03 Avr TAUTAVEL, TAL TE VULL !*
*Ne change rien !
Il faut peu de couleurs à un bon aquarelliste pour rendre justice aux ocres des falaises, striés de granit gris, mouchetés du vert de rares chênes, pailletés du jaune des éboulis. Peu de couleurs, mais beaucoup de bleu, tant le ciel, haut, brossé par la tramontane, impose sa carrure. C’est ici, dans ce règne minéral dont la rivière espiègle vient troubler l’impassible sévérité, que se blottit Tautavel.
Une forteresse dynamitée
Au-dessus du village, le vieux château, vassal des comtes de Besalú, dresse les moignons désossés de son enceinte et de son donjon, jadis si imposants. Nous sommes sur l’ancienne frontière, celle qui séparait autrefois Occitanie et Royaume d’Aragon. Lors de l’annexion de 1659, après le Traité des Pyrénées, les Français, bien décidés à s’installer durablement, n’ont pas donné dans le chichiteux : ils ont tout bonnement dynamité la valeureuse forteresse, histoire de s’assurer qu’elle ne pourrait plus servir !
L’Espionne du Roussillon
Encore plus haut, sur les créneaux naturels que dessine la montagne, la Tour du Far, construite pour repérer les Sarrasins en mal de razzias, domine le monde aride des Corbières, une mer de buttes, de pignons, d’éperons rocheux creusés de gorges et de lits de ruisseaux à sec où se dessinent des vignes en archipel. On la surnomme « l’espionne du Roussillon », capable de porter ses regards jusqu’à la côte et jusqu’à la ponctuation que posent ses jumelles sur les Albères et plus loin, plus à l’ouest, sur les Pyrénées. C’est ainsi : malgré la route qui, après Estagel, paraît se perdre entre vignes et rochers, l’histoire n’a pas oublié Tautavel !
Redoutable Verdouble
Lové contre la falaise, dont les ruelles en pente douce semblent tenter de gravir les contreforts, Tautavel allonge ses maisons le long de la rivière nourricière, le Verdouble, dont la rue principale suit le tracé. Quelques troncs égarés dans le lit, quelques éboulis de galets signalent au visiteur les violences du fleuve impétueux dont les colères ont emporté au fil des siècles nombre de maisons et de jardins !
La religion du vin
Les maisons sans balcons, les crépis des façades annoncent une terre de passage : encore en Catalogne, certes, mais déjà très proches de ces villages occitans des Corbières dont les noms chantants décorent les panonceaux : Tuchan, Paziols… Comme eux, Tautavel est né du vin, de cette terre rouge. Partout, autour du village, des vignes abruptes aux couleurs contrastées : les feuilles violines du Carignan répondent aux verts délicats de la Syrah ou du Grenache… ici, on est vigneron de père en fils.
Paradis des néoruraux
Depuis quelques décennies, nombre de citadins en quête de beauté ont acheté des résidences secondaires. On ne compte plus les néoruraux qui se livrent sans compter aux plaisirs du télétravail, les fenêtres ouvertes sur cette vallée du bout du monde, si douce à vivre. Ici, la terre a tremblé il n’y a pas si longtemps, mais la beauté apaise les esprits, et on s’en souvient pour en rire entre amis au café. Quelques restaurants, authentiques et ruraux, comme le cadre, émaillent le village.
Une vraie destination touristique
Ne nous y trompons pas, Tautavel est une destination touristique plurielle ! En quelques centaines de mètres, c’est un concentré de plaisirs et de découvertes qui s’offre aux visiteurs. Une fois épuisées les joies de la déambulation tranquille à l’ombre des platanes, cap sur les gorges du Gouleyrous ! Un bassin naturel, quelques marmites aux eaux turquoise qui montent en gradins entre des falaises rapprochées, il n’en faut pas davantage pour réjouir nageurs, familles en pique-nique, fous de varappe ou simples amoureux de la nature !
Des géantes qui dansent
La culture n’est pas en reste. Encore un coup d’œil sur le patrimoine avec la jolie chapelle des Saintes Puelles, devenue une aire de repos, avant de visiter l’Espace de la mémoire et des arts où vous attend une forêt de sculptures : Iris Vargas travaille le marbre blanc pour rendre hommage à la fois à cet or blanc veiné de gris, sorti des entrailles du Roussillon et aux vents typés, parfumés de thym et de sel qui décoiffent nos plaines, « la Tramontane », « la Marinade », représentées comme des géantes qui dansent une improbable sardane…
De soleil et d’acier
Avec son œuvre monumentale, construite en acier, offerte à la pénétration changeante de la lumière, intitulée « d’Erectus à Bacchus », Francis Alis dresse un portrait onirique de Tautavel : deux profils d’hommes préhistoriques se font face autour d’un soleil qui éclaire et englobe une grappe de raisin entourée d’une feuille de vigne, comme pour convoquer les forces telluriques qui ont donné naissance au village.
