30 Sep Arbúcies, la ville-ondine
Située entre le massif des Guilleries et le Montseny, dans un environnement assez sauvage de bois et de forêts, Arbúcies a toujours bénéficié de son équidistance entre Girona et Barcelona qui en fait un lieu de villégiature particulièrement prisé. Rien toutefois, de nature à affecter la paix profonde des lieux.
Tout autour du village s’élèvent des chênes-liège et des chênes verts mais aussi des hêtres, des châtaigniers et des rouvres qui favorisent l’installation d’une faune méditerranéenne montagnarde d’oiseaux, de sangliers et de serpents. « Ici les gens ont longtemps survécu grâce au travail du bois et du charbon » explique Josep, un des nombreux garagistes du village. « Quand j’étais jeune il y avait beaucoup de charbonniers dans la montagne. Pour rapporter un peu d’argent, mon grand-père arrachait les crocs à venin des vipères et il les amenait à la pharmacie à Hostalric. » Les gens vivaient isolés dans ces contrées aux reliefs abrupts qui culminent à 1700 m avec le pic de les Agudes. La profondeur des sous-bois, la densité des feuillages, les chemins creux ont longtemps accueilli des cueilleuses de simples et des guérisseuses dont la plupart ont disparu dans les flammes des bûchers. Ne dit-on pas « De Sant Hilari a Arbúcies, dotze cases tretze bruixes »? (De Sant Hilari Sacalm à Arbúcies, douze foyers, treize sorcières). « Ce qui est certain c’est que dans les Guilleries et le Montseny, des centaines de femmes seules ont été brûlées, c’est une des plus grandes chasses aux sorcières d’Europe » confirme Julià, serveuse. Cela n’empêche pas, et peut-être même stimule, la déambulation des randonneurs et cyclistes. La rivière aux eaux froides dessine de petites cascades comme le Salt de la Dona d’Aigua (la chute de l’ondine), et se faufile sous de petits ponts de bois avant de jouer sous l’arche magnifique du petit pont roman du Molí de les Pipes. Immortalisée par le peintre Santiago Rusiñol, grand connaisseur des lieux, elle constitue un des principaux attraits du village et un milieu prisé pour les truites saumonées. La première chose qui frappe le visiteur d’Arbúcies, outre le dénivelé, c’est l‘omniprésence de l’eau déclinée en fontaines, sources, rivières et ruisseaux au fil des rues : elle finit par créer une petite musique qui accompagne la promenade, entêtante et légère à la fois. La rivière, sobrement appelée riera d’Arbúcies, est un affluent de la Tordera. Elle a inspiré la création d’une promenade parsemée de bancs qui attire nombre de promeneurs à l’ombre de frondaisons denses, et répond à la Bassa de la Farga, un étang naturel situé près de l’ancienne forge qui lui a donné son nom, aujourd’hui devenue un centre d’interprétation satellite du Musée Ethnologique du Montseny : la Gabella. « Arbúcies est avant tout une station climatique. Les gens viennent pour notre douceur de vivre, et pour s’abandonner aux joies de la nature. D’ailleurs, les choses sont en train de changer, nous avons de plus en plus de randonneurs ou de cyclistes en séjours courts qui adorent nos gîtes et surtout nos restaurants » affirme Anna, hôtelière. Ces espaces verts et bleus sont d’autant plus précieux.
Une architecture contrastée
Un petit coup d’œil s’impose sur la Grand-Place de la ville, la place de la Liberté, centre de tous les échanges villageois, haut lieu du marché, qui possède un incroyable platane centenaire planté à l’occasion de la première république. L’arbre vénérable est précautionneusement cerclé d’une petite murette de protection. Des maisons chaulées, ourlées de belles arcades encerclent de près le terre-plein, comme une seconde enceinte autour du précieux végétal. Tout est calme, les petites rues bourrées de charme, pimpantes avec leurs façades soignées, semblent n’avoir pas changé de physionomie depuis des décennies, une sorte de tranquille permanence rurale, particulièrement apaisante. Les maisons du village, plutôt cossues évoquent une aristocratie paysanne dure au travail et âprement attachée au gain. Un peu partout des pompes et des fontaines. Ici, on a longtemps vécu du bois et de l’eau. Rien d’étonnant dans un tel décor, à ce que la sorcellerie ait joué un tel rôle. Arbúcies possède un beau patrimoine architectural, notamment noucentiste, formé de villas construites après la guerre civile qui trahissent une forte influence de la renaissante italienne.
