VOTRE MAGAZINE N° 128 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 128 EST EN KIOSQUE

Sous le signe du Delta

01 Juil Sous le signe du Delta

Zone humide la plus grande de Catalogne, 2e habitat aquatique de la Méditerranée occidentale après la Camargue. Pas étonnant que le Delta de l’Ebre ait été classé Parc Naturel. Un véritable éden pour plus de 350 espèces d’oiseaux ! Une biodiversité qui attire les « birdwatchers » de toute l’Europe.
Si le Delta était une langue, elle s’apprendrait naturellement. Elle serait imagée et colorée. Teintée de vert, d’ocre et de bleu selon les saisons. Dorée par les lueurs de l’aube, cette langue de « bout du monde » serait essentiellement ponctuée du chant des oiseaux. Plus qu’une langue, un sabir. Le mélange unique d’une faune et d’une flore qui affolerait plus d’un dictionnaire spécialisé. Une langue deltaïque magique et unique qui a été classée au rang de Parc Naturel dès 1983. Il fallait en effet protéger à tout prix la valeur écologique de cette presqu’île qui s’étend sur plus de 8 000 hectares de terre et plus de 500 hectares de mer.

ebre7Au royaume de la nidification

Pas une route ou un chemin au bord duquel ne s’élève une tour d’observation. Armés de jumelles et de patience, les bird-watchers, comprenez les ornithologues du dimanche ou des vacances, viennent assister dans le Delta à un spectacle donné par environ 350 espèces d’oiseaux différentes, dont 60% de toutes les espèces européennes ! Incroyable ballet de bipèdes et volatiles. A la fin de l’hiver, la terre asséchée sert déjà de décor à de singulières scènes.

Les ornithologues en leur paradis

Derrière les tracteurs qui labourent les champs, de petites grappes d’oiseaux aristocratiques aux longues pattes, les hérons garde-bœufs semblent presque surveiller le travail des hommes. Plus loin, dans les étangs, les flamants roses déploient leurs longs cous comme autant de points d’interrogation sur le trait de l’horizon. Là, passe une aigrette, plus loin une poule sultane sautille, un crabier chevelu promène son lourd bec bleu à pointe noire. Voilà pour les « autochtones », les oiseaux non migrateurs observables tout au long de l’année. Sauf qu’ils ne restent jamais seuls ! Ils sont en effet rejoints par 50 000 à 100 000 individus qui migrent par le Delta de l’Ebre ! Lieu de repos et d’hivernage, de nombreuses espèces élèvent là leurs petits. Les îles qui se sont formées à l’intérieur du fleuve, comme celle de Buda, Sant Antoni, Gracià et Sapynia, abritent les derniers bosquets du Delta et les deux péninsules de la Punta del Fangar et de la Banya, constituent de précieux refuges pour les oiseaux marins. La meilleure époque d’observation des oiseaux demeure l’automne, époque à laquelle l’arrivée des hivernants coïncide avec le passage d’autres migrateurs en route pour un sud plus lointain.

ebre5Myriades de flamants roses

L’hiver permet lui aussi d’observer des espèces très intéressantes, parmi lesquelles on remarquera beaucoup d’anatidés tels que le souchet, le canard siffleur, la tardone, le milouin mais aussi des limicoles comme le chevalier ou encore le barge à queue noire. C’est en été que les espèces sont moins nombreuses mais d’autant plus spectaculaires ! On trouve ainsi le héron pourpré, l’échasse et le blongios nain. Les espèces estivales et sédentaires nidifient sur le delta et l’accouplement a généralement lieu au début du printemps. Il est suivi de la ponte, les œufs éclosent en principe vers la fin du printemps et le début de l’été. Les invertébrés sont également nombreux, tout comme les insectes, les arachnides, les crustacés, les reptiles et amphibiens. Les loutres, les hérissons et les belettes figurent parmi les mammifères les plus nombreux. Il fut une époque dans les années 80, avant que le Delta ne soit classé et protégé, où la chasse était intensive, au point que les oiseaux avaient complètement disparu de la lagune de la Tancada. Aujourd’hui, elle déborde d’espèces chassables mais interdites aux coups de fusils. Ce sont donc les étangs voisins qui bénéficient du renouveau de leur avifaune. Avec 6 000 noms sur la liste d’attente pour chasser dans le delta, ils sont bien peu à pouvoir chaque année traquer foulques et cols verts. Seuls quelques privilégiés peuvent s’offrir ce luxe en participant à la régulation de certaines espèces. Des chasseurs qui reviennent à des pratiques anciennes comme la chasse à l’affût dans des barques que l’on fait avancer à la perche. Les différents niveaux de salinité permettent la présence de toute une variété bien différenciée de poissons. Anguilles, dorades, mulets, civelles et autres espèces abondent dans les eaux tranquilles des lagunes, notamment de celle de l’Encanyissada. Des poissons qui inondent les marchés environnants à raison de plus de 35 tonnes par an.

ebre6Ingénieux système d’irrigation

Quand les cormorans ne volent pas les plus beaux spécimens. Côté flore, le Delta n’est pas non plus enreste. Les derniers recensements font état de la présence de 515 espèces de végétation dans les zones d’eau salée, les roseaux, les rizières et les forêts en bordure du fleuve. On y trouve une importante végétation halophile. Le nénuphar blanc et l’orchidée sont, de loin, les espèces les plus exotiques. Grâce aux efforts consentis par les pêcheurs, chasseurs et les habitants de cette plaine, le Delta se porte plutôt bien. Les gens du cru ont en effet pris conscience qu’ils avaient sous leurs pieds un trésor inestimable, qu’il convenait de préserver à tout prix. De protéger du tourisme de masse et d’autres agressions potentielles qui risquaient de dénaturer les lieux. Mais que dit l’Ebre dans tout ça ? Car c’est peut-être du fleuve, de ce dieu, le père nourricier qui a déjà reculé de 100 mètres en dix ans que pourrait venir le danger. Dominé par l’homme dès sa source, l’Ebre cumule tout au long de son bassin-versant près de 200 barrages pour l’hydroélectricité et l’irrigation. Des installations qui retiennent et décantent l’eau. Du coup, lorsque l’Ebre arrive à son embouchure, il n’apporte qu’une partie dérisoire de tous ces sédiments nécessaires à l’évolution naturelle du Delta. Soit 3 millions de tonnes par an actuellement, contre 20 millions au siècle dernier. Un manque qui se traduit par des régressions de terrain et des affaissements et fait disparaître peu à peu la plateforme deltaïque sous la mer. Sans compter l’érosion du vent et la mer qui lèche goulûment la frange sablonneuse… Seul un système d’irrigations contrôlé est capable de freiner ce phénomène. Et qui dit irrigation, dit jeux d’eau et effet-miroir. La plus belle image du Delta.

Pas de commentaire

Poster un commentaire