Le crâne de la révolution
C’est ici, un peu plus haut, sur la Caune de l’Arago que Tautavel la Catalane, Tautavel la frontalière, Tautavel la vigneronne est entrée dans la légende des siècles. Ici que fut découvert en 1971, un crâne d’homme préhistorique, désormais connu sous le nom d’« Homme de Tautavel » dans le monde entier. Une découverte si importante qu’elle a entraîné avec elle des dizaines de sessions de fouilles, des équipes de paléontologues, des experts, des scientifiques… Une vraie révolution.
L’homme de Tautavel
Au temps de l’Homme de Tautavel, entre 690 000 et 300 000 ans avant notre ère, des chasseurs nomades peuplaient la Caune de l’Arago. On sait qu’ils mesuraient environ 1,60 m, qu’ils avaient le front fuyant avec un bourrelet au-dessus des orbites, des pommettes saillantes et une mâchoire relativement avancée. Etrangement, ces hommes ressurgis du néant habitent encore Tautavel de leur mémoire silencieuse.
Deux vaisseaux amiraux
En quelques dizaines d’années, Tautavel est en effet devenue une capitale de la science et s’est dotée de deux vaisseaux amiraux, pas moins : son Musée des Premiers Habitants de l’Europe, abrité dans le Palais des Congrès, et son Musée de la Préhistoire, devenu un centre de recherches de tout premier plan à l’échelle européenne. Le premier musée permet de découvrir 1 800 000 années de préhistoire en 5 périodes et sur 500 m². Des manipulations interactives, un scanner archéologique, un théâtre optique mais surtout, une scénographie spectaculaire proposent un incroyable voyage dans le temps.
Immersion totale
Et la visite se poursuit 300 m plus loin, au Centre Européen de la Préhistoire, un formidable outil de vulgarisation qui propose 1 500 m² d’exposition, répartis en 22 salles et faits pour vous entraîner à la découverte de l’Homme de Tautavel (- 450 000 ans). La visite se fait à l’aide d’audioguides. Si des fouilles sont en cours, un écran vous permet de les suivre en direct ! Le clou du spectacle reste la reconstitution grandeur nature de la Caune de l’Arago avec les hommes qui l’habitaient et les animaux qu’ils y côtoyaient. Saisissant !
La science est un jeu
Outre son activité de recherche qui lui vaut la collaboration de dizaines de scientifiques de par le monde, le centre organise des animations inattendues : un championnat de tir avec des armes préhistoriques, les Journées de l’Homme de Tautavel, avec des conférences remarquables, un Festival d’Astronomie… Tout est fait pour aborder la science sous un jour ludique et riant. Pari gagné, si l’on en juge par la fréquentation de ces manifestations devenues un véritable must pour les nord-Catalans et les vacanciers !
Le mur de Moretti
Dans son sillage, la préhistoire a entraîné une efflorescence culturelle que matérialise le mur de Moretti. Conçue à l’origine en 1979 pour le Forum des Halles à Paris et destinée à rappeler l’épopée humaine et la naissance du langage, cette fresque a été déplacée à Tautavel, non sans mal ! Il a fallu la découper en 56 morceaux et sa reconstitution a nécessité deux ans de travail. Aujourd’hui, une statue de l’Homme de Tautavel, javelot en main, regarde ce mur coloré. Il faut dire que Raymond Moretti est un vieux complice du professeur Henry de Lumley et un fan de la première heure de l’Homme de Tautavel auquel il a même consacré un timbre !
Une fresque en trencadís
Une fresque d’un autre type orne le fronton du Palais des Congrès de Tautavel : on l’appelle la fresque de l’universalité, réalisée en trencadís, c’est-à-dire avec des tessons de grès et de terre cuite. Elle évoque l’évolution des arts et des sciences, avec des figures comme Voltaire, Rousseau, Einstein ou Gaudí, des inventions, des allusions aux arts primitifs qui illustrent l’article premier de la déclaration des Droits de l’Homme : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. On doit l’œuvre au burin inspiré de Freddy et Marido Secall, les Mosaïstes de Torreilles.
Arts plastiques, histoire, sciences, il ne manquait plus qu’un invité au banquet des arts, et la musique y est entrée par la grande porte, avec un festival de printemps initié par les frères Renaud et Gauthier Capuçon, respectivement violoniste et violoncelliste. Un nouveau bingo pour le petit village des Corbières, qui est aussi la porte de la Catalogne, sous son vrai nom de baptême, Taltahull ! Pour ce qui est des quatuors, Tautavel connaît la musique : préhistoire, culture, terroir et nature parlent d’une même voix pour inscrire ce petit morceau de terre catalane dans la mémoire universelle.
Pas de commentaire