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Il y a 100 ans, la Côte Vermeille se révèle au monde

14 Oct Il y a 100 ans, la Côte Vermeille se révèle au monde

Destination : Côte Vermeille. Voilà maintenant cent ans, qu’entre vignes vertes et bleus rivages, elle colore d’un rouge passion la carte des imaginaires. Palette aux multiples sensations, elle ”a cessé au cours de ce centenaire de s’inscrire au cœur de la géographie affective de nombreux estivants et amateurs d’escapades aussi ensoleillées qu’enivrantes. Si la légende raconte que la Côte Vermeille est née de écume des flots, son nom résonne pour la première fois dans le ciel catalan… le 5 novembre 1912. Retour sur la naissance de cette Vénus des temps modernes à éclatante et éternelle beauté.

 
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Il y a deux mille ans, les premiers visiteurs à accoster sur les rivages de la Côte Vermeille érigent ce petit bout de terre, né de la rencontre de la Méditerranée et des Pyrénées, en temple de la beauté. Entre criques pacifiées et paysages ornés d’agaves tentaculaires dominés par les vallons qu’esquissent chênes-lièges et oliviers, les Romains fondent le mythique Portus Veneris. Toutefois, si au fil des siècles l’alignement des vignes en terrasse façonne, modèle et réinvente le paysage, le temple de Port-Vendres sombre peu à peu dans l’oubli, abandonné. Sur ses ruines prend place au XVIIIe siècle un port moderne. Les quelques voyageurs romantiques, pourtant si amateurs de ruines, ne feront cas ni des origines antiques de Port-Vendres, ni du charme de Collioure ou de Banyuls. Leur seule obsession, s’embarquer pour les îles de l’Espagne Noire ou partir à la découverte des mirages du désert algérien.

Il faut attendre la toute fin du XIXe siècle, pour qu’un homme, un sculpteur, accompagne par sa carrière, la renaissance d’un culte millénaire. Aristide Maillol aime sa terre, la modèle, la caresse pour la révéler Vénus. S’il doit rejoindre Paris pour lancer sa carrière, son imaginaire reste à Banyuls. A la capitale, il se fait le principal ambassadeur de la côte roussillonnaise, louant l’authenticité et le caractère sauvage de la côte catalane. Il convainc amis et artistes de venir découvrir cette nouvelle Arcadie. A Banyuls, il accueille, en premier lieu, Louis Valtat (1896-1897) puis ses deux amis du groupe des Nabis, l’écossais, James Pitcairn-Knowles et le hongrois, József Rippl-Rónai (1899). Chacun y vit un choc esthétique déterminant pour son œuvre. Valtat enrichit sa palette de tons fauves, alors que Pitcairn-Knowles et József Rippl-Rónai traduisent une lumière inédite, à la fois violente et subtile. En s’installant à Collioure en 1905, Henri Matisse et André Derain expérimentent ces mêmes sensations de dépaysement absolu et de découverte d’une terre, communicant une énergie créative. Toute une gamme colorée nouvelle se présente à eux comme l’explique Derain à Vlaminck, pour le convaincre de venir à la rencontre de cette terre : « ce pays-ci, ce sont des gens, la tête bronzée avec des couleurs de peau chrome, orange, culottés, des barbes noires bleuté… Ce sont des femmes, de très beaux gestes, avec des caracos noirs, des mantes… puis des poteries rouges, vertes ou grises… des ânes, des bateaux, des voiles blanches, des barques multicolores. Mais surtout, c’est la lumière. Une lumière blonde, dorée, qui supprime les ombres… c’est un travail affolant… tout ce que j’ai fait jusqu’ici me semble stupide. Mais vois-tu, ce qu’il faut c’est foutre le camp de Paris ».

