01 Avr De Tortosa à Riba-Roja
Remonter l’Ebre, c’est vraiment mettre ses pas dans ceux des sirgadors. Le tronçon entre Tortosa et Riba-Roja, marqué par une cluse magnifique qui rétrécit le fleuve et la beauté de Miravet va vous ravir.
N’hésitez pas à opter pour un des nombreux prestataires privés présents sur beaucoup d’embarcadères, qui vont du bateau à moteur aux pirogues pour vous offrir, à partir de Tortosa, une arrivée par les eaux sur la retenue de Xerta et son écluse, dans l’odeur têtue des orangers que croisent parfois, pour une bouffée d’orient ou d’Andalousie, les fragrances du jasmin. On a l’impression d’arriver dans un jardin d’Eden. Les vergers s’étendent à perte de vue, impeccablement alignés, nourris par les eaux disciplinées en canaux. Après le grand lac créé par le barrage, la fameuse « resclosa » de Xerta, vous voilà en route pour Benifallet, dans les chants d’oiseaux et les bruissements d’insectes. La force du fleuve est énorme. Au cœur du silence froissé par la déchirure de l’eau sous l’étrave, on perçoit son grondement sourd, puissant. « Vous imaginez la force qu’il fallait aux sirgadors pour lutter contre cette puissance, même si comme les felouques du nil, les llaguts traditionnels pouvaient hisser les voiles et se faire aider dans une certaine mesure par le vent ? » nous explique Ramon, le timonier. Malgré les nombreux barrages qui ponctuent son cours, l’Ebre reste un fleuve assez sauvage, totalement irrégulier, sujet à des caprices redoutés dont les piles des rares ponts gardent les marques. Pourtant, dans la tranquillité du printemps, le temps semble s’arrêter parfois, dans les boucles du fleuve, quand plus rien ne signale une activité humaine identifiable. On prend alors conscience de la présence des oiseaux dans la moindre touffe de roseau, le moindre bouquet d’arbres auxquels ils promettent d’éternelles fleurs mouvantes. à l’arrivée à Benifallet, un autre llagut sobrement nommé « le llagut de Benifallet » attend sagement le long du quai. Faites lui confiance, il va vous mener à un des joyaux absolus des rives du fleuve, le village de Miravet qui proclame à flanc de colline son origine arabe, confirmée par la forteresse qui le couronne.
Une beauté architecturale à couper le souffle, un moulin encore intact à fleur d’eau, que les moins aventureux peuvent également découvrir en traversant avec le bac qui emportera aussi les voitures. Ici, pas de pont, juste la loi des flots. Ne vous privez pas d’une visite au château, une forteresse templière du XIIe siècle, et ne boudez surtout pas l’ascension des ruelles étroites et pentues qui regorgent de passages secrets et de balcons sur le fleuve, mais aussi d’ateliers de céramiques et de poterie. Ici morisques, juifs et chrétiens ont cohabité pendant des siècles. « Miravet est une véritable icône touristique » explique Montse, guide sur le bateau. Sur le fleuve, un véritable ballet de canoës, de pirogues, de hors-bords s’en donne à cœur joie. Retour à Benifallet, désormais desservi par un pont, imaginez que comme c’est encore le cas à Miravet, ici le bac a été de rigueur jusqu’en 1991 ! C’est une des raisons qui explique que la rive sud soit moins peuplée et cultivée que la rive nord sur laquelle se situent presque tous les villages ! à Ascó vous attend le llagut ou plutôt le llaüt (en dialecte ebrenc) Lo Roget, un joli bateau de 15 m de long. Il va vous permettre de traverser un des paysages fluviaux les plus extraordinaires de l’Ebre catalan, une gorge étroite creusée entre les falaises qui voit le courant s’accélérer entre le Pas de l’Ase et le Pas de Barrufemes, en aval et en amont de Mora d’Ebre. Offrez-vous quand même une petite escale avant d’embarquer ! Le centre ville médiéval d’Ascó, marqué par l’héritage morisque, est vraiment beau, et vous adorerez le château, une ancienne commanderie templière perchée sur un piton rocheux. La fréquence de ces forteresses qui jalonnent le cours du fleuve démontre à elles-seules l’importance stratégique de son contrôle au fil des siècles. Curieusement, cette partie de la vallée évoque celle du Rhin, avec sa charge de romantisme et de caractère sauvage. Mora d’Ebre se dessine, séparée par les eaux de sa jumelle moderne et industrielle, Mora la Nova, mais reliée à elle par un énorme pont à arcades métalliques inversées, une prouesse architecturale réalisée en béton armé dans l’urgence en 1943, juste après la guerre d’Espagne. Ici, le château auquel on accède par une belle promenade dallée et pentue qui surplombe les eaux a été un des cadres de la bataille de l’Ebre. « Le passage sur les ponts de barque était contrôlé par les Républicains et convoité par les Nationaux. On voit encore sur les façades quelques impacts de mortier » explique Sandra, journaliste italienne installée à Mora. Vous aimerez les restes de remparts, les petites places et la promenade fluviale, devant le port nautique, et la jolie église baroque.
Il vous reste à continuer de remonter les eaux jusqu’à Garcia, puis Vinebre, en contemplant les vergers de pêchers et d’abricotiers qui flirtent de plus en plus souvent avec la vigne car nous ne sommes plus très loin de Terra Alta. à Vinebre, on produit un vin doux naturel très autochtone, le vimblanc, un délice. C’est là que le bateau fera demi-tour. Cela peut sembler fastidieux, et pourtant, cette façon de remonter et redescendre le fleuve procure un plaisir étrange : on reconnaît le paysage, on le redécouvre. Bon, on va tout vous dire, pour aller de Vinebre à Flix, il y a la route, magnifique, qui ne quitte jamais le fleuve et ses méandres. Mais une fois à Flix, ne faite pas l’économie de redescendre le fleuve jusqu’à Vinebre, c‘est superbe. Car au-delà de Flix, à la frontière avec l’Aragon, le fleuve se laisse enfermer par le barrage de Riba-Roja et c’est une autre histoire qui commence…
Pas de commentaire