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Le Liceu : La force du destin

01 Déc Le Liceu : La force du destin

Le Liceu est l’un des fleurons de la culture catalane : tout simplement l’une des plus grandes scènes d’opéra du monde, entourée d’un halo de légende.
On ne présente plus le Liceu, l’une des maisons d’opéra les plus prisées et les plus prestigieuses du monde. Cap Catalogne vous invite à une visite guidée de son histoire et de ses murs.

liceu2Un peu d’histoire

En 1837, un bataillon de la milice nationale dirigé par Manuel Gibert i Sans, crée dans l’ancien couvent de Montsió le « Lycée philodramatique de Montsió » (Licéo Filodramàtico de Montsión), dont la mission première est de promouvoir l’enseignement musical en faisant monter des petits opéras aux élèves. En 1838, la structure devient le Lycée Philharmonique Dramatique de la Majesté Isabel II et se voit attribuer les terrains laissés vacants par la destruction de l’ancien Couvent des Trinitaires, en pleine rambla, en bordure du Raval. C’est ici que va voir le jour le Gran Teatre del Liceu.

Pas de loge royale

Contrairement à ce qui se fait alors dans toute l’Europe, la couronne ne finance pas la nouvelle structure, ce qui explique l’absence de loge royale. Fidèle à son ADN frondeur et commerçant, la Catalogne compte sur des actionnaires privés et sur les forces vives de la société civile pour s’offrir ce qui est appelé à devenir l’un des opéras les plus prestigieux du monde. D’emblée, la rentabilité fait partie des objectifs et pour ce faire, on fait appel à un chef de projet, Joaquim de Gispert et d’Angli, qui réalise un montage financier extrêmement moderne pour l’époque.

Le génie de la finance

Deux entités se partagent le financement : une société de construction, chargée en gros des travaux et de la mise en place de la structure architecturale, et la société auxiliaire de construction, appelée à devenir le prestigieux « Cercle del Liceu », regroupant les mécènes du théâtre proprement dit. Moyennant finances, les actionnaires se voient attribuer des loges et des fauteuils à perpétuité, ou même, la pleine propriété d’espaces inclus dans l’ensemble architectural. Le 4 avril 1847, la nouvelle scène est inaugurée avec une pièce de théâtre et une cantate.

liceu3Théâtre ou opéra ?

En effet, au début, le parti-pris artistique reste incertain. Le nouveau Liceu se trouve en rivalité avec le Teatre de Santa Creu, ancienne scène lyrique de Barcelone, devenue à la fois obsolète et trop réduite pour une capitale européenne. Dès le 17 avril de la même année, le Liceu présente Anna Bolena de Donizetti : c’est un triomphe. Le Liceu aurait sans aucun doute gagné la bataille contre son rival, si n’était survenu un tragique accident : le 14 avril 1861 se déclare un énorme incendie qui détruit le bâtiment. Il est reconstruit en un an et 6 jours, un record !

Le Cercle : un atout maître

Et ce record a une explication : le Cercle del Liceu. Ce club très privé s’inspire de ses homologues londoniens, il n’accepte que des hommes et leurs veuves. Il faudra attendre 2001, pour que deux femmes chefs d’entreprise puissent enfin en faire partie. Son objectif est de fournir « à ses membres les plaisirs et passe-temps de la bonne société ». Il se déclare étranger à toute action ayant un caractère politique. Ce sont ses membres qui ont financé la reconstruction éclair. Tout au long de son histoire, le Liceu pourra s’appuyer sur ce véritable bras armé de la bourgeoisie catalane.

Cap sur l’opéra

Lors de la réouverture, en 1863, la ligne artistique est claire : avec « Puritani » de Bellini, l’option est à l’opéra et le restera. Si une polémique naît en 1883, lors de la première représentation du Lohengrin de Wagner, le Liceu devient rapidement la première scène wagnérienne du sud de l’Europe. Au fil des ans, les plus grands chanteurs catalans y ont fait leurs débuts et leurs preuves : Josefina Huguet, Maria Barrientos, Conchita Supervia, puis après la guerre d’Espagne, Montserrat Caballé, Jaume Aragall, Josep Carreras, Josep Pons…

Temple moderniste

Au début du siècle, Barcelone se met au diapason russe dans le sillage de Paris, en accueillant les ballets russes de Diaghilev : il est clair que la capitale catalane entend faire jeu égal avec ce nord de l’Europe auquel tout la lie culturellement, à commencer par ses élites qui se forment massivement en France. Une fois de plus, le Cercle joue un rôle clé dans ce développement. Il accumule en parallèle un patrimoine artistique incroyable doublé d’une bibliothèque extraordinaire. La totalité des pièces qu’il occupe présente une riche décoration moderniste de la « Pêcheuse » de la Salle de l’horloge au grand salon du cercle, où trône la Sargantian (1907) un chef-d’œuvre de Ramon Casas. Dans le vestibule, quatre vitraux modernistes dus à Oleguer Junyent et Josep Pey, représentent des scènes-clé de la tétralogie de Wagner. Mais l’ensemble mural le plus remarquable est dû à Ramon Casas dans la Rotonde dont il a assuré la décoration générale et pour laquelle il peint douze tableaux conçus comme des fresques consacrées à des thèmes musicaux qui, à chaque fois, mettent Barcelone en dialogue avec d’autres villes ou villages : le Liceu et son public, les nouveautés, les sardanes, la musique sacrée, le ballet, la musique populaire, l’automobile…