Un mot d’ordre que suit Manolo Hugué qui rallie en 1909 Banyuls, afin d’y fonder, avec ses amis Déodat de Séverac et Frank Burty-Haviland, une nouvelle colonie d’artistes. Finalement, le groupe choisira le Vallespir et fera de Céret, la Mecque du Cubisme. Cependant, en l’espace de quelques années seulement, Méditerranéistes, Fauvistes et Cubistes séjournent sur la côte catalane pour inscrire dans la Modernité, une beauté aussi lumineuse qu’ancestrale. Les artistes découvreurs de paysages inexplorés, dénicheurs de sites exceptionnels imposent sur les cimaises des grands salons artistiques parisiens, des vues de Collioure ou Banyuls, des œuvres rapportées de leur nouvelle et secrète Arcadie.

vermeille31912 : Naissance de la Côte Vermeille

Cette reconnaissance, certes confinée à un cercle d’initiés, donne à la Côte Catalane une belle visibilité accompagnée d’une notoriété grandissante. Celle-ci permet le développement d’une nouvelle image territoriale enfin reconquise. En effet, jusqu’alors la multiplicité des appellations, de Pyrénées-Orientales à Pays Catalan et de Roussillon à Pyrénées Catalanes, entravait toute tentative de valorisation territoriale. Face à ce constat, les institutions nord-catalanes initient une première réflexion afin de se doter d’outils de promotion destinés à asseoir une meilleure visibilité, par la création d’une image claire et identifiable, en adéquation avec la spécificité du territoire. Ainsi, suivant l’exemple de dénominations déjà en vigueur telles que Côte d’Azur (1887), Côte d’Émeraude (1894), Côte d’Argent (1905) ou Costa Brava (1908), le Club Touriste du Canigou (CTC) lance une consultation afin de trouver l’appellation idoine. « Côte de Rubis », « Côte de Saphir », « Côte d’Amour » ou « Côte Elysénnes » se voient proposées mais le Club Touriste du Canigou retient, lors de son conseil d’administration du 28 octobre 1912, l’appellation « Côte Vermeille ». Plus brève, plus sonnante, elle évoque à la fois les riches terres du Roussillon et leurs produits. Octave Mengel, président du CTC et inventeur de la formule justifie cette lumineuse dénomination : « La Côte Vermeille, c’est la côte qui, à l’aurore se réveille sous le flamboiement rouge vermeil des cimes du Canigou et voit s’exonder de la grande bleue, dans son auréole de pourpre, le soleil d’Orient qui va bientôt noyer sous ses rayons revivifiants la plaine roussillonnaise, dorer de ses feux les blés de Cerdagne, du Capcir et du Vallespir pour disparaître sous la frange vaporeuse des Pyrénées Catalanes en une apothéose que la Côte d’Azur envie et est heureuse parfois de faire sienne ». Emporté par un lyrisme poétique tout déclamatoire et soucieux de fédérer son auditoire réuni en conseil, Mengel poursuit en affirmant que la Côte Vermeille se trouve là « où les grappes transforment en ce jus vermeil qui porte aux quatre coins du monde la renommée des généreux crus du Roussillon », « où le grenat et le rubis viennent, sous les doigts magnifiques de nos artistes catalans, teinter d’un chatoiement vermeil et inimitable la gaine d’or qui les enchâsse » pour conclure en résumant d’une seule formule que « La Côte Vermeille, en un mot, c’est le soleil avec sa radieuse gaieté, son doux et puissant réconfort ».

La critique, unanime, s’associe à l’initiative. La gazette roussillonnaise, « La Veu del Canigó » est la première à publier ce nom appelé à entrer dans l’histoire le 5 novembre 1912. « Le Cri Catalan » lui emboîte le pas et dans son édition du 9 novembre félicite le CTC, affirmant que si l’« on ignorait Canet, Argelès, Collioure, Banyuls, Cerbère. On n’ignorera plus la Côte Vermeille dont le nom, éclaboussé d’or et de lumière, prometteur de magie et de résurrection, attirera vers lui ». A travers leurs colonnes, la revue « Le Canigou » et le journal « L’Indépendant » ne tardent pas à populariser la nouvelle dénomination qui est adoptée officiellement par le Touring-Club de France, lors de son assemblée générale tenue à la Sorbonne, à Paris, le 2 décembre 1912. Guides touristiques, compagnies de chemin de fer et voyagistes enrichissent leurs catalogues d’une nouvelle destination de rêve.

