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Ripollès, la Catalogne si pyrénéenne

14 Nov Ripollès, la Catalogne si pyrénéenne

C’est une terre qui a oublié, fort heureusement, de faire table rase de ses traditions en s’ouvrant à la modernité. Le Ripollès, région bordant la frontière, située entre Olot et Puigcerdà, cultive le bon goût de la cuisine montagnarde, met en avant la finesse de son art roman et offre une grande douceur de vivre. Périple en terre de Ripoll.
Les montagnes bleues s’étirent à perte de vue, d’Est en Ouest. En ce début de matinée, elles sont parées de brume et semblent encore plus majestueuses qu’à l’accoutumée. Quelle plus belle route que celle du Col d’Ares, pour découvrir le Ripollès ? Nous avons laissé la vallée du Tech et la cité de Prats de Mollo encore endormies, pour grimper, virage après virage, vers cette frontière qu’un troupeau de moutons sud-catalan semble ignorer superbement, s’apprêtant à franchir le col sans ciller. Quelques virages plus bas, au loin, l’antenne du pic Neoulous nous a rappelé combien la mer, bien qu’invisible, était proche. Seul un vent frisquet et quelques cloches perturbent le calme. Passé le Col d’Ares, nous voilà dans le Ripollès. Si, bien souvent, la Catalogne évoque les grandes plages et les criques turquoises de la Costa Brava ou la frénésie de Barcelone, ici, l’ambiance est définitivement pyrénéenne, comme le rappelle le mythique Costabona. Depuis la route, son sommet à la symétrie parfaite est bien visible, rappelant, avec ses 2 465m d’altitude et son pic pelé, que la haute montagne, dans le Ripollès, n’est jamais loin.

Ripolles3Mas montagnards et prés verdoyants

La route file maintenant vers les vallées. Quelques ruines, des mas montagnards, des prés verdoyants s’enchaînent. De ci de-là, un sentier se laisse entrevoir. Avec un peu d’imagination, on perçoit les scènes d’exil qui ont dû se dérouler sur ses pentes en 1939… Hommes, femmes, enfants, grimpant dans la neige et le froid vers le col, fuyant Franco. Aujourd’hui, la région baigne dans le calme. Peu avant Molló, nous tournons à droite pour jeter un œil à Espinavell. Ce petit village retiré, en cul-de-sac, vaut le détour. Des murs en pierres grises superbement restaurés, des plantes grimpant le long des portes… Pour peu, on se croirait dans un vieux village du Haut-Conflent, Nohèdes ou Evol, si ce n’étaient les toitures : ici la tuile prévaut sur l’ardoise. De ce hameau reculé, une unique route – une piste plutôt -, mène à la vallée voisine de Setcases, moyennant de beaux virages et de la patience. A Molló, le nom du village, comme la présence des montagnes en arrière-plan, soulignent que l’on se trouve décidément à quelques encablures du village français presque éponyme. Si Molló est plus important qu’Espinavell, la présence des jardins potagers au milieu des constructions rappellent qu’ici, on se trouve en plein monde rural. L’église Santa Cecilia, du XIIe siècle, n’impressionne pas moins par ses proportions, qui semblent aujourd’hui démesurées par rapport à la taille du village. Mais dans le Ripollès, c’est au fond de vallées perdues que se cachent les plus beaux trésors.

Beget, un écrin à deux pas de Lamanère

Cap, donc, sur Beget, petit diamant pyrénéen. Pour ce faire, nous empruntons une route sinueuse qui traverse des forêts, longe un torrent et passe près d’un château en ruines construit sur un éperon rocheux, le Castell de Rocabruna, surprenant par la rougeur de sa pierre. Nous sommes ici, bien que dans la comarca du Ripollès, au cœur de l’Espace Naturel de l’Alta Garrotxa. Beget se dévoile après un ultime virage. Le petit village est tapi en contrebas, le long de la rivière. Un sol aux pavés pointus recouvre la rue principale. Nous passons près de l’église Sant Cristofol, un superbe édifice roman qui, ici encore, semble disproportionné par rapport à la taille du village. Un petit pont enjambe la rivière. Tout au bout du village, une rue grimpe en amont de la place et mène au « Forn », un hôtel-restaurant à l’ancienne, qui concocte une cuisine familiale. Derrière le comptoir, une jeune femme sert des cafés serrés. Une grand-mère descend les escaliers et entre dans la salle du café, tandis qu’une fillette pointe le bout de son nez. « Ici nous sommes quatre générations sous le même toit ! » sourit le patron, Enric. Sur les murs, des photos de clients célèbres en Catalogne sont affichées. Ici, Jordi Pujol, là, l’acteur Sergi Lopez, à côté, le footballeur Victor Valdes ou encore Marc Gene, pilote de F1… La famille d’Enric fait vivre l’hôtel-restaurant depuis 1986, mais la bâtisse, elle, daterait du XVe siècle ! Josep, un habitant du village, vient chercher son journal matinal. Des habitants, Beget en compte une poignée : « si on ne compte que le noyau du village, nous sommes 17, mais comme Beget a un territoire de 54 km2, il y a 84 personnes en tout » explique Enric, loquace dès qu’il s’agit de raconter son village.

