03 Fév Rencontre avec Núria Ballester
Cap Catalogne : Núria Ballester, bonjour. Comment devient-on directrice d’un tel musée ?
Núria Ballester : J’ai fait des études d’histoire de l’art à l’Université Autonome de Barcelone avant de me spécialiser dans la gestion du patrimoine et la documentation. C’est d’ailleurs en tant que documentaliste que j’ai intégré cette maison en 1997, à l’origine pour classer le fonds et les objets et en réaliser l’inventaire en vue de l’ouverture, ou plutôt de la réouverture du musée en 2001, après les travaux d’agrandissement et le renouvellement total de la muséographie. C’était ma toute première expérience professionnelle. Ensuite j’ai gravi les échelons, d’abord conservatrice, puis directrice de la Villa-Musée Pau Casals. Je n’ai pas vu le temps passer et cette maison est devenue la mienne !
CC : La Villa Casals est également une Fondation. Le musée en est-il distinct ?
NB : Le Musée est un des éléments et moyens d’action qui s’inscrit aujourd’hui dans la Fondation que Casals a créée lui-même avec son épouse en 1972, quand il a compris qu’il ne rentrerait jamais dans son pays. C’était un an à peine avant sa mort. La Fondation se charge de donner témoignage de sa mémoire et de sa musique pour que la grande lumière qu’était Casals continue d’éclairer le monde. La Fondation est très active, elle parraine des concerts et des expositions, supervise des éditions, organise une audition de jeune violoncelliste avec un prix à la clé et donne ou non son aval à toute une foule d’initiatives qui naissent autour de Casals. Sa femme Marta reste très impliquée, le lien vital avec le Maître n’est donc pas rompu. Le Musée est un de ces témoignages cruciaux qui permettent de comprendre qui était Casals et ce qu’il a signifié pour la musique et la paix dans le monde.
CC : Vos collections sont impressionnantes, d’où viennent-elles ?
NB : Il y a d’abord tous les objets qui se trouvaient déjà dans la maison. Casals l’aimait beaucoup, il l’avait faite construire en 1910 pour y passer l’été, en famille et avec ses amis musiciens, au plus près de la mer et de la plage. Petit à petit, il y a rajouté un terrain de tennis, un jardin d’agrément, un potager et même des maisons pour les invités ! C’est l’époque où il monte son fameux orchestre destiné à apporter la musique jusque dans les usines, et il décide de se fixer à Sant Salvador. Dans les années 30, il fait transformer la maison d’été en résidence principale en lui donnant un aspect nettement noucentiste, puis l’agrandit avec la salle de concerts et la salle du Vigatà où il installe une très jolie collection de peintures du XVIIIe siècle, et des sculptures de Josep Llimona et Josep Clara notamment. Quand Casals a dû partir en exil, en 1939, c’est son frère Lluís qui a gardé la demeure et a veillé sur les souvenirs. Donc, la première strate des collections, c’est l’ensemble des objets dans lesquels Casals a vécu, des instruments, des œuvres d’art, des meubles. Le violoncelliste était un collectionneur de peinture catalane, aussi nous avons pu constituer une petite pinacothèque, en tous points remarquable. Casals était un homme de goût !
CC : Ensuite, il y a eu des donations ?
NB : Beaucoup de gens sont spontanément venus donner des traces de Casals en leur possession : des lettres, des photos…Des amis, des parents, des admirateurs… Ensuite nous avons parié sur une reconstitution de son cadre quotidien et de celui de ses proches pour bien donner à comprendre cette personnalité hors normes à partir de petits détails. Le musée est une sorte de portrait impressionniste du maître, un portrait chinois.
CC : Combien de visiteurs avez-vous par an ?
NB : Si je compte à la fois les visiteurs du musée et les gens qui viennent pour nos différentes activités, nous nous situons autour de 43 000 visiteurs par an.
CC : Qu’entendez-vous par vos différentes activités ?
NB : Des visites guidées, des visites théâtralisées, des petits concerts, des promenades dans les jardins, bref tout ce qui peut contribuer à rendre un musée vivant, en faire un lieu de partage et d’expériences insolites. Les gens adorent avoir l’impression de percer le mystère de la personnalité de Casals, et nous avons l’ambition de les y aider.
CC : D’où viennent les visiteurs ?
NB : à 70 %, ils sont catalans, avec bien sûr beaucoup de Barcelonais. Ensuite, ils viennent du reste de l’état espagnol, de France et d’Angleterre, plus rarement des états-Unis. Nous n’avons pas encore tout le rayonnement international que nous pourrions avoir, peut-être en partie parce que l’offre culturelle de El Vendrell est plurielle avec d’autres grandes figures culturelles comme Guimerà ou Appel·les Fenosa. Mais les chiffres augmentent, c’est indéniable !
CC : Justement, comment voyez-vous la figure de Casals ?
NB : Oups ! La question est difficile, on ne peut pas mettre Pau Casals dans une case, même si d’abord c’est un grand, très grand musicien et un immense instrumentiste. Pour moi, c’est d’abord un être libre qui lutte, repousse les limites et transgresse sans cesse. Novateur dans son art, il a révolutionné le jeu du violoncelle et rendu la musique accessible au plus grand nombre. Démocrate, engagé, il n’a pas hésité à mettre sa vie, sa carrière et sa réputation en jeu pour défendre ses convictions. Casals avait l’esprit très ouvert qu’il s’agisse de la société, de la musique ou même de sa vie personnelle. C’était un grand Catalan, qui puisait dans son identité les portes de l’universel et son amour de la paix. Il n’a jamais quitté sa terre, même si la vie ne lui a pas permis de la revoir. J’ai beaucoup d’admiration pour lui dans toutes ses dimensions. D’une certaine façon voilà plus de vingt ans que je vis au cœur de son univers et cela continue de me passionner. La villa permet de comprendre la dimension familiale de Casals. C’était un patriarche et un chef de tribu, même quand il a dû s’exiler au-delà des mers.
CC : Quelles sont vos relations avec le festival Pau
Casals de El Vendrell ?
NB : La Fondation Pau Casals, depuis trois ans, collabore avec la programmation artistique du Festival dirigée par Bernard Meillat, grand spécialiste de Casals. C’est une collaboration très agréable et très féconde. D’ailleurs, pour la petite histoire, l’Auditorium a été construit sur des vignes qui appartenaient à Pau Casals, données par la Fondation à la municipalité d’El Vendrell dans les années 1980. On reste dans une sorte de champ magnétique où Casals est chez lui. C’est assez séduisant.
CC : Le musée s’est enrichi d’un restaurant…
NB : Oui, ce n’est pas directement géré par nous, mais il est indéniable que c’est une valeur ajoutée pour les visiteurs qui cherchent à se replonger dans la douceur de vivre que Casals est venue chercher ici, à trois kilomètres de sa maison natale. L’environnement naturel était alors assez sauvage et dans une certaine mesure, il l’est resté. Beaucoup de gens lisent sur les bancs ou parcourent la plage. Nous sommes dans un havre de tranquillité voulu par Casals lui-même. Je pense qu’il en serait heureux.
Pas de commentaire