02 Oct Rencontre avec Robert Bosch
Robert Bosch est le spécialiste incontournable des légendes du Vallespir auxquelles il a consacré plusieurs ouvrages vite remarqués par la communauté scientifique et plébiscités par le grand public. Il est aussi un défenseur obstiné et résolu de la tradition et plus encore de sa transmission, véritable colonne vertébrale des communautés, a fortiori rurales.
Cap Catalogne : Bonjour Robert Bosch, une première question pour que nos lecteurs vous connaissent mieux. Quel a été votre parcours ?
Robert Bosch : Vous voulez dire mon parcours universitaire ? Je suis un scientifique. J’ai deux CAPES, je suis agrégé de chimie et didacticien.
CC : Et pourtant, vous êtes un spécialiste reconnu du mythe de l’ours… Comment êtes-vous passé à l’écriture ?
RB : Ne brûlons pas les étapes. Tout a commencé en 1966, l’année de mes vingt ans. À l’époque, la fête de l’ours était en pleine déshérence. À Arles, elle avait été déplacée à l’été, ce qui était évidemment un contresens flagrant pour une fête de résurgence, vidée de sa substance, et transformée en attraction folklorique à destination des curistes d’Amélie-les-Bains ! Quelle frustration pour moi, un crève-cœur ! J’étais en quelque sorte privé d’un rite de passage qui me revenait de droit en tant qu’Arlésien ! À la fin de cette fête détournée, l’ours reprenait figure humaine dans le parc de la mairie rendu payant pour l’occasion ! Je me suis donc replié sur les hauteurs en participant aux fêtes de l’ours de Prats-de-Mollo et Saint-Laurent-de-Cerdans qui, elles, n’avaient pas été dénaturées et où j’ai été accueilli à bras ouverts. Puis, en février 86, je me suis entouré de quelques amis sûrs et nous avons en quelque sorte restauré la fête en la rétablissant à sa date normale d’hiver, puis en veillant au mieux à son authenticité par rapport à la mémoire locale. Vous voyez, au début, ma passion c’est l’ours, une passion qui vient de mon enfance. Alors, j’ai commencé à étudier le plantigrade en profondeur, au-delà de sa fonction sociale de rassemblement et de signe identitaire, à l’appréhender dans sa dimension totémique et historique. C’est un sujet passionnant dont je ne suis toujours pas sorti, un sujet à tiroirs qui s’inscrit à la fois dans l’espace et dans le temps. Je rêverais de travailler davantage sur la philosophie de l’ours, même si je ne suis pas philosophe de formation.
CC : Nous sommes dans le cloître, Arles regorge de légendes, la plus connue étant celle des simiots, ces figures simiesques qui enlevaient les enfants pour les dévorer. Je regarde l’ours et je lui vois des dents de carnassier assez peu caractéristiques du plantigrade, c’est une impression ou il existe une sorte de capillarité entre les deux monstres ?
RB : Oui, c’est sûr que notre ours a quelque chose du simiot, il a un aspect vraiment cruel. Mais lui connaîtra la rédemption en redevenant humain ! Vous savez, j’ai trouvé des centaines d’occurrences cléricales faisant de l’ours un monstre particulièrement dangereux du fait de son aspect anthropomorphe et surtout de ce qui le rend, dans l’imaginaire populaire, capable de séduire les femmes et de les féconder. Voilà qui inquiétait beaucoup le clergé. Quand un enfant de nos vallées avait une naissance problématique, on disait que sa mère avait eu commerce avec un ours !
CC : Je reviens aux simiots. À Saint-Laurent, l’ours est accompagné de la monaca, un corps double, certes, mais aussi déjà dans son nom, un singe. Vous pensez qu’il y a là une sorte de résurgence d’un mythe dans l’autre ?
RB : Il est certain que la monaca a un rapport avec le simiot. Là aussi, l’amalgame se joue autour de la notion d’anthropomorphisme, les singes et les ours sont des animaux qui ont des aspects humains. Je parle d’ailleurs de la monaca dans mon livre, « Femme de l’Ours ».
