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Une terre de savoir-faire

13 Mai Une terre de savoir-faire

Tourons, chocolat, cruches en céramique noire, outils agricoles, techniques d’agriculture sèche ou en irrigation, viticulture, industrie du papier, l’Urgell sait tout faire. Portrait d’une comarca aux multiples talents.
Le territoire, regroupé sous l’appellation Urgell ou Baix Urgell, lors de la réforme territoriale de 1987, comprend le Pla d’Urgell et trois vallées, celle de la Ribera de Sió, du Riu Ondara et du Riu Corb. Il est extrêmement rural, puisque la capitale, Tàrrega, compte à peine 30 000 habitants. Ce petit pays, dans sa diversité de milieux naturels qui va de la moyenne montagne à la plaine, des cultures irriguées aux cultures sèches, a permis à l’homme de développer au fil des siècles des savoir-faire qui en ont fait une terre d’artisanat, puis de petite industrie, particulièrement riche.

terre3Sculpter la terre

Les Ibères ont, les tout premiers, bien avant la romanisation intervenue au IIIe siècle avant Jésus Christ, produit des poteries et des céramiques, comme l’atteste le peuplement des Estindells. Dès le Moyen Age, dans la continuité de ce savoir-faire millénaire, deux fours fonctionnent en permanence à Tàrrega à l’intérieur des remparts. En 1470, l’invention de la céramique noire dope la production : on compte alors jusqu’à 30 fours qui fabriquent des cruches (càntirs). Et la réputation se répand bien au-delà des frontières. On vient s’approvisionner depuis le sud de l’Espagne et aussi depuis le sud de la France ! Cette tradition artisanale d’excellence se poursuit aujourd’hui et l’Urgell reste une terre de petits artisans mégissiers, potiers, chausseurs…

A la lisière de la Conca de Barbera, Verdú a longtemps appartenu au monastère de Poblet dont on connaît les excellents vignobles, aujourd’hui exploités par la firme Codorniu. Ce lien maintenu pendant 6 siècles et porteur de nombreux privilèges a rendu la petite ville très prospère. Elle tenait par édit royal, datant de 1378, un marché pour la Saint Marc. Aujourd’hui les vins produits à Verdú sont classés en Appellation d’Origine Costers del Segre ou Catalunya. Les vins blancs, excellents, reçoivent aussi l’appellation Cava. Autour de la mi-octobre, la « Festa de la verema i del vi » s’accompagne d’actions gastronomiques de premier plan.

Traditionnellement, terre de cultures sèches, du moins en zone de plaine, l’Urgell a vu sa sociologie et son économie bouleversées en 1862 avec le creusement du canal de l’Urgell qui permettait enfin, dans une région à très faible pluviométrie, l’irrigation de terres arides. Fait incroyable, malgré l’engouement de la population, parfois partie attendre l’arrivée de l’eau miraculeuse des kilomètres en amont, les catastrophes se multiplièrent : épidémies, incapacité des paysans à s’adapter à cette nouvelle forme d’agriculture, conflits de voisinage dans le cadre du syndicat des « reguers » (les arroseurs), il fallut beaucoup de temps aux gens du cru pour faire de cette manne nouvelle un atout, et pour changer durablement la physionomie de la contrée. Toutefois, ce changement, quasiment concomitant à l’arrivée de l’électricité et du train, s’avéra une véritable révolution.

terre2Le savoir-faire s’illustre aussi dans le domaine de la gastronomie qui fait une large place aux produits sauvages : champignons, escargots, herbes, à la volaille, au lapin, et bien sûr à tous les légumes du potager. A l’arrivée, une cuisine de montagne goûteuse, roborative qui tient bien au corps et enchante les papilles. Au rayon des grandes spécialités, notamment à Agramunt, le touron et la xocolata de pedra (entendez un délicieux cacao sucré et vanillé). Il semble que le métier de turronaire, documenté en 1741, remonte au Moyen-Age. En tout cas, dès le XVIIIe siècle, les artisans d’Agramunt tenaient foire à Barcelone pour Noël, où ils étaient en rivalité avec ceux de Xixona (Pays valencien). Ils avaient opté pour un véritable costume, barretina violette pour les hommes, foulard de soie blanche pour les femmes, créant avant la lettre une vraie appellation d’origine.

Signe des temps et de la capacité d’adaptation, la foire du touron abrite désormais tous les ans la foire des machines agricoles, autre spécialité de l’Urgell qui a maintenu encore de nos jours un tissu dense de petites et moyennes entreprises, notamment à Guimera. Le parc de Sant Eloi, qui surplombe la ville, rend hommage à cette caractéristique : ce véritable musée à ciel ouvert, planté d’arbres séculaires, vous permettra de découvrir ça et là un pressoir à huile, un pressoir à vin, un moulin à vent ou encore une moissonneuse-faucheuse datant des années 30, ou l’un des premiers tracteurs jamais utilisés dans la comarca.

Cette propension à célébrer le passé s’accompagne d’une confiance résolue dans l’avenir et notamment dans les énergies durables. Ne ratez pas le parc éolien de la Serra del Tallat, une belle chorégraphie de tournesols géants qui, étrangement, n’offense pas l’œil. Ici artisans, paysans, petits industriels refont le monde à leur mesure depuis des siècles, conscients d’être les passeurs d’une mémoire collective faite de peine et de résistance, de travail et de talents croisés.

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