Ripolles2Colporteurs et contrebandiers

Fut un temps, Beget était un centre de vie important. « Les gens cultivaient en terrasses, ils vivaient beaucoup du charbon de bois. Il y avait deux ou trois équipes de colporteurs. Ils partaient à Camprodon avec du charbon et revenaient avec de la farine par exemple. Personne n’avait un centime ! C’était une économie de troc. Il y avait beaucoup de contrebande aussi ». Pensez donc : la frontière française est à deux pas, avec le village de Lamanère à quatre heures de marche à peine. Puis, « dès que la route est arrivée, les gens sont partis ! ». Pendant les heures sombres de l’Espagne, on faisait bouillir des pommes de terre pour les exilés qui passaient ici, sur le chemin de la France. Plus tard,« beaucoup sont partis trouver du travail dans le Roussillon, y faire les vendanges, et ne sont jamais revenus » raconte Enric. Mais Beget n’avait pas dit son dernier mot. « Dans les années 70, les gens de la « diputacio » se sont intéressés à Beget. Il y avait beaucoup de randonneurs. Ils ont commencé à racheter des maisons ». Aujourd’hui, le petit village trouve un second souffle : outre des Barcelonais en quête de mise au vert, il accueille des étrangers qui ont choisi d’y construire leur cocon. Des Belges, Hollandais, maçons ou éleveurs… Et avec toute cette nouvelle population, ô miracle, des enfants.« Nous avons douze enfants à Beget ! Énonce, non sans fierté, Enric. Ils vont à l’école à Camprodon. Ils sont tellement nombreux que ceux de Fontrubi (le hameau suivant, sur la route de Camprodon, ndlr) n’ont pas assez de place pour s’asseoir ! ». Ainsi va Beget, petit village que rien ne prédisposait à sortir de l’abandon, si ce n’est un charme fou, propre à séduire une population nouvelle. Nous délaissons cette vallée perdue aux confins du Ripollès et de la Garrotxa, pour partir à l’assaut de la ville la plus importante de la partie orientale du Ripollès : Camprodon.

Ripolles4Vivante Comprodon

Étonnante attractivité que suscite cette petite ville si éloignée des centres névralgiques de la Catalogne. Dans le cœur des Catalans, bien souvent, Camprodon tient une grande place. Souvenirs d’enfance, de balades près du Pont Nou ou de joyeuses ripailles agrémentées de charcuterie locale… D’une façon ou d’une autre, Camprodon trouve toujours un moyen de toucher au cœur. Nous comprenons mieux le pourquoi d’un tel engouement, en nous engouffrant dans les rues du centre-ville. Ici, les commerces sont nombreux et la foule dense. Dans le carrer València, on pousse les portes d’une petite épicerie à l’ancienne. Des cagettes de fruits et légumes sont empilées sur le pas de la porte et, à l’intérieur, une quantité record de produits est entassée sur des rayons serrés. Plus loin, une quincaillerie propose des rideaux en fer dans le même style que ceux que l’on trouve à Céret. Pour le design, on repassera… L’effet chasse-mouches, en revanche, est garanti. Sur le côté, une ruelle très justement baptisée « cami dels horts » grimpe vers les champs et les jardins. Manière de rappeler aux visiteurs que, malgré le dynamisme de cette petite ville commerçante, ici, la nature n’est jamais loin. En levant les yeux, on aperçoit d’ailleurs les collines qui encerclent de part et d’autre la cité. En descendant vers le bas de Camprodon, on découvre d’improbables passerelles qui enjambent la rivière, ainsi que le fameux Pont Nou. Comme son nom ne l’indique pas, cet ouvrage remarquable n’est pas exactement « neuf » : il date de l’époque romane, plus exactement des XIIe-XIIIe siècles.