Vallée romane
Beaucoup sont dues au crayon de Bartomeu Llongueras, l’architecte local. Toutefois, cet afflux d’estivants prospères en plein franquisme a été précédé d’une autre forme de transhumance au tournant du siècle, laquelle a donné lieu à la construction de maisons modernistes : au 59 de la rue Francesc Camprodon, ne manquez pas la maison de l’inventeur de l’Anis del Mono. Au 35 de la même rue, la Ferme Royale arbore des balustrades de fer forgé, des sgraffites et même des céramiques au rez-de-chaussée, dessinées par l’architecte de Girona, Rafael Masó. La village ne peut être dissocié de l’habitat dispersé qui l’entoure. La vallée d’Arbúcies, puisque c’est bien au niveau de la vallée qu’il faut découvrir le village, conserve un ensemble de petites églises romanes, installés en différents points du territoire il y a 1000 ans. La plus jolie est sans doute Sant Pere Desplà, située sur un mirador naturel et documentée pour la première fois en 923. Elle jouxte un mas, le Mas Ferrer. D’origine pré-romane, elle conserve des traces de fresques murales qui représentent une série de personnages en prière et des motifs végétaux. Sa nef unique à abside semi-circulaire et son chevet orienté à l’est orné d’un clocher-mur rajouté au XVIIe siècle, lui donnent un charme fou. « Comme dans toutes les zones rurales, les églises et les chapelles étaient pensées pour regrouper la population de plusieurs mas ou hameaux. Il faut savoir que le moindre mas abritait dix personnes et parfois jusqu’à cent. Leur rôle était primordial. Nous avons la chance de nous situer sur une des zones de frontières entre musulmans et chrétiens, ce qui explique cette profusion » précise Mateu, étudiant en économie. Un peu plus tardive, l’église de Sant Cristofol de Cerdans, entourée d’une dizaine de mas, comme Tarrès, El Serrat et Mataró a été remaniée au XVIe siècle. Même combat pour Santa Maria de Liors, entièrement refaite au XVIIe siècle dont le mur porte la trace d’un ancien cadran solaire. Là encore, les bâtisseurs ont préféré à l’élan d’un clocher-tour, la modestie d’un clocher-mur, contrairement à ce qu’il est advenu à Joanet, dont l’église a été entièrement reconstruite en 1619 puis au XIXe siècle. Vous adorerez la fontaine et sa vasque de pierre. L’église paroissiale d’Arbucies oscille, elle, entre style gothique et renaissant. Tout autour de la vallée s’élève un cirque de montagnes magnifiques, dont les collines semblent vouloir se rassembler au plus près comme pour lutter contre un invisible envahisseur. C’est là que trône, sur son piton, le plus beau château gothique de Catalogne, le château de Montsoriu, l’un des plus célèbres en son temps, puisqu’on en trouve trace dans les chroniques royales. énorme, doté d’une place d’armes, de deux citernes, d’un ensemble complexe de fortifications, c’est un des premiers châteaux forts transformés en résidence par les puissants comtes de Cabrera. Idéalement situé à la croisée des chemins entre le sud et le nord mais aussi entre l’est et l’ouest puisqu’il est par exemple visible depuis Tossa, le château est tombé en désuétude au XVIe siècle. Il mérite amplement la demi-heure de marche nécessaire pour l’atteindre. « Montsoriu est pratiquement le seul témoin continental de la puissance de la Catalogne à l’époque gothique. Au-delà de son intérêt architectural, c’est un symbole fort. Une forteresse humaine au cœur de la forteresse naturelle du Montseny », déclare Josep Maria, directeur de la Gabella. Au fil de vos pérégrinations, abandonnez-vous à la cuisine simple de ces terres austères. Inutile de le préciser, les champignons et les produits de la chasse se mêlent aux légumes du potager et aux animaux de basse-cour pour donner naissance à une gastronomie du peu : Trinxat de pois chiches aux trompettes de la mort, omelette aux champignons des bois, soupe de champignons, feuilles de chou farcies, escargots au lapin, truite aux châtaignes, pâté de foie de porc et de lapin, pâte de coing au fromage frais, flan aux châtaignes, toutes ces spécialités et bien davantage vous attendent dans les petits restaurants de la ville sans parler de la table étoilée d’Arbúcies, les Magnòlies. La petite ville cumule atouts naturels, culturels et gustatifs pour faire de votre séjour une succession de petits bonheurs à partager en famille, entre amis ou en amoureux. Arbúcies est une vraie sorcière, une ondine plutôt, dont le murmure vous habitera longtemps.
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