31 Mai JOSEP MARIA CERVERA I PINART
Chargé de mission à l’abbaye Sant Pere de Rodes, puis au Parc du Cap de Creus avant de devenir maire du Port de la Selva, Josep Maria Cervera i Pinart travaille depuis plusieurs décennies au développement de son petit bout l’Alt Empordà, béni des Dieux et des vents depuis l’Antiquité.
CC : Bonjour, Votre parcours au service de ce territoire est impressionnant de cohérence. Quelle est votre formation de base ?
D’abord je suis très attaché à cette terre, à ses gens, à son passé. Je suis d’ici. Sorti de ces pierres et de ce vent. J’ai une formation de géographe et d’historien qui me permet d’appréhender l’importance de de territoire peuplé de toute éternité. Ici, nous avons des restes néolithiques dispersés dans la garrigue, des ermitages romans nichés au pied de la montagne de Rodes, de vieux moulins à huile désaffectés, la mémoire des drailles de bergers et une sublime abbaye, l’une des plus belles sans doute du patrimoine roman mondial…et je ne parle même pas des paysages, si essentiellement méditerranéens… Comment ne pas se mobiliser pour défendre tout ça ?
CC : et puis il y a la mer…
Oui, une partie de notre patrimoine se trouve encore engloutie sous les flots et reste à découvrir. On savait que les Grecs, les Phéniciens, les Romains avaient croisé et peuplé notre morceau de côte, mais récemment on a fait une autre découverte, lourde de sens : on a trouvé des épaves de bateaux marchands ibères qui prouvent qu’ils avaient bel et bien une tradition navale. Nous ne savons pas encore tout, et ça, c’est passionnant. Le Cap de Creus est un monde en soi.
CC : vous parlez du cap de Creus comme de quelque chose d’immense
90% du territoire de ma commune font partie du parc et nous sommes limitrophes de toutes les autres communes qui en font partie. Le territoire du Port de la Selva est indissociable de ce parc. Le Cap est omniprésent.
CC : justement le parc, que signifie-t-il ?
D’abord et avant tout, la création du parc a permis un gel complet des constructions, donc un arrêt bienvenu de la spéculation immobilière. Vu la beauté du site, si nous n’avions pas pris de dispositions, on aurait risqué d’avoir un effet côte d’Azur. D’ailleurs, contrairement à ce qui a pu se passer ailleurs, toutes les municipalités concernées ont été d’accord avec la création du parc. Nous avons tous compris que ce que nous protégions c’était à la fois une qualité de vie et un site exceptionnel.
CC : c’est dans ce cadre qu’est intervenue la destruction de l’ancien club méditerranée ?
Oui et non. Il s’agissait clairement de bâtiments adéquats pour les années soixante peu adaptés en ce début de XXIe siècle. Il aurait donc fallu les détruire ou les réformer. D’ailleurs, il y a eu des gens pour les défendre ! Mais leur destruction a donné un signe fort. Cela dit, il faut à mon avis sortir de la posture de pure conservation. Cela ne suffit pas de garder un espace intact, de le mettre à l’abri de la main de l’homme. D’ailleurs, la main de l’homme y est intervenue depuis toujours et ce depuis trois bons millénaires ! Un développement concerté et contenu est possible, j’en suis convaincu.
CC : vous parlez de tourisme durable ? Donnez-moi quelques exemples
Outre les activités de randonnée, déjà bien développées, qui demandent à être approfondies et améliorées en termes de signalisation et d’information, nous pourrions également redéfinir et amplifier les activités de loisirs et également celles de plongée sous-marine. Le cap peut rester vivant sans rien perdre de sa beauté.
CC : pourtant, le cap est resté relativement préservé, même avant toutes ces nouvelles mesures,…
Oui, d’abord le territoire est excentré, et l’accès routier assez difficile. Il faut par exemple aller à Cadaquès, puis prendre une route assez confidentielle ou marcher dans la garrigue. Quel que soit le point d’où l’on part, Roses, le Port de la Selva, la Selva de Mar, le cap se mérite. Et puis, nous avons un allié de poids sur nos terres : la tramontane, en tout cas pour notre morceau de côte au nord ! Elle permet de faire le tri entre les vrais passionnés, prêts à l’affronter, et les autres !
CC : à côté de l’atout majeur de constituent les paysages du cap, vous en avez un autre, et pas des moindres, sur votre propre commune : l’abbaye de Sant Pere de Rodes…
C’est un joyau absolu qui attire énormément de visiteurs. D’ailleurs un de nos projets immédiats, c’est l’aménagement de la route côté mer. On y accède facilement depuis Vilajuïga, mais de notre côté c