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RENCONTRE AVEC ALBERT MARIMON : LE TERROIR POUR CREDO

09 Juil RENCONTRE AVEC ALBERT MARIMON : LE TERROIR POUR CREDO

Cap Catologne : Albert Marimon, vous êtes né à Barcelone, mais vous avez des racines ici ?

Albert Marimon : Mes parents travaillaient à Barcelone, ma mère comme modiste et mon père à la banque, mais ils venaient de Pasanant dans la Conca de Barberà, un minuscule village. Les racines n’ont jamais vraiment été coupées. On peut dire que je suis revenu chez moi, j’habite à la campagne à 17 km de mon restaurant, un vrai luxe !

CC : Racontez-nous un peu votre trajectoire

AM : J’ai fait mes classes de cuisinier à Manresa. à ce moment-là il n’y avait pas légion d’écoles de cuisine, en Catalogne, et l’influence française était immense. J’ai eu de très bons professeurs, bien sûr, mais ce qui m’a vraiment fasciné, et ça continue, c’est la vraie cuisine traditionnelle, celle qu’on fait à la maison. Avec ma mère et ma grand-mère, qui cousaient à domiciles toutes les deux, j’ai eu une seconde école ! Et aussi une leçon permanente : tout vient du travail ! Cette leçon je continue de l’appliquer tous les matins.

CC : Vous avez dû changer de milieu…

AM : Oui, ça a été une vraie découverte, le monde de la cuisine est assez international. D’ailleurs j’ai beaucoup voyagé en tant que cuisinier, dans toute l’Europe. Mais ça m‘a conforté dans ma conviction que ce qui ne bouge pas, ce qui compte, ce sont les fondamentaux : le produit et le terroir. Quand j’ai ouvert un xiringuito à Barcelone, en 1997, je rêvais souvent de revenir ici, à des choses plus simples, plus dépouillées. Je n’aime pas le rythme de la ville, je crois que mes racines paysannes n’ont jamais cessé de me rappeler vers la terre. J’ai d’abord ouvert le Xiringuito de l’Horta puis un restaurant à Saragosse, mais j’avais déjà l’idée de la Cava, et la terrible crise de 2008 m’a donné l’opportunité de me lancer, même si ça peut paraître paradoxal. J’ai commencé avec une carte entièrement tournée sur les producteurs locaux, je les connais, ce sont des partenaires que j’ai démarchés un à un, sur leur exploitation. Aujourd’hui encore, je fais la tournée en personne et je choisis mes plats en fonction des produits et pas le contraire. Pour moi c’est la base. Une cuisine logique, fraîche et saine. C’est mon crédo. D’ailleurs, à cet égard, on nous ment beaucoup. Peu de plats affichés « kilomètre zéro » le sont vraiment. C’est mon créneau.

CC :  Et des spécialités locales ?

AM : Dans une comarca comme la nôtre, vous aurez remarqué qu’il y a tout en quelques kilomètres : des cultures méditerranéennes avec l’excellence de l’huile d’olive, du vin et des fruits secs, des zones irriguées grâce aux rivières et à notre canal qui permettent de vastes maraîchages et des vergers généreux… Tout ce qu’il faut pour servir d’incroyables escalivades, des coques de recapte aussi variées qu’il y a de foyers, une charcuterie locale remarquable… Nous avons tout ici, des éleveurs, des fabricants de fromage, des producteurs de miel… Pour un cuisinier, c’est le rêve ! à côté, j’ai toujours gardé un menu de tapas, parce que c’est convivial, rapide. Ça correspond beaucoup à ma clientèle, et quand c’est bien travaillé, avec des produits excellents, c’est une vraie gastronomie qui s’adapte à tous les terroirs.

