05 Déc Citadelle de Mont-Louis
Sortie du néant par le génie militaire de Vauban, cette forteresse a été ainsi nommée en l’honneur de Louis XIV, qui célébrait ainsi sa mainmise sur les comtés du Roussillon et de Cerdagne. Un modèle d’art militaire français au cœur de la Catalogne.
Le Traité des Pyrénées de 1659 coupe brutalement la Cerdagne en deux et laisse Puigcerdà, puissamment fortifiée en Espagne. Louis XIV, peu enclin à laisser sans défense un territoire aisément pénétrable de hautes plaines, décide de créer une puissante citadelle juste au carrefour de la vallée de la Têt, de la vallée de l’Aude et du col de la Perche, à 1 600 mètres d’altitude. L’emplacement contrôle la Haute Cerdagne et donc, l’enclave de Llivia (exclue du traité qui prévoyait l’annexion des villages mais pas des « villes »), et la capitale, Puigcerdà. La place forte prévue fera office de verrou pour protéger à la fois le Capcir (et au-delà les piémonts occitans) et le Conflent, donc, le Roussillon, même si l’existence de Villefranche de Conflent permet déjà de contrôler en partie le passage, et si ce dernier ne peut se faire que de façon extrêmement malaisée à travers les gorges étroites de la Têt. Il n’existe qu’un seul architecte capable de bâtir ex nihilo quelque chose d’aussi colossal, le grand ingénieur du roi proverbialement connu « Ville fortifiée par Vauban, ville imprenable, ville attaquée par Vauban, ville prise ». Effectivement, Sébastien Vauban se déplace en personne en 1679 pour reconnaître le terrain et l’exploiter au mieux des intérêts de son roi. Son choix s’avère judicieux, puisque la butte existante lui permet d’adosser une partie des bâtiments à la montagne et d’économiser ainsi du temps, de l’argent et des hommes. Il faut maintenant acheminer de l’eau, du sable, de la chaux, du bois, et surtout, du bon granit local. Ce sont les 3 700 soldats des régiments Fürstenberg et Verzet qui vont se transformer en terrassiers (on notera d’ailleurs de nombreuses désertions) et exploiter les pacages, cultures et moulins du hameau voisin. Les artisans du cru, réquisitionnés par le Roi, œuvrent pour boucler le chantier de la citadelle en moins de deux ans, une véritable prouesse. Toujours est-il que tous les travaux de gros œuvres sont terminés et la citadelle considérée apte à la défense dès 1681.
Un style signé Vauban
Il dessine donc une large enceinte de forme trapézoïdale surplombée d’une citadelle carrée, avec bastions et demi-lunes, comme on peut par exemple en observer au Palais des Rois de Majorque. Les remparts sont précédés de larges fossés sans eau et comportent un chemin couvert, dispositifs que l’on retrouve dans pratiquement toutes les forteresses roussillonnaises de Vauban, comme celle de Prats de Mollo : Fort – Lagarde. Les garnisons disposent de leur propre église au cœur de la citadelle. Trois puits alimentent l’ensemble en eau dont le célèbre puits des forçats, creusé à 28 m de profondeur et alimenté par une nappe profonde. Le puits des forçats est une curiosité de l’ingénierie militaire du XVIIe siècle. Il se trouve dans la partie visitable (car en pratique, le reste de la forteresse est un domaine militaire, donc non visitable). également appelé roue d’écureuil, il est composé d’une énorme roue que l’on devait faire tourner pour enclencher un système de poulies, le but final étant de faire remonter un énorme seau d’eau au niveau du sol. Vu qu’il s’agit d’une roue d’écureuil, il fallait entrer dans la roue pour la faire tourner (à la façon des hamsters dans leurs cages). C’est la pénibilité du travail fait par des soldats qui a donné ce nom peu engageant à ce puits.
L’écho des guerres
C’est à ce jour un des trois derniers exemples de ce type dans l’hexagone. En dehors de la citadelle, la « ville » ainsi sortie du néant possède également son propre puits. Sa porte fortifiée et celles de la citadelle sont équipées d’une herse et d’un pont-levis et on dénombre une vingtaine d’échauguettes : de quoi accueillir l’ennemi en fanfare. À l’origine, quatre niveaux étaient prévus, étagés sur la butte, la ville basse pour les écuries, le fourrage et les vivandiers, la ville haute pour les artisans et marchands, la citadelle qui pouvait contenir 2500 hommes et 300 chevaux et enfin, une redoute défensive. Une grande rue relie dès lors l’entrée de la ville à la citadelle, comme c’est encore le cas aujourd’hui, flanquée de commerces et de tavernes. Après l’incendie de 1722, qui détruit partiellement la partie civile, le style des façades est unifié, et l’église de la ville édifiée à son tour. En parallèle, les évolutions techniques de l’artillerie moderne conduisent à un renforcement supplémentaire des défenses. Dès lors, la ville est constamment peuplée de militaires français, à l’exception de la courte parenthèse espagnole de 1793 – 1795. Pourtant, en 1887, d’autres ouvrages fortifiés viennent encore compléter le dispositif, comme si décidément, la France continuait de craindre quelque incursion venue du sud. La neutralité de l’Espagne pendant la première guerre mondiale permet à la forteresse de traverser l’épisode en douceur, et en 1922, ses ouvrages défensifs sont même classés au titre des monuments historiques ! Pourtant, les guerres n’ont pas dit leur dernier mot, à commencer par celle d’Espagne, qui, si elle ne se déroule pas directement sur le sol français, a des conséquences immédiates pour la Cerdagne. La citadelle va en effet abriter des républicains espagnols et catalans, avant d’être investie par la Wehrmacht pendant la courte occupation du département et libéré par les Forces Françaises Libres. En 1946, après la Libération, Mont-Louis accueille le 11e bataillon parachutiste de choc, dissout en 1964, et remplacé depuis lors par le Centre National d’Entraînement Commando (CNEC). Aujourd’hui l’ensemble de la citadelle est propriété de l’Armée et le site de Mont-Louis est connu pour l’excellence de ses formations d’élite. L’ensemble de Mont-Louis est inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial au titre des fortifications de Vauban depuis 2008. L’état de conservation des bâtiments et l’authenticité du site, alliés à la vue remarquable sur la haute vallée de la Têt et le Cambre d’Aze, l’appartenance aussi, au Parc Naturel des Pyrénées Catalanes, en font une attraction touristique de premier plan en toutes saisons.
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