vermeille41913 : Baptême de la Côte Vermeille

Face au succès populaire qu’enregistre la nouvelle appellation, les autorités publiques désirent l’officialiser par la célébration des « Fêtes de la Côte Vermeille ». Au-delà de son caractère festif, cette manifestation qui se déroule du 1er au 2 mars 1913, sera l’occasion de mettre en place un dispositif et de nouveaux équipements de promotion du territoire. Si le CTC ouvre à Perpignan un office de renseignements présentant toute l’offre touristique des Pyrénées Catalanes et de la Côte Vermeille, les célébrations débutent par une excursion à Canet qui est l’occasion d’un baptême des stations balnéaires de la plaine roussillonnaise et s’achèvent par l’inauguration du tronçon de la Route des Pyrénées qui relie désormais Cerbère à Port-Bou. Sous les auspices de l’ancien ministre, Jules Pams et du sénateur de la province de Girona, Frederic Rahola, Côte Vermeille et Costa Brava unissent leurs destins. Le délégué du Touring Club de France, Georges Famechon se félicite de cette initiative mais espère toutefois que les autorités espagnoles puissent poursuivre cette route vers le sud, afin de mettre en cohérence un véritable tourisme catalan. En s’adressant à Frederic Rahola, il manifeste que « nous apprécierions cette continuation de la Route des Pyrénées, qui faciliterait si heureusement les communications et permettrait le circuit intéressant : Perpignan, Cerbère, Rosas et Barcelone ». En ce sens, le représentant du Touring Club de France illustre les paroles d’Octave Mengel, qui, la veille, avait conclu, lors de son mot de bienvenue aux participants des « Fêtes de la Côte Vermeille », levant son verre « à la prospérité des deux Catalognes, de l’Espagne et de la France amies ».

Les Fêtes de la Côte Vermeille marquent, en effet, un tournant décisif dans l’économie du Pays Catalan. Cette première politique de valorisation des stations balnéaires, par la création de routes touristiques, suivie du lancement d’ambitieux projets urbains comme celui du Lido du Barcarès ou l’inauguration d’établissements comme le Casino de la Côte Vermeille de Canet, permettent de structurer efficacement cette nouvelle offre touristique. Si cette dernière avait jusque-là centré sa promotion autour des stations thermales du Boulou, de Vernet-les-Bains et d’Amélie-les-Bains ; elle compte également, à partir de 1913, avec le développement d’un tourisme de montagne grâce à l’inauguration du Grand Hôtel de Font-Romeu. Se met alors en place l’identité moderne du tourisme nord-catalan, proposant ses atouts majeurs : la richesse et la beauté de ses paysages alliées à une offre variée en termes de pratiques sportives et d’activités ludiques. Désormais, le Pays Catalan se présente comme l’un des rares territoires où diversité et proximité se confondent, puisque les touristes peuvent en seulement 24 heures aller « des flots bleus de la Méditerranée aux cimes neigeuses du Carlit ».

Aux couleurs de la Côte Vermeille

Conscient de son identité et de sa spécificité, le Pays Catalan va décliner l’appellation « Côte Vermeille » sur tous les supports de promotion. Les vues de Canet, Collioure ou Banyuls éditées en carte postale sont toutes légendées d’une appellation devenue cri de ralliement. Elles voyagent, communiquent, s’échangent pour populariser une destination et conquérir de nouveaux touristes sur l’ensemble du globe. Une image de marque qui s’exporte et s’expose. Les illustrateurs parisiens de renom, créent d’immenses affiches aux couleurs d’une puissance captivante qui, une fois collées dans les grandes artères ou les stations de métro de la capitale, sortent le badaud de la grisaille de son quotidien. En ce sens, l’affiche que consacre Pierre Commarmond à la Côte Vermeille est significative de la force de cette communication. Elle met en scène un paysage flamboyant de l’azur duquel se détache une côte de rochers escarpée, démesurée presque inaccessible, mais aussi lumineuse qu’une multitude d’éclats de grenat. Ce joyau à découvrir, à contempler porte un nom : la Côte Vermeille. Pour les cent ans de la belle, point de pierreries, de parures magistrales, de présents clinquants. Aussi éternelle que le grenat, aussi minérale qu’humaine, aussi méditerranéenne que catalane, elle n’a de cesse de se façonner dans le regard de ses admirateurs, pour offrir à la face du monde une beauté sauvage, un continent de passions partagées.

 

 

Eric Forcada

 

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