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SERGI GUEIMONDE : RENCONTRE AVEC UN AMOUREUX

05 Août SERGI GUEIMONDE : RENCONTRE AVEC UN AMOUREUX

Sergi Gueimonde est jeune conseiller à l’environnement du Comú de La Massana. Il s’attache à préserver et promouvoir un cadre naturel exceptionnel en grande partie encore méconnu, qui fait pourtant partie intégrante de l’identité andorrane

CC : Bonjour Sergi. Pouvez-vous dire à nos lecteurs quelle est votre formation de base ? Comment devient-on conseiller à l’environnement ?

Je crois qu’en l’occurrence c’est le choix d’une vie tout entière. J’ai une formation d’agronomie mais aussi de cadre de l’industrie du bâtiment, je suis donc exactement à la croisée de l’impact que peut avoir l’homme sur son environnement, d’une part en exploitant les richesses naturelles de la terre, d’autre part en modifiant le paysage et en perturbant les équilibres naturels avec ses constructions. Je suis né en Andorre, je respire ces montagnes tous les jours de ma vie et je veux participer au développement raisonné de mon pays. Je n’ai de charge politique que depuis six mois, même si je travaille depuis très longtemps dans l’ombre.

CC : L’Andorre est un petit pays, j’imagine que les compétences en matière d’environnement sont très croisées ?

Nous avons 7 administrations communales et une administration centrale, alors oui, tout est complémentaire, et tout est étroitement mêlé. Nous venons par exemple d’organiser un appel d’offre national pour la collecte des ordures ménagères, avec pour but d’alléger la logistique et de diviser le nombre des points de collecte tout en privilégiant les véhicules non polluants. Le four d’incinération ne produit aucune fumée, son panache est fait de vapeur d’eau, et l’énergie produite est recyclée pour l’éclairage public. On a aussi multiplié les déchetteries. On avance.

Sergi Gueimonde2CC : Les normes environnementales sont les normes européennes je suppose ?

Non, nous ne faisons pas partie de la communauté, alors nous fonctionnons par le biais de conventions bilatérales avec nos deux voisins, la France et l’Espagne. De fait, nous respectons les dispositions de la convention de Bâle et nous sommes en quelque sorte européens par ricochet !

CC : Quand on regarde la configuration de la Principauté avec son axe étroit et surchargé le long de du GranValira, on suppose que la pollution automobile est énorme ?

Oui et non. Evidemment cela signifie que la législation est très stricte par exemple en matière de transport de produits dangereux, mais la qualité de l’air, classée sur une échelle de 1 à 5, est ici à 2, c’est-à-dire plutôt bonne. Nous n’avons aucune industrie, juste une géographie de goulet d’étranglement un peu compliquée…. Il n’y a de régulation des flux de véhicules que pour les poids lourds, les jours fériés par exemple. Dans le même ordre, nos eaux sont constamment surveillées, et là encore, la note est bonne, et même pour certains affluents de haute montagne, excellente.

CC : Au niveau de votre commune, comment se décline votre action ?

D’abord, nous avons l’ambition d’être une paroisse (nom des communes en Andorre) basée sur le développement durable et nous avons opté pour des véhicules communaux non polluants. D’ailleurs à ce propos, savez-vous que l’Andorre est le deuxième pays du monde en termes d’achat de véhicules électriques rapporté à la population ? Incroyable ! Ensuite, nous voulons changer l’image de l’Andorre en tant que « shopping géant ».

CC : J’aime beaucoup votre slogan « le pays des Pyrénées »

Justement, à La Massana, nous l’avons décliné, le nôtre c’est « montagnes d’émotions »

CC : Nous n’avons pas parlé de l’agriculture ?

C’est un petit secteur, tourné principalement vers la pomme de terre, la culture du tabac et l’élevage. Sur ma commune, nous avons 1 500 têtes de bétail. Les paysans appliquent les bonnes pratiques et limitent par exemple l’utilisation des herbicides. Comme nous achetons les produits phytosanitaires en Espagne, ils respectent de fait les normes européennes.

