01 Avr Rencontre avec Xavier Pallarès Povill
Xavier Pallarès Povill dirige l’institut de Développement des Comarques de l’Ebre (Baix Ebre, Ribera d’Ebre, Terra Alta). Rencontre avec un amoureux de sa terre et surtout, de ses eaux uniques.
Cap Catalogne : Bonjour Xavier Pallarès Povill. Vous dirigez l’Institut de Développement des Comarques de l’Ebre. Quel est son rôle exact ?
Xavier Pallarès Povill : Nous sommes un département de la Generalitat de Catalogne, donc avant tout un service public et sans but lucratif. Nous apportons à l’ensemble des acteurs économiques des comarques de l’Ebre, quelle que soit leur taille, un appui financier et surtout une ingénierie en matière par exemple de recherche de fonds européens ou d’autres subventions, et de facilitation des contacts de filière. Nous sommes des partenaires incontournables de la vie locale, et bien sûr, le fleuve joue un rôle énorme en matière de tourisme et d’économie.
CC : Quel est votre parcours personnel ?
XPP : J’ai été pendant des années le maire d’Arnès, aussi je connais parfaitement les enjeux de notre territoire, les attentes de ses citoyens et tout l’intérêt de son patrimoine particulier. Je sais que les voies bleues et vertes constituent une énorme opportunité pour notre tissu économique, et c’est ce qui nous place d’une certaine manière au cœur du dispositif.
CC : Vous organisez également des campagnes de promotion multimedia de votre territoire…
XPP : C’est sans doute la partie la plus importante de notre rôle parce que c’est celle qui conditionne toutes les autres. A priori, il faut d’abord attirer des visiteurs, c’est le nerf de la guerre. Mais il y a sans doute plus important encore : donner envie aux forces vives de ce pays de rester. Et ce n’est possible que si nous sommes dans un cercle vertueux qui leur permet de vivre sans s’exiler. Nous communiquons dans la presse européenne et locale, bien sûr, mais aussi sur les télévisions des territoires proches comme le Pays Valencien, et sur les chaînes privées de proximité immédiate comme celle de Tarragone ou celle de Reus.
CC : Vous publiez aussi des livres…
XPP : Oui notamment sur le halage des bateaux, la « sirga », le métier-phare de nos ancêtres mais aussi sur le cadre paysager hors pair inscrit dans la réserve de la biosphère et sur le pays de l’Ebre en général. Nous avons aussi passé commande à un grand photographe, Vicent Pellisser, d’un collectage iconographique précis sur la vie spécifique de nos terres, de leurs petits métiers, de leur patrimoine architectural. Et bien sûr nous coéditons ou soutenons des maisons d’édition par le pré-achat de livres comme beaucoup d’institutions. Nous devons à la fois veiller à conserver la mémoire et à assurer l’avenir, c’est le sens même de l’existence de l’Institut.
CC : Et la bonne santé du fleuve ?
XPP : C’est nous qui assurons par exemple l’extraction des algues, pour que sa navigabilité reste parfaite même en cas de baisse du débit. Car le débit baisse, non seulement à cause du changement climatique, mais aussi du fait des usines hydroélectriques et des centrales qui ponctuent son cours, caractérisées par des barrages qui, par exemple, retiennent les alluvions, ce qui finit par poser un grave problème au delta dont la partie terrestre se réduit comme une peau de chagrin. L’Ebre est un fleuve irrégulier qui va d’un extrême à l’autre. Ses crues sont spectaculaires malgré le chapelet de rétentions qui marquent son cours de la Cantabrie à la Méditerranée. Nous entretenons aussi les pontons et embarcadères de façon totalement gratuite pour favoriser la navigation de plaisance et la pêche.
CC : Dans l’imaginaire local, quel rôle joue le fleuve ?
XPP : Longtemps les gens ont vécu dos au fleuve, même si sans son eau, il n’y aurait pas d’irrigation ni de vergers. Mais maintenant, dix-huit entreprises en vivent directement, la navigation de loisirs s’y développe à un rythme soutenu. Nous offrons aux scolaires des croisières pédagogiques autour, par exemple, des réserves ornithologiques, ou du patrimoine architectural, pour que le fleuve imprègne bien les nouvelles générations. Nos élèves d’aujourd’hui seront nos prescripteurs de demain. Nous constatons de plus en plus que l’Ebre est un atout touristique majeur. D’abord il permet des expériences de navigation uniques sur les llaguts d’antan, que ce soit sur le delta, vers Tortosa (avec le « Sirgador ») ou vers Mora d’Ebre ( avec « le Roget »). Sans compter le bac de Miravet qui est une institution. L’Ebre relie trois parcs naturels de toute beauté concentrés sur quelques kilomètres, ceux des Ports des terres de l’Ebre, des Ports de Beseit et celui du delta, deux mondes totalement opposés, en ce sens que l’un est sec et vertical, et l’autre, noyé et horizontal. C’est le fleuve qui donne leur unité à nos paysages, et qui donne aussi un sens aux activités des hommes. Nous travaillons d’ailleurs sur une intermodalité pour ceux qui tournent le dos à la voiture : piste cyclable à l’aller, bateau au retour ou l’inverse. Avec la voie verte on peut descendre du Matarranya, en Aragon (près d’Alcañiz) jusqu’à Tortosa, puis poursuivre jusqu’à la mer. Le territoire est plat, ce qui rend ce type de déplacement accessible à toutes les générations et toutes les formes physiques. Dans le fleuve même, il y a des îles et des presqu’îles qui enchantent les touristes avec leurs profusions d’oiseaux et leurs plantes endémiques et le delta avec son île de Buda, n’est pas en reste. L’Ebre c’est toute une aventure.
CC : qui s’occupe de la qualité des eaux ?
XPP : La confédération hydrographique de l’Ebre. C’est elle qui est notamment chargée des prélèvements et des analyses. Mais je vous rassure, aux dernières nouvelles, l’Ebre se porte bien.
CC: D’où viennent ces touristes dont vous parlez ?
XPP : Avec la Covid, il est clair que la plupart des visiteurs viennent de la grande couronne barcelonaise et qu’il s’agit massivement d’un tourisme de week-end. Les Terres de l’Ebre, avec leur nature intacte, ont fait office de refuge pour tous ceux qui ont besoin d’entretenir un lien étroit avec la nature et fuient la côte souvent surpeuplée. Ici, l’horizon est sans fin, la montagne vraiment sauvage et le fleuve éternel. La randonnée explose à pied ou en vélo. On assiste aussi à l’explosion des « bains de forêt ». Cela nous permet d’avoir de belles ailes de saison, même si nous comptons fermement sur un retour à la normale pour le tourisme d’été. Notre tourisme est plutôt qualitatif et familial. Mais il est également de plus en plus culturel, et déborde sur d’autres domaines comme la gastronomie ou la pêche. Tout indique que les gens ont envie de comprendre le territoire dans sa globalité. Tous les ans, l’automne venu, nous collaborons au sein de Gastroebre avec des étoilés Michelin pour sublimer nos produits. Il va sans dire que nous avons des atouts décisifs en termes de poissons et de crustacés à cause de nos eaux mixtes, de nos grosses huîtres uniques et de nos anguilles, mais nous mettons aussi l’accent sur les agneaux de nos montagnes et sur l’ensemble de nos spécialités les plus rurales comme le cabri, appelé ici « crestó ». il s’agit de donner à aimer un territoire tout entier… Finalement, mon métier c’est ça, faire aimer ces terres dont l’Ebre est la colonne vertébrale. Je m’y emploie.
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