29 Jan ILLE-SUR-TET : LA JOIE DE PAQUES
Etrange appellation que ces goigs dels ous, cette « joie des œufs » ! Goig vient en fait du latin « gaudium » qui signifie la joie, et désignait par extension, au Moyen-Age, des poèmes liturgiques à caractère plutôt poétique, composés en l’honneur de la Vierge.
Naïve prière
L’œuf, symbole de naissance et de résurrection, répond tout naturellement à la figure maternelle de fécondité que représente la Vierge. Dans toute la Catalogne du nord, les goigs dels ous, des chants joyeux et naïfs, célèbrent tout à la fois la résurrection du Christ et le retour du printemps. Ces goigs étaient aussi autrefois des actions de grâces, destinées à demander de bonnes récoltes et implorer la protection de la Vierge sur les maisons paysannes.
Chants profanes et sacrés
Autrefois, des groupes de jeunes cheminaient de mas en métairie pendant toute la semaine sainte. Généralement, plusieurs familles paysannes se regroupaient dans l’un des mas alors disséminés dans toute la montagne et attendaient l’aubade : une vraie réjouissance pour des vies de labeur menées loin de toute concentration humaine et privées de distractions. Le petit groupe chantait des chants liturgiques, bien sûr, les fameux « goigs » mais aussi des « cantarelles », des chants populaires que tout le monde reprenait en chœur.
N’oublions pas la bonne chère
Une fois la prestation terminée, on s’attablait, et les valeureux chanteurs – et marcheurs – repartaient avec force victuailles dans leur panier, destinées à confectionner l’omelette pascale, indissociable du pique-nique du lundi de Pâques. Aujourd’hui, le rituel est un peu différent : on chante sous les fenêtres des villes et villages. Mais à la fin de l’aubade, le panier d’osier est toujours hissé puis redescendu plein de bouteilles, de boudins et d’œufs.
De plain-pied dans la tradition
Muscat, grenache, Banyuls, sous l’appellation populaire générique, le « vi bo », accompagnent magnifiquement un autre must de la Pâque catalane, les célébrissimes bunyetes aux fragrances de fleur d’oranger, amoureusement étirées sur les dames-jeannes avant de frire. Si le costume paysan du XIXe a été conservé : faixa rouge pour ceindre les reins des hommes, coiffe blanche sur la tête des femmes et espadrilles pour tout le monde, la modernité a pris ses droits : à Ille, capitale incontestée des goigs, c’est en voiture que les joyeux drilles circulent d’un hameau à l’autre et d’un mas à l’autre.
Un travail de longue haleine
Il faut dire qu’ils répètent pendant des mois, joyeux prétexte à se retrouver pour transmettre le beau flambeau de la culture catalane, certes, mais aussi souci de la perfection. Pendant des années, ce n’est autre que le grand Jordi Barre qui a dirigé l’ensemble… Il faut être dignes d’un si grand maître. Aux voix, s’ajoutent l’accordéon (l’instrument roi des montagnes pyrénéennes) et la mandoline, avec sa tonalité majorquine, un rien orientale.
L’affaire de tous
Le résultat est à la mesure de l’effort fourni et de l’engagement des participants. Authentique et de qualité, populaire au sens le plus noble du mot. Les choristes sont artisans, commerçants, retraités : une vraie mixité sociale et générationnelle, portée par l’amour de la Catalogne et le respect des anciens. Et une tradition qui n’est pas près de se perdre car les jeunes répondent présent, heureux de mettre leurs pas dans ceux des anciens.
La joie de Pâques
Certaines maisons illoises ou des environs « commandent » les goigs à l’avance pour un moment de convivialité rituel qui donne tout son sens au partage de Pâques. D’autant que nombre des chanteurs participent aussi à l’autre tradition, illoise seulement celle-là : la procession du Ressuscité, dite « des Reginas, qui théâtralise les retrouvailles de la Vierge et de son fils au matin de Pâques. En catalan, ces retrouvailles ont un nom : l’acato.