CC : Il existe une production fromagère ?

Non. Contrairement à la Seu d’Urgell avec Llet del Cadí, nos vaches sont des vaches à viande et la race locale est d’ailleurs homologuée, il s’agit de la vache brune d’Andorre.

mouflonCC : Le cadre naturel de la Massana est magnifique, vous êtes dans le parc du Comapedrosa…

D’abord, c’est le sommet le plus haut de la principauté avec ses 2 942 m. Ensuite, nous disposons d’un domaine forestier énorme que nous avons commencé à exploiter, ce qui permet de renouveler la forêt en soignant les sous-bois, et de disposer d’un carburant peu onéreux et 100 % naturel pour les édifices publics. C’est un enjeu de poids pour l’avenir.

CC : Vous la parcourez, cette montagne ?

Je dirais plutôt qu’elle m’habite. Je lui offre tout mon temps libre, je pêche, je fais du ski. Il faut que je vous dise que le parc est constellé de lacs et d’étangs glaciaires de toute beauté. Dans le parc, nous conservons toutes les activités traditionnelles, c’est une véritable oasis. D’ailleurs, lorsque nous l’avons créé, en 2003, nous nous sommes appuyés sur le Parc de l’Ariège et le Parc des Hautes Pyrénées dont il est limitrophe.

CC : Je suppose que la faune et la flore sont incroyables ?

Je vais peut-être vous surprendre mais je suis un grand défenseur du retour de l’ours dans les Pyrénées. Pour l’instant, on ne le voit pas beaucoup chez nous mais je pense qu’il est juste qu’il puisse réintégrer un milieu dans lequel il a toujours vécu. Sinon, nous avons des isards, des marmottes, des rapaces et deux amphibiens totalement endémiques, la sireneapallaresa et le triton pyrénéen ! Nous protégeons la flore par le biais d’une liste rouge qui hiérarchise le niveau de menace qui pèse sur chaque espèce. Cela peut-être évidemment extrapolé au monde animal.

CC : Partout je vois des mas impeccablement restaurés…

Ici, on dit des « bordes » comme en occitan. Oui, les gens restaurent à tour de bras malgré des coûts colossaux car il faut souvent acheminer le matériel en hélicoptère. Il y a une vraie conscience d’identité et de patrimoine qui me ravit.

CC : Les deux secteurs forts de l’Andorre sont le bâtiment et le tourisme, tous deux intimement liés, je suppose que vous agissez sur les deux ?

Oui, nous sommes vigilants sur la préservation du paysage et l’utilisation des énergies propres, mais surtout, nous voulons vendre l’Andorre comme un paradis vert et c’est là qu’intervient notre projet phare. Nous sommes en train de récupérer tous les anciens chemins, les « caminsrals » qui menaient d’une paroisse à l’autre, pour permettre aux visiteurs et aux Andorrans de traverser tout le pays et de prendre conscience de façon concrète de l’extrême beauté de nos vallées.

CC : C’est un projet qui pourrait aboutir pendant votre mandature ?

Vous savez ici, elle ne dure que quatre ans, les assemblées sont renouvelables de façon tournante, je ne sais pas… Mais c’est un projet très exaltant qui fait sens parce que c’est une façon de dire au monde qui nous sommes, de quel monde paysan nous venons, comment les anciens rompaient l’isolement… Oui, c’est un projet très fort. L’Andorre c’est la pleine nature, un air pur qui brûle les poumons et de la beauté partout. Ce que je voudrais, c’est que les gens puissent toucher du doigt cette réalité si forte de la montagne et avoir envie de vivre en harmonie avec elle.

Vous parlez de la montagne comme un amant…

Oui, vous avez raison, je suis vraiment amoureux de ces espaces, de ces sommets, de ces rivières. Je n’imaginerais pas un quart de seconde pouvoir vivre ailleurs. Je veux consacrer ma vie, mon temps, mon énergie à préserver cet environnement exceptionnel.

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