liceu4Musée catalan

Le Cercle est en fait un véritable musée avec des œuvres (tableaux, eaux-fortes, gravures) des plus grands artistes catalans de l’époque comme Alexandre de Riquer (céramiste, peintre et graveur), Santiago Rusiñol (peintre symboliste), Modest Urgell Inglada (disciple de Courbet) ou encore le Valencien Francesc Miralles. Il n’a cessé d’enrichir ses collections en acquérant ces dernières années des gravures de Tàpies dédiées à Wagner qui occupent l’ancienne salle des jeux au deuxième étage. Aujourd’hui, le cercle du Liceu compte 1 100 membres, pour la plupart des chefs d’entreprise ou des hommes politiques influents et veille sur une scène qui est devenue l’un des temples opératiques les plus prisés du monde.

Tel le phœnix

Car le Liceu semble placé sous le signe du Phœnix : au sens le plus strict du terme, il semble toujours renaître de ses cendres. Après le terrible incendie de 1861, il est en effet victime d’un feu d’un autre genre, une explosion due à l’attentat perpétré par l’anarchiste Santiago Salvador en 1893, qui jeta deux bombes Orsini sur le public du parterre depuis le poulailler, tuant 14 personnes et en blessant 35 autres, essentiellement des membres de la bourgeoisie catalane. En 1936, les Républicains font du Liceu un symbole de caste : il est donc exproprié, et nationalisé pour devenir le Théâtre National de Catalogne mais en 1939, les franquistes lui restituent toutes ses prérogatives et la bourgeoisie catalane réintègre les lieux.

Une tragédie et une chance

Le 31 janvier 1994, nouveau coup du sort. Alors que deux techniciens travaillent sur le dispositif anti-incendie de la scène, une étincelle met le feu au grand rideau, puis au théâtre tout entier. Du grand Liceu ne reste alors rien qu’un amas de décombres. Cette tragédie sera en fait une grande chance. Réunies au chevet du grand opéra, les institutions, à savoir la Generalitat de Catalunya, la Diputació de Barcelona, la Ville de Barcelone et dans une moindre mesure le Ministère de la Culture Espagnol se regroupent au sein d’une fondation et créent un Conseil en mécénat. Le Liceu se dote alors d’installations scéniques ultra-performantes, disposant des toutes dernières innovations technologiques et devient l’une des scènes les plus modernes du monde.

La renaissance

En 1999, le Liceu rouvre ses portes. Trois fois sauvé du feu, il est aujourd’hui une immense scène d’opéra. Dès l’entrée dans le vestibule, à fleur de rambles, la magie des lumières agit puissamment sur les spectateurs, perpétuée par la richesse de la décoration intérieure et l’incroyable impression d’intimité que distille le rouge profond des sièges ultra-confortables. Ici, rien de la froideur de l’opéra Bastille ou du hiératisme de la Scala. On est quelque part entre Garnier et Covent Garden. Le public est merveilleusement mélangé : jeans et robes du soir se croisent sans s’offenser, rassemblés par l’amour du répertoire. Le Liceu est une scène vivante, vibrante où se joue l’Europe musicale et qui rassemble les générations.

Une direction inspirée

De 1996 à novembre 2013, c’est Joan Matabosch qui a présidé aux destinées artistiques du Liceu, le propulsant au niveau des plus grandes scènes du monde avec pour maître mots éclectisme et coproductions, favorisant la programmation des grands compositeurs du XXe siècle, et engageant des pointures mondiales qu’il s’agisse de chanteurs, de chefs d’orchestre ou de metteurs en scène. En parallèle, il a publié plus de cinquante productions du Liceu en DVD. Une action exemplaire qui lui a valu une nomination au Teatro Nacional de Madrid. Depuis septembre en effet, l’allemande Christina Scheppelmann lui succède, avec la redoutable mission de conforter la place unique qu’occupe le Liceu sur la planète opéra.

Accessible et sans chichis

Pour cette saison, en tout cas, les amoureux du bel canto, les inconditionnels de la voix et les fous de musique peuvent être rassurés, la programmation est de très haute tenue avec la Marie Stuart de Donizetti, La Voix Humaine de Poulenc, la Norma de Bellini, le Siegfried de Wagner et un cycle Verdi. Evidemment, parallèlement aux soirées lyriques, le Liceu présente des récitals, des concerts pour les enfants, de la musique de chambre. Et si vous passez par Barcelone, deux détails de poids. D’abord le prix des places qui reste très accessible, ensuite le dispositif high-tech des sous-titres qui vous permet de suivre l’action même si vous n’êtes pas un très grand mélomane.

Fidèle à son esprit d’entreprise et d’innovation, la Catalogne s’est dotée avec le Liceu de l’un des plus grands opéras du monde, aussi remarquable par sa programmation que par son incomparable valeur patrimoniale. Elle l’a fait envers et contre tout, surmontant deux incendies, un attentat et une guerre, avec l’appui de son tissu économique et de sa société civile, alliant l’appui des institutions et la force du privé grâce au Cercle du Liceu, donnant au monde, au passage, quelques-uns de ses plus grands chanteurs et musiciens.

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