30 Jan SITGES, SI DOUCE
Sitges, un nom doux à susurrer comme souffle de brise, comme vague mourant sur le sable léger… Un nom qui invite aux longues promenades face à la mer dans les fragrances de chèvrefeuille et de laurier-rose. A la contemplation de l’horizon de bayadère bleue, parfois frangée de rose. Une destination romantique à souhait, lieu de villégiature par excellence, paradis des artistes et des excentriques de tout poil. Un petit port qui respire depuis des décennies un vent plus fort que tramontane et xaloc réunis : celui de la liberté.
Sur un air de salsa
Il faut dire que la belle a des atouts maîtres ! Le vieux village offre la splendeur de ses façades blanches aux fenêtres ourlées, comme autant de paupières fardées. Juché sur son piton rocheux, il arrondit ses rues étroites autour de l’église Sant Bartomeu i Santa Tecla, une icône du front de mer, qui contemple 4 km de plage sableuse, bordée d’une promenade maritime. Le choc de deux mondes déjà : le petit village de pêcheurs aux modestes maisons chaulées et la sublime avenue qui borde les flots, ourlée de maisons néocoloniales à l’ornementation soignée : azulejos, colonnades, jardins tropicaux… La Havane semble avoir poussé ici sa hanche souple de danseuse.
Le culte du soleil
Sitges doit beaucoup à ses « Indians » chassés par la crise vers les mers chaudes de la Caraïbe et revenus au pays cousus d’or et d’argent, ramenés des colonies. Mais ce qui différencie la capitale du Garraf des autres villages côtiers, comme Tossa, Palafrugell ou Cadaquès qui ont connu le même phénomène, c’est l’empreinte décisive d’un artiste : Santiago Rusiñol. Subjuguées par la lumière dorée qui nimbe les rochers, des nuées de peintres sont venues ici peindre en plein air, en un temps où l’idée paraissait encore saugrenue. On les appelait les luministes. Impossible de ne pas faire le lien avec l’éblouissement dont furent frappés à Collioure Matisse et Derain, sur cette même rive catalane !
Et Rusiñol inventa Sitges
Foudroyé par la beauté du paysage, Santiago Rusiñol a créé à Sitges un temple dédié à la lumière : le Cau Ferrat, une maison-atelier de toute beauté. Une merveille de demeure moderniste, littéralement recouverte de mosaïques, de verre et de fer forgé, idéalement située face à la mer. Aujourd’hui, c’est un musée où foisonnent des œuvres de Rusiñol, Casas, Le Greco, Zuloaga et Picasso. Mais loin de se contenter d’une retraite contemplative devant les flots, le peintre s’est transformé en développeur culturel, organisant des fêtes mémorables où se bousculait l’intelligentsia barcelonaise. On lui doit l’invention du Sitges festif.
Même Franco
Si festif en vérité que le très austère et très catholique Caudillo Francisco Franco, grand amateur de bondieuseries et peu enclin aux plaisirs de la chair, souleva pour Sitges son terrible couvercle de censure, comme il le fit pour un autre paradis des fêtards : Eivissa, Ibiza en espagnol ! Faire rentrer des devises avait un prix : maintenir la fête. Pour les dictateurs aussi, the show must go on ! Et le fait est que le tourbillon ne s’est plus jamais arrêté. A Sitges, d’événement culturel en fête votive, c’est la fête toute l’année, une fête arc-en-ciel, bon enfant, permanente.
Un palais merveilleux
Autre perle de Sitges, le Musée Maricel qui abrite toujours en bord de mer, la magnifique collection du Dr Perez Rosales, grand amateur d’art. Les siècles s’y bousculent : roman, gothique, renaissance, baroque répondent à une galerie d’art moderne qui regroupe des œuvres de Rusiñol, bien sûr, mais aussi de Casas, d’Utrillo, de Pruna… Et vous n’avez encore rien vu car le Palais Maricel vous attend. Conquis sur l’ancien hôpital Sant Joan, relié à quelques maisons de pêcheur par un pont qui enjambe la rue en hauteur dans la plus pure tradition médiévale, ce palais construit par Miquel Utrillo pour le millionnaire américain Charles Deering, ouvre sur la mer une galerie à double colonnade parée de mosaïques sublimes.
Un Bacchus caraïbe
Côté fête, encore, vous devez une visite à la maison Bacardi : c’est ici que les héritiers de la vénérable rhumerie, de retour au pays, sont venus passer une retraite heureuse : choc architectural devant ce mélange de modernisme et d’architecture coloniale, et féerie garantie pour les papilles avec les dégustations de vieux rhum. Pourtant, ne nous y trompons pas, le breuvage ramené de lointaines plantations n’est que le vice-roi de ce royaume des effluves alcoolisés. Car la vraie star de Sitges, sa star historique et autochtone, c’est la malvoisie, ce vin liquoreux que déjà les Grecs consommaient lors des libations, pour mieux trouver les chemins du ciel. La distillerie est toujours là, mais elle est fermée pour travaux.
Le chemin des âmes
Bien sûr, tous ces trésors invitent à une balade langoureuse le long de la promenade maritime, bercée par le doux chuchotement des vagues qui embrassent les plages en longs baisers mouillés. Sitges n’a pas son pareil pour alterner fêtes trépidantes et langueurs mélancoliques dans la plus pure tradition romantique, vous ne couperez pas à ce balancement. Poussez donc jusqu’au cimetière marin et ses belles tombes modernistes, une cité des morts qui invite à la lecture et au repos, dans la simple acceptation du temps qui passe, sereine et apaisante.
La nature au cœur
A Sitges, vous êtes au cœur du Parc du Garraf, un parc vraiment méditerranéen avec des grottes, des rochers, des falaises, des pins… accessible en vélo ou à pied, il offre toute une série de circuits qui sont autant d’occasions d’admirer la beauté des paysages de montagne et de mer, si caractéristiques de la côte catalane. Un lieu idéal pour les familles, mais qui se prête aussi aux duos amoureux et aux promenades poétiques. Sitges a tous les talents !
Moderne, résolument !
Si vous aimez l’architecture, ne ratez pas le quartier moderniste de Terramar, construit dans les années 1920, avec ses incroyables demeures entourées de jardins à l’anglaise dont les façades rivalisent d’ornementations fantasques : clochetons, frises, redents, vitraux et céramiques… Une autre curiosité, l’autodrome, l’un des plus grands circuits automobiles de l’époque, hélas en pleine déshérence. Sitges a toujours été en avance sur son temps et n’a jamais eu peur des projets audacieux.
Sitges n’a pas froid aux yeux
D’ailleurs, le fleuron de la vie culturelle, parallèlement aux fêtes de la Fête-dieu avec leurs incroyables tapis de fleurs, au Carnaval déjanté et à la Gay Pride, c’est le festival international de Cinéma Fantastique, l’un des plus anciens et des plus prestigieux du monde. Pas besoin de Croisette, ni de pontons normands où déambuler sous les crépitements des photographes : ici, chaque année, les plus grandes stars du septième art longent le Passeig Maritim. Il faut dire que Sitges, c’est la station fétiche de Barcelone, comme Deauville est celle de Paris. Une vraie extension de la capitale.
Une station multiple
Evidemment, les plaisanciers ne sont pas les derniers à jeter l’ancre dans cette petite ville bénie des dieux. Ils y disposent d’ailleurs de trois ports : Ginesta, Garraf et Aiguadolç. Beaucoup choisissent de vivre ici à l’année, entre ciel et mer, On leur doit pour beaucoup cette atmosphère nonchalante et cosmopolite qui frappe les visiteurs, comme si le vieux village se démultipliait, tant il offre de facettes différentes. Vous les croiserez dans le majestueux escalier qui descend du vieux village à la plage, un haut lieu de convivialité.
Cosmopolite mais farouchement catalane
Ce caractère à la fois résolument international et très enraciné s’illustre jusque dans les assiettes. A Sitges on trouve tout : les vraies saucisses de Francfort, les restaurants français, les crêperies, les pizzerias, les sushis et, bien sûr, la merveilleuse cuisine locale qui doit beaucoup aux produits de la pêche et ne dédaigne pas les alliances « mer et montagne ». Un must : le riz à la sitjetana, au porc et aux langoustines, ou encore le xató, cette scarole à la sauce romesco…
Inattendue
Si vous aimez l’inattendu, sachez que le front de mer de Sitges vous réserve une surprise : dans son souci d’égaler les capitales, Sitges possède sa petite sirène, sculptée par PereJou ! Et même, un canon, tourné vers la mer. En signe de défi ? Sitges c’est ça, une claudication permanente entre tradition et folle modernité, entre sagesse des plages langoureuses et déchaînements nocturnes, entre ici et ailleurs. Dans la rue, la foule ressemble à sa ville : on y croise des couples cossus tenant la main de leurs bambins, des excentriques permanentés, des étudiants. Une petite ville monde, à deux pas de la grande, les pieds dans l’eau et la tête, haut, très haut dans le feu d’artifice des étoiles.
Princière, Sitges !
Sitges attire la jet-set internationale, la jeunesse dorée de Barcelone, les gays du monde entier en quête de liberté mais aussi, la famille royale. L’Infante d’Espagne y possède une maison dans laquelle il n’est pas rare qu’elle passe ses vacances, parachevant ainsi l’incroyable mixité de ce petit village appelé à un destin décidément hors du commun !
L’envers du décor
Tant de fées penchées sur son berceau ont eu un effet pervers – enfin, pour nous. Sitges est devenue la ville la plus chère de l’état espagnol en termes d’immobilier, avec un prix moyen malgré la crise de plus de 6 000 euros le m² et des pointes à plus de 12 000 euros le m². Le rêve a un prix que vous ne manquerez pas de tester à la moindre commande dans un bar ou un restaurant. Que voulez-vous, la perfection n’est pas de ce monde !
Sitges vent debout !
A Sitges, on est fier d’être devenu une capitale gay. Au point même de consacrer à cette communauté à fort pouvoir d’achat et d’attraction, connue pour lancer les modes et être peu avare de fêtes, un monument. Sobre et élégant, le triangle de bronze pose sa pointe dans la pierre, juste devant la mer, comme une vigie dressée contre l’intolérance.
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