02 Oct La Magie du Nord
Dans les comarques du nord, les légendes et les contes sont nombreux, mais ils sont d’une veine généralement plus rurale : femmes maléfiques et monstres sanguinaires s’y taillent la part du lion. Souvent célébrés par des fêtes de village ils ont survécu à la quasi-disparition de la langue catalane et ont gardé force et vigueur.
Le Canigou, la montagne sacrée de tous les Catalans, mystérieuse et colossale, dope l’imagination. Ainsi, on raconte à la veillée que sept hommes gigantesques auraient tenté de détrôner Dieu lui-même, en se hissant jusqu’au sommet. Ils avançaient en poussant devant eux des rochers géants, si énormes qu’ils déclenchèrent les treize vents de la rose ! À chaque pause, ils laissaient une pierre levée (les quelque cent dolmens que compte la montagne). Peu à peu, ils se rapprochaient des nuées mais soudain, Dieu, irrité, décida de les foudroyer et les transforma en pyramide rocheuse.
Le cœur mangé
Ainsi fut créé le Pic des sept hommes ! Il se dit aussi dans le Haut Conflent que le roi d’Aragon Pierre II voulut gravir sa montagne en l’an de grâce 1285. Parvenu devant un lac, il y jeta une pierre pour en évaluer la profondeur. Un dragon en jaillit, furieux. Le roi le tua, mais dut redescendre car la nuit tombait. Il ne put donc vaincre la montagne rebelle. La légende du cœur mangé, l’une des plus célèbres légendes roussillonnaises, a largement inspiré les troubadours occitans ou catalans. Le troubadour Guillem de Cabestany tomba fou amoureux de l’épouse du comte de Château-Roussillon, Saurimonde, et devint son amant. Sommé par sa belle de lui donner un gage, il composa un poème d’amour assez transparent pour que l’identité de sa maîtresse ne fasse pas de doute. Ivre de jalousie, le comte fit tuer le musicien, puis fit servir son cœur rôti à l’infidèle non sans lui en révéler, après absorption, la nature exacte. Saurimonde répondit « Seigneur, vous m’avez donné si bonne nourriture que je n’en prendrai point d’autre ». Et elle se jeta du haut de la tour. Prévenu, le roi d’Aragon fit saisir tous les biens de son impétueux vassal et le laissa croupir en prison jusqu’à la fin de ses jours. à Pia, dans la plaine du Roussillon, se raconte une étrange histoire au sens bien plus philosophique qu’il n’y paraît. Il était une fois un paysan qui possédait un âne.
Le burro de Pia
Chaque jour, en passant devant le clocher sur le toit duquel poussait mystérieusement de l’herbe, ce dernier ne pouvait s’empêcher de braire de convoitise. Le propriétaire, qui éprouvait une grande affection pour son solipède, décida de monter l’âne jusqu’à l’objet de son désir et lui passa à cet effet autour du cou une corde qu’il avait suspendue à une poulie. Victime de la bêtise de son maître, qui prenait ses braiements de douleur pour des cris de joie, le malheureux âne trépassa ! à Arles, les habitants déjà durement frappés par la disette et les mauvaises récoltes, furent pendant des décennies terrorisés par des créatures simiesques qui enlevaient les enfants et les dévoraient, les Simiots. Déterminé à sauver ses concitoyens, l’abbé Arnulphe décida de partir à Rome et d’en ramener des reliques de saints afin de protéger la population.
Les Simiots
Il revint après un très long périple, porteur des celles de deux saints syriens, Abdon et Sennen. Dès qu’elles entrèrent dans l’église, les Simiots quittèrent le pays avec des hurlements. Depuis lors, on dit que les sorcières du Vallespir invoquent en vain les monstres dont elles demandent le retour… Pour aimer les ondines de Cerdagne, quand on est berger, il faut se plier à des épreuves normalement inaccessibles pour un simple mortel : venir la chercher « no caminant, no cavallant, ni fart ni dejú, ni vestit ni depullat » (ni à pied, ni à cheval, ni repu, ni à jeun, ni habillé, ni nu). Un berger, fou amoureux, réussit à rejoindre sa belle en passant par les branches des arbres vêtu d’une simple chemise, après avoir mangé un maigre quignon de pain. Il l’épousa avec pour seule contrainte de ne jamais lui rappeler son origine. Hélas, un jour de dispute, il la traita de « dona d’aigua », femme d’eau et la perdit à jamais dans les profondeurs du lac de Llanós. On dit que les ondines des Bouillouses, moins clémentes, changèrent leurs amoureux en pierre… A Rivesaltes, on célèbre encore aujourd’hui la mémoire de l’horrible Babau, le croque-mitaine local.
Le Babau
Dans la nuit du 2 février 1290 un monstre sanguinaire sortit des flots de l’Agly, rentra dans la brèche du four, « le forat del forn » et se livra à un véritable carnage, dévorant 6 enfants dont aucun n’avait plus de sept ans. Le lendemain on annula la procession de Saint Blaise, on reboucha le trou du four et on posta des veilleurs qui virent sur les berges du fleuve une sorte de dragon dont les yeux jetaient des flammes. La nuit suivante, un chevalier de passage dans la ville, se joignit aux sentinelles et réussit à blesser le monstre qui alla mourir un peu plus loin. Tous les ans, les Rivesaltais célèbrent comme il convient cette étrange adaptation locale de la Sant Jordi. A Collioure vivaient trois jolies sorcières. Le fiancé de l’une d’entre elles réussit à les suivre sur la barque magique jusqu’à l’île Saint Vincent où elles se mirent à cueillir des fleurs en imaginant avec de grands rires comment elles allaient changer leurs futurs époux en poisson pendant la nuit de noces. Le jeune homme cueillit aussi quelques fleurs qu’il arbora le lendemain lors de son rendez-vous avec la belle, qui comprit qu’elle était découverte. Il renonça à l’épouser et les trois sorcières durent quitter le pays.
Les sorcières de Collioure
Ces dragons, monstres, sorcières et ondines font écho à de très vieux mythes venus de la plus haute antiquité. Ulysse, Prométhée, la Gorgone passent en filigrane dans ces croyances populaires, fondatrices des communautés paysannes d’autrefois.
Pas de commentaire