CC : Tàrrega est une ville de passage entre la mer et l’Aragon…

AM : C’est le milieu de la Catalogne ! il est presque impossible de ne pas traverser la ville, qu’on aille des Pyrénées à l’Ebre ou de l’Aragon à la Méditerranée. Nous avons une grosse clientèle de voyageurs, et aussi beaucoup de Français qui viennent un peu en voisins. De plus en plus, même si le mouvement est lent, on assite à l’émergence d’un tourisme plus stable, de gens qui viennent passer un week-end ou davantage dans l’Urgell. La cuisine que je sers leur permet de compléter cette immersion dans les paysages. Ce que je cherche à donner, c’est la réalité des produits et celle des saisons, surtout. On ne décide pas à l‘avance de ce qu’on va pouvoir servir ! ça dépend de ce que la nature décidera de donner et pas de notre volonté ! J’ai aussi voulu que les prix soient accessibles. On ne devient pas cuisinier sans vouloir rendre service aux gens, leur apporter un peu de bonheur !

CC : Peut-on parler d’identité de l’Urgell ?

AM : Justement, son identité c’est d’en avoir plusieurs. La Vall del Sió a gardé sa physionomie méditerranéenne et ses cultures dictées par la sècheresse, la plaine et celle de l’Ondara sont verdoyantes et cultivées, la Vall del Corb c’est presque déjà la Conca de Barberà, il est évident que même au niveau de la cuisine, on ne fait pas la même chose selon le milieu naturel dans lequel on évolue. C’est justement ce que j’adore, cette interdépendance entre les hommes et leur environnement.

CC : Vous pouvez me citer quelques exemples ?

AM : Oui, bien sûr, la salade aux pommes et aux noix, ou bien la scarole aux pieds de porc, ou encore les petits pains aux épinards, beaucoup de recettes de lapin ou d’escargots, beaucoup à base de porc aussi, avec souvent des champignons, bref, une belle cuisine continentale, roborative et très saine qui reflète parfaitement les paysages d’où elle émerge. Les desserts font largement appel aux fruits secs et aux pommes, les deux stars locales.

CC : Dans la comarca, il y a un syndicat hôtelier qui vous représente ?

AM : Je n’ai jamais voulu entrer dans aucune structure, ce n’est pas dans ma nature, je ne crois pas trop aux aventures collectives. J’ai assez de travail en cuisine, je ne veux pas me disperser. J’ai toujours agi en fonction de mon instinct, comme quand j’ai ouvert La Cava à Saragosse. Je ne suis pas un homme de réseau et de mondanités, je préfère travailler à améliorer mon établissement.

CC : Vous avez beaucoup de personnel ?

AM : Nous sommes actuellement huit pour assurer les 49 couverts de chaque service, à savoir près de 200 couverts par jour.

CC : Avec la Covid 19, c’est compliqué ?

AM : C’est très compliqué. Heureusement nous avons eu la chance de pouvoir occuper la cour d’une vieille maison à quelques mètres à peine du restaurant. Cela nous permet de bénéficier d’une terrasse où les gens sont bien espacés tout en servant le même nombre de repas que d’habitude.  Si nous n’avions pas eu cette opportunité, j’aurais envisagé de ne pas ouvrir ! Mais globalement, je suis assez optimiste. Nous avons surmonté la crise de 2008 après tout. Et puis, notre chance, c’est de travailler vraiment toute l’année, matin et soir en deux services. D’ailleurs je crois que les zones rurales, celles de l’intérieur des terres ont une belle carte à jouer. Le tourisme rural va tirer son épingle du jeu et ici, nous avons des routes touristiques de premier plan : les châteaux, les cisterciens. Nous sommes un peu une comarca oubliée alors que nous sommes proches de tout, c’est peut-être l’occasion de la faire découvrir par un plus grand nombre de gens, moins stressés, moins pressés, avide de sérénité et d’authenticité.

CC : Cette authenticité, c’est votre signature ?

AM : Oui, je vous le redis, « une cuisine, logique, fraîche et saine » c’est ma ligne et ma devise !

     lacavadetarrega.wordpress.com

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