où elle est née et l’impose aux générations suivantes comme une invisible traçabilité. Confluence de traditions chrétiennes et païennes, médicinale et gastronomique à la fois, ouverte à toutes les variations et bien campée sur ses racines, la liqueur aux mille saveurs annonce la couleur : sang et or, résolument !

1Commentaire
  • vaudoyer
    Posted at 11:02h, 05 août Répondre

    ah !oui vous avez raison :vise le ratafia :un petit chuppito et la vie devient meilleure!!!

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