01 Mar Reus, Paris et Londres
Reus apparaît comme un ensemble de places unies par des ruelles aux hôtels particuliers splendides. Nous flânerons à travers ses rues, sur ces places et, de boutique en boutique, nous découvrirons l’âme de cette vieille ville attachante.
Reus est une jolie ville, un peu mélancolique en hiver, délicieuse au retour des beaux jours. Pour l’étranger, Reus apparaît d’abord comme un tissu de ruelles fourmillantes, avec quelques places pour les aérer, évitant ainsi une sensation d’étouffement. On remarquera d’entrée la place avec la statue équestre du général Joan Prim. Ce général, héros des guerres carlistes et de la bataille de Tétouan, fut le seul Catalan à diriger l’Espagne. Cela ne lui porta pas chance, puisqu’on l’assassina vite. Grâce à ses arcades, la place du général Prim pourrait rappeler l’algéroise place du Gouvernement, avec la statue du duc d’Orléans.
La Prime de risque
Le blanc d’Alger ici est devenu ocre ou d’un gris discret, à la catalane. Dès que vous sympathiserez avec un habitant de Reus, vous observerez qu’il parle un catalan très pur, que vous reconnaîtrez aussitôt car il truffe sa conversation du mot « xic » (garçon, jeune homme) au lieu de « noi » comme à Barcelone ou Gérone. Sans doute votre nouvel ami vous citera-t-il, avec une fierté touchante, le dicton « Reus, París i Londres ». Au XVIIIe siècle, Reus connut un développement économique spectaculaire et devint même la deuxième ville de Catalogne.
Une ville pleine de xic
Comme dans les grandes capitales citées par le dicton, il reste quelque chose dans l’air, un esprit, un témoin immatériel de l’antique grandeur. Reus est une métropole à l’allure rurale. La ville compte une dizaine de milliers d’habitants de moins que Perpignan et paraît beaucoup plus grande que la capitale du Roussillon. Des marques internationales prestigieuses comme Nespresso ou Bulgari y ont une boutique, alors que jusqu’à présent elles ont dédaigné notre ville. Toutes les rues du centre-ville jouissent d’une connexion Wifi.
Riche comme Reus
Les faubourgs populeux somnolent mais, sur les ramblas de Reus, on pourrait se croire à Barcelone sous les cariatides et les atlantes. Les platanes, pour ainsi dire, s’internationalisent. On retrouve cette sensation de métropole avortée dans toute la ville. Le mirador moderniste en verre de la Casa Abelló impressionne au premier abord, mais la maison n’a pourtant que trois étages. C’est un peu court, jeune homme. D’où vient donc cette impression de grandeur que dégage la ville ? Du clocher du Prieuré Saint-Pierre ? La lumière reflète-t-elle une brindille du génie des lieux ? Les guerriers normands, les palmiers des Maures, les coquillages sculptés sur les façades, comme la Casa de las Conchas à Salamanque, les générations de moines et d’érudits, les toiles de Marià Fortuny, les premières ébauches d’Antoni Gaudí, les vers désespérés de Gabriel Ferrater ou des frères Bartrina ont-ils laissé quelques souches de grandeur dans l’atmosphère ? Comme dans la plupart des villes catalanes, les vilains supermarchés n’ont pas colonisé la périphérie et tué, comme en France, les boutiques et les échoppes des centres-ville. Même une enseigne française illustre a dû s’installer dans un bâtiment de verre moderne du meilleur effet.
Une Reus positif
Contrairement à bien des villes catalanes, Reus ne semble point souffrir de la crise économique actuelle. Les banques et les bijouteries se succèdent avec une régularité surprenante et presque choquante. Reus est restée finalement une ville à la fois très catalane et très commerçante. Vous pourrez arpenter les rues Lloveras, Sant Joan et du faubourg de Jésus (Raval de Jesús). Tant de dévotion, même si elle n’a plus cours, étonne toujours le Français de passage. La vague chaude de la langue catalane submerge toute la ville mais, dans toutes les rues de cette petite métropole, on entend quelques conversations en espagnol d’Andalousie ou de Colombie. On y surprend également des bribes de russe, d’anglais, de français, d’allemand, de néerlandais et même de japonais. Les Nippons, on le sait, adorent Gaudí. A Reus, ils ne seront pas déçus car, sur la place de l’Hôtel-de-Ville (ajuntament), le Centre Gaudí, chef-d’œuvre d’intelligence et de modernité, leur fera peut-être découvrir quelques arcanes du génie de l’architecte. Quand on en ressort, on trouve notre planète encore plus belle et l’on se sent beaucoup plus intelligent avec l’envie de construire une cathédrale ou à défaut de composer une symphonie.
