05 Déc Précieux Pessebres
Attention un pessebre peut en cacher un autre ! Nichés dans les vitrines, trônant dans les salons, ils peuvent aussi peupler toute une absidiole, ou opter pour la grandeur nature d’une mise en scène. Impossible de passer à côté !
Le pessebre est l’élément le plus caractéristique des Noëls catalans. Si la toute première crèche de l’histoire apparaît dans le monastère allemand de Füsen au XIIIe siècle, le phénomène ne tarde pas à embraser l’Italie, les Espagnes et le sud de la France. Mais c’est en Provence et surtout en Catalogne qu’il va trouver une déclinaison vraiment populaire. Peut-être l’étymologie du mot « crèche », qui fait allusion à la mangeoire du bétail, a-t-elle trouvé un écho dans l’imaginaire paysan conquis par la familiarité du décor ? C’est en effet dans une mangeoire que Jésus a été placé selon la tradition à sa naissance. La crèche désigne par extension dans l’imaginaire populaire la reproduction de l’étable et ses santons. Toujours est-il que dès le XVIIIe siècle on trouve des sculpteurs spécialisés dans la fabrication de santons en terre cuite ou en bois. Le mois de l’avent ne tarde pas à devenir synonyme de soirées familiales consacrées à une représentation de la nativité naturaliste, rurale, inspirée de l’environnement quotidien. « Les enfants attendent le premier décembre avec beaucoup d’impatience. Quand on donne le coup d’envoi, il faut les canaliser sinon ils ne feraient que ça » explique Carmina, institutrice et pessebriste passionnée. Le plus souvent, il s’agit de reconstituer un mas avec sa basse-cour, sa mare, son petit pont, des bergers et des paysans se livrant aux travaux des champs. De nos jours, il n’y a plus aucune limite à l’imagination : les pessebres peuvent évoquer les temps bibliques, les Eskimos, les Amérindiens, les pagodes japonaises ou même les Martiens ! Première étape, enrichir son parc de santons et de décors dans un des innombrables marchés de Noël et ne pas oublier bien sûr d’acquérir le caganer, ce personnage qui défèque dans un coin et symbolise le cycle de la vie et le retour des saisons. Selon l’envie, ce caganer peut être anonyme, avoir le visage d’un grand de ce monde ou d’une star du show-biz ! Le bon sens populaire a sa façon d’exprimer les vanités… Ensuite, il faut imaginer le décor, à grand renfort de mousses et de branchages, d’anges et d’étoiles. Idéal à créer avec les enfants, dont les rêves de cabane sont toujours inépuisables ! N’oubliez pas de respecter la tradition : le petit Jésus doit être placé le 25 décembre, et les Rois Mages ne peuvent arriver avant le 6 janvier, jour de l’épiphanie ! Bien sûr, des crèches, il n’y en a pas que dans les maisons. On peut même dire qu’il y en a partout ! Dans beaucoup de villes et de quartiers, les commerçants font des concours de vitrines et rivalisent d’imagination pour créer la féerie, souvent avec des crèches animées.
Des pessebres incarnés
Du coup, le simple fait de se promener devient un enchantement pour les yeux. Les églises participent à cette grande fête visuelle avec de grandes crèches monumentales qui émerveillent les petits et suggèrent une itinérance d’un pessebre à l’autre. Souvent, les costumes des statues sont le fruit du travail patient et désintéressé des fidèles qui se perpétue de mère en fille et déroule l’écheveau intemporel de la tradition. à Olot, capitale incontestée du pessebre, une centaine de dioramas réalisés par des artisans spécialisés ou des amateurs déclinent dans l’ancien cloître du musée comarcal des variations bluffantes de réalisme et de créativité. « C’est ma femme qui a fait les petits pains dans la corbeille. Ne croyez pas que c’est de la pâte à modeler, elle les a fait cuire ! » explique Jaume devant la magnifique reconstitution d’un mas catalan du XVIIe siècle, peuplé de belles fermières à l’ouvrage. L’héritage des mystères du Moyen-Âge, le besoin sans doute aussi de rassembler les communautés, a donné lieu à une autre forme de crèche, participative, cousine des grandes passions de Pâques, la crèche vivante ou « pessebre vivent ».
Des décors innombrables
Il s’agit de raconter l’épisode biblique au moyen de tableaux, parfois de vraies pièces de théâtre parlé, qui mettent en scène des dizaines d’acteurs et d’animaux. Là aussi, l’imagination est au pouvoir ! « Selon certaines sources, la première crèche vivante serait due à Saint François d’Assise, qui l’aurait organisée à Rieti en 1223 mais on en trouve des traces en Catalogne dès le XIVe. C’est une façon de vivre sa foi de manière participative et joyeuse, mais aussi de faire place à la créativité de chacun qu’il s’agisse des costumes, des textes, de la mise en scène. Ce qui est remarquable c’est qu’une histoire née il y a deux mille ans, que tout le monde connaît, continue à rassembler et passionner ! » explique Reinald. Le pessebre vivent, cousin germain des pastorales provençales, transforme les santons en hommes et femmes de chair et de sang qui évoluent, parlent ou chantent, souvent en présence des artisans d’autrefois, c’est-à-dire du XIXe siècle : rémouleur, berger, maréchal-ferrant, sabotier, menuisier… Il arrive aussi que les figurants de cette immortelle nativité soient vêtus comme à l’époque des faits, soit le premier siècle après Jésus-Christ. Quant au décor, en Catalogne nord il peut être itinérant, d’église en chapelle, comme le groupe Cantarelles ou multiple comme pour le merveilleux Pessebre du Fanal de Sant Vicens du très regretté Jordi Barre. Au sud, quelques pessebres vivents sont entrés dans la légende : comme celui de Castell d’Aro avec ses métiers d’autrefois et ses travaux des champs ou celui de La Pobla de Montornès, où un vieux berger vous guidera à travers 15 scènes bibliques qui vous immergeront au milieu des personnages et au cœur de l’antiquité. à Prats de Rei, le pessebre possède même son propre ballet traditionnel, exécuté devant la grotte où dort l’enfant, tandis qu’à Corbera de Llobregat un guidage audio entraîne les visiteurs à travers bois, rivières et forêts. « Ici, les gens se mélangent aux acteurs, ils ont l’impression de faire partie du film, c’est ce qui explique l’affluence » explique Carme. Plus théâtrale encore, avec des textes magnifiques signés Folch i Torres et des citations de Saint François d’Assise, la crèche de la Guinyola d’Avinyonet dans l’Alt Penedès. à Joanetes, près de la Vall d’en Bas, retrouvez la Garrotxa telle qu’elle était il y a deux cents ans. À moins que vous optiez pour le XXIe avec des effets spéciaux et du mapping à Sant Fost ? Chez vous, dans les églises, dans les rues, ou transportés dans l’espace-temps indéfini et merveilleux du théâtre, les pessebres s’invitent pour rappeler, au-delà du consumérisme et des paillettes, que la nuit de Noël est une vraie nuit des Rois.
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