Fromages et llonganisses

Aujourd’hui encore, on emprunte le Pont Nou à pied, pour passer d’une rive à l’autre du Ter, découvrant au passage un beau point de vue sur les environs. A ses pieds, les promeneurs du dimanche s’assoient sur les roches polies par les eaux et les enfants jouent dans l’herbe. A deux pas de là, dans la rue de Sant Roque, les épiceries fines exposent des fromages de chèvre, d’imposants jambons, des llonganisses (saucisses sèches) à faire saliver n’importe quel amateur de charcuterie. Certains magasins sont, semble-t-il, restés figés depuis des décennies. Le carrelage traditionnel, le comptoir à l’ancienne, rappellent aux Catalans un peu le Camprodon de leur enfance. De cette ancienne ville commerçante, mais aussi industrielle, subsistent des témoignages ça et là. Sur la place du Docteur Robert, sur un panneau fixé au mur, semblable à un nom de rue, on peut lire : « Qui treballa s’ennobleix, qui molt vaga s’envileix » (« qui travaille s’anoblit, qui vaque s’avilit »). En quittant le cœur de ville en direction de Llanars, on peut lire, sur la façade d’une immense bâtisse typique du début du XXe siècle, « Galetes Birba depuis 1910 ». Aujourd’hui, l’industrie de gâteaux secs a quitté les lieux.

Le faste du Passeig Maristany

Le faste de la ville élue au siècle dernier par de riches Barcelonais comme lieu de villégiature, en revanche, n’a pas disparu. On le constate en longeant, ébahi, le Passeig Maristany, une immense allée plantée de grands arbres. Sur toute sa longueur, de part et d’autre, se succèdent des propriétés plus imposantes les unes que les autres. Changement de décor. Nous traversons les champs de maïs qui bordent la route du côté de Sant Pau de Segúries, pour arriver à Sant Joan de les Abadesses. Ici aussi, l’art roman est omniprésent. La petite ville recouvre un trésor : un superbe monastère du IXe siècle, qui abrite une œuvre d’art remarquable : le Santíssim Misterim. On reste aussi sans voix devant le palais de l’Abbaye, du XIVe siècle. On y découvre un centre d’interprétation de la légende et la chanson du Comte Arnau. Assis dans la pénombre, sur un banc, nous écoutons la terrible histoire de ce Comte honni, condamné à errer éternellement dans les montagnes du Ripollès sur son cheval… L’histoire dispose de nombreuses variantes, mais la version prédominante veut que le Comte ait reçu la sentence ultime pour avoir commis un crime, non pas de sang… Mais de dettes impayées. Dans la Catalogne profondément commerçante, cela ne s’invente pas ! Mais ne prenons pas l’affaire à la légère.

La terrible histoire du comte Arnau

La légende prend pied en des lieux impressionnants, voire effrayants par mauvais temps et avec un soupçon d’imagination. Ainsi, nous vous conseillons de boucler ce périple en rentrant par la Cerdagne, via la Molina et Puigcerdà. Après Ripoll, vous vous autoriserez bien un dernier petit détour ? Tournez à Campdevànol, en direction de Gombrèn. Peu après ce village, une petite route vous mènera, en serpentant dans la montagne, jusqu’au sanctuaire de Sant Pere de Montgrony. C’est une incroyable vue que vous découvrirez alors de cet éperon rocheux, suspendu plusieurs centaines de mètres au-dessus du fond de vallée. Ici, les bâtiments du monastère ont été transformés en hôtel-restaurant. Vous demanderez au restaurateur la clef de l’église située plus haut. Vous grimperez les 140 marches qui y mènent et tournerez l’énorme clef en fer forgé dans la porte. Celle ci s’ouvrira dans un courant d’air froid et, le temps de trouver la lumière, un frisson vous envahira. En redescendant vers le sanctuaire, vous ne pourrez vous empêcher de penser à la terrible histoire du Comte Arnau. Car c’est notamment par ici qu’il erre, par mauvais temps. Si l’orage gronde, ne demandez pas votre reste et rentrez fissa vous réconforter dans la chaleur du restaurant rempli de retraités en goguette. Face à votre assiette de grillades copieusement accompagnée d’aïoli et de « vi de la casa », vous vous rassurerez : le Comte Arnau n’a qu’à bien se tenir. Sur le chemin du retour, la vigilance vous guidera tout de même en passant sous les immenses rochers prêts à tomber… Sait-on jamais. Dans le Ripollès, les légendes ont la vie dure.

 

Fanny Linares

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