Ville d’Artistes
Après la place du général Prim, la grand-place de Reus c’est celle du Mercadal (les halles) avec son hôtel de ville italianisant. En catalan, on appelle « reusencs » les habitants de Reus, mais on les surnomme souvent, par plaisanterie, « ganxets » c’est-à-dire « les crochets » comme les habitants de Sant Feliu de Guíxols et d’Organyà. S’agit-il d’une allusion malveillante pour leur avarice ? Les gens de Reus, quel que soit le nom qu’on leur donne, se montrent particulièrement fiers du « Centre de Cultura », ancien hôtel particulier des marquis de Tamarit. Ils peuvent l’être sans forfanterie. Fondée en 1854 par le juriste Josep Güell, sa bibliothèque, l’une des plus riches de Catalogne, vaut le détour. Sous les armoires vitrées, remplies de livres, on sent l’encaustique et l’odeur de la civilisation, celle de l’Europe des stations thermales, avant les massacres des deux guerres mondiales. La présence de lampes à huile n’y choquerait personne. Tout le luxe, tout le raffinement d’une époque révolue vous accueillent dès l’escalier. On songe à la salle à manger du Titanic et l’on se prend à fredonner « Plus près de toi, mon Dieu. » Le centre s’est modernisé et diversifié. Il dispose également d’une école de langues, de musique, d’ateliers de théâtre et d’écriture. Les témoignages les plus incontestables de l’antique splendeur proviennent des immeubles modernistes. Lluís Domènech i Montaner, son fils Pere Domènech Roura et Pere Caselles s’y sont fait la main. Vous aimerez sans nul doute la Casa Navàs et son bow-window extravagant. Les palais de Reus n’ont vraiment pas à rougir devant leurs cousins barcelonais du Passeig de Gràcia. Vous trouverez même des exemplaires éloquents de l’architecture franquiste, avec des immeubles colossaux sur la Rambla de la Liberté. Certaines rues, l’institut Pere Mata avec ses briques me donnent la nostalgie de nos « cairons » roussillonnais.
Une Métropole avortée
Le prieuré de Saint Pierre (priorat de Sant Pere), avec son gothique tardif, nous rappelle que nous sommes bien en Catalogne. Quand on vient de Tarragone, on aperçoit dans le lointain son célèbre clocher qui ressemble comme un frère à celui de la cathédrale de l’Alguer, cette petite ville de Sardaigne qui témoigne, d’une façon à la fois dérisoire et superbe, que la Catalogne eut aussi son heure de gloire et un empire. Bien sûr, le clocher de Reus ne peut rivaliser avec son voisin de Valls, le plus haut de Catalogne, mais il se défend bien. Une ceinture de ramblas arborées entoure la vieille ville. Reus est une terre de poètes. Patrie du grand Gabriel Ferrater qui, derrière ses lunettes à la Pasolini, ne supportait plus la laideur du monde et se donna la mort, Reus vit aussi naître les frères Bartrina – Francesc et Joaquim – poètes romantiques, tristes comme des Russes sans vodka. A tous les coins de rue, des restaurants typiques ou plus chics, incinéreront vos bonnes intentions de faire un peu de régime. Comme partout, la mode des restaurants japonais sévit mais on ne la fait pas aux gens de Reus qui organisent les meilleures « calçotades » de Catalogne avec leurs voisins de Valls. Chaque dimanche, des dames bien habillées font la queue dans des pâtisseries immémoriales. Décidément, Reus est une ville qui gagne à être connue. Si elle venait à disparaître dans un cataclysme, le monde serait assurément moins beau et moins intéressant. Comme disait le maître Gaudí « El gran llibre sempre obert i que cal esforçar-se a llegir és el de la naturalesa ; els altres llibres estan extrets d’aquest i a més contenen les equivocacions i les interpretacions dels homes ». (Le grand livre toujours ouvert et qu’il faut s’efforcer de lire est celui de la nature ; les autres livres sont tirés de celui-ci et de surcroît contiennent les erreurs et les interprétations des hommes.)
Pas de commentaire