CC : Et la femme de l’ours c’est la Roseta, la jeune fille que le monstre enlève pour l’entraîner dans les bois et – du moins en première instance – lui faire subir les derniers outrages…
RB : La Roseta renvoie à la rosière, au culte marial, donc à la virginité et à la pureté. Si on voulait remonter le fil des mythes grecs on serait dans un avatar d’Artémis ou de Callisto. N’oublions pas qu’en Catalogne Nord, le culte marial était extrêmement prégnant. Ici, au XIIIe siècle la plupart des jeunes femmes s’appelaient Maria, Rosa ou Rosa-Maria. Inutile d’insister sur l’importance de la virginité…
CC : Votre livre « Fêtes de l’Ours en Vallespir » édité par les Editions Trabucaire a été récompensé, je crois ?
RB : Cet ouvrage a été présenté au Salon du livre pyrénéen de Bagnères de Bigorre en 2013 et il y a obtenu le Grand Prix. Il faut dire que ses illustrations superbes sont signées Noël Hautemanière. Cela m’a valu de rencontrer un grand nombre d’anthropologues, ethnologues, historiens, que mon travail d’érudit a intéressés. Il n’est pas rare qu’il me soit demandé de faire une intervention dans des colloques ou des séminaires et, bien sûr, je suis partie prenante de la grande aventure de l’inscription de l’ours au patrimoine immatériel de l’Unesco. Je le dis sans fausse modestie, le gros carnet d’adresses que m’ont valu mes recherches, livres et conférences s’est avéré un atout dans la rédaction du dossier complexe demandé par l’Unesco et je suis heureux de pouvoir en quelque sorte porter la parole de l’ours bien au-delà de notre vallée, d’en être l’« ambassadeur ».
CC : Vous pensez que l’ours conditionne l’inconscient collectif des Vallespiriens ?
RB : Certainement. Je pense même qu’il le structure du moins au niveau des hommes. Pour les femmes l’identification est sans doute plus complexe, mais réelle. Quand on se présente à l’extérieur du Vallespir, très vite, on parle de l’ours, c’est un signe de ralliement, mais aussi, un filtre initiatique. Il faut avoir vécu les fêtes de l’ours, ou mieux, avoir été l’ours, comme si quelque chose de son principe de liberté descendait en nous. C’est un marqueur très fort. Je suis heureux de voir que le travail accompli éclaire aussi les jeunes générations et qu’elles s’apprêtent à passer le relais à leur tour comme cela s’est toujours fait d’ailleurs !
CC : Vous avez aussi travaillé sur la Rodella de Montbolo, ce magnifique cierge roulé…
RB : En effet, j’ai aussi travaillé sur cet étrange objet de foi. C’est passionnant cette histoire ! Les paroissiens de Montbolo, fatigués des orages et des intempéries qui détruisaient leurs récoltes ont décidé de consacrer un cierge aussi long que possible afin de conjurer le sort et d’obtenir la protection des saints patrons d’Arles, Abdon et Sennen. Ceux dont justement, les reliques ramenées par l’abbé Arnulfe avaient fait fuir les simiots ! Vous voyez, l’histoire au fond est circulaire, l’éternel retour, les mythes s’interpénètrent et se nourrissent les uns des autres. La Rodella est une offrande de cire d’une grande pureté, également utilisée pour la Chandeleur, le 2 février, c’est-à-dire le jour de la Purification de la Vierge, où Jésus est présenté au Temple, mais aussi le jour de la sortie de l’ours. Une offrande de lumière. On a beaucoup glosé sur sa forme d’enroulement spiral mais je crois surtout, en tant que scientifique, que cette configuration obéit à une nécessité ergonomique et que c’est là le meilleur moyen de transporter la cire un 30 juillet, sans qu’elle ne fonde et surtout sans qu’elle ne s’altère. J’ai eu l’occasion de me rendre au Pays Basque, au couvent des bénédictines où l’on fabrique les cordons de cire et même de fouler les champs de fleurs landais où butinent les abeilles à l’origine de cette cire si pure. C’est tout un rituel. J’ai grandi au cœur de ces mystères, entre terrible et merveilleux, entre mythes et légendes et si je n’avais qu’une seule chose à souhaiter, c’est que ma passion se transmette pour dire au monde comment s’est forgée l’identité farouche du Vallespir.
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