Ille chante
Lorsque les deux statues se retrouvent, 130 choristes et 40 musiciens entonnent deux Regina Caeli composés par deux Illois, Coll et Colomer. L’impression est extraordinaire, on est bien au-delà d’un concert ou d’une procession. Les musiciens amateurs donnent ici tout son sens à l’expression. En coulisses, ce sont des dizaines et des dizaines de répétitions, le bénévolat dans toute sa splendeur, maintenu depuis plus de cent ans, de père en fils, de mère en fille.
Un élan d’amour
Il en faut de l’amour du pays et de la tradition pour obtenir cette pâte sonore qui semble littéralement surgir des vieilles pierres ! Trois-quarts d’heure magiques, devant une foule étrangement silencieuse, malgré les sollicitations extérieures. Beaucoup, beaucoup de monde, venu de toute la Catalogne nord, et parfois de plus loin.
Le temps de Pâques
Le lendemain, dans la campagne alentour, auprès de la moindre source, à l’ombre douce des arbres aux jeunes feuilles tendres, les Illois se rassemblent autour d’un feu : après l’effort, le réconfort. Les trésors des goigs cuisent en omelette sur la braise, prêts à être partagés. Les gestes, les mots, les odeurs ont traversé les siècles.
Imagier, chansonnier et expression populaire
Le mot goig désigne aujourd’hui des cantiques écrits ou imprimés sur des feuilles volantes, portant gravées l’image de la vierge ou d’un saint que l’on désire honorer avec un encadrement ouvragé et quelques ornements typographiques, le plus souvent d’inspiration florale, mais qui peuvent parfois représenter des scènes de la vie paysanne ou des scènes bibliques. Le texte est en général imprimé sur deux colonnes séparées par un filet plus ou moins ornemental. Il existe encore quelques rares goigs manuscrits, mais il est clair que leur expansion est liée à l’invention de l’imprimerie. Les textes s’inspirent nettement de la poésie des troubadours, et revêtent des structures classiques de poèmes, comme les sonnets, avec alternance de quatrains et de versets. Ils étaient souvent utilisés comme des ex-voto pour toute la communauté et accrochés aux pieds du Crucifix, pour conjurer le mauvais sort ou au contraire remercier le Christ et la Vierge de leur protection. En Catalogne du nord, ils ont été compilés dans un ouvrage majeur, coédité en 1996 par l’ADDM et le CIMP de Céret, avec l’aide du Ministère de la Culture. La Médiathèque de Montpellier en possède plus de 8 000 légués par le Vicomte Charles de Vallat (1816-1884), diplomate, consul général à Barcelone et grand amateur de culture ibérique, un fonds absolument unique dans l’hexagone. Entre patrimoine littéraire, trésor musical et imagerie populaire, les goigs sont un élément essentiel de la culture catalane.
L’omelette du lundi
Les goigs prennent tout leur sens, le lundi de Pâques, quand les chanteurs et leurs familles prennent le chemin des chapelles et des ermitages, paniers sous le bras pour aller déguster – en chansons bien sûr – l’indispensable omelette pascale qui doit obligatoirement intégrer de l’oignon tendre, du lard, du boudin noir et blanc et bien sûr, les précieux œufs. Ne pas oublier les bunyetes.
Le texte du goig dels ous
Nous sommes à votre porte pour vous donner de la joie, que Dieu et l’humble Vierge Marie vous sauvent tous. Celui qui porte le panier, vous pensez bien, c’est un célibataire, il préfère une demoiselle à tous les œufs qui sont là. Grande maison et bonne braise, bonne braise et bonne bûche, que Dieu sauve votre maison et vous donne de bonnes Pâques.
A pied à cheval mais pas en voiture
A Céret, a également lieu une belle procession du Ressuscité qui remplit les rues de la ville d’une foule joyeuse et se termine comme il se doit par des ballades de sardanes. A Céret, comme à Ille, pensez à venir très tôt le matin si vous ne voulez pas marcher pendant plusieurs kilomètres. C’est la rançon du succès, des centaines de voitures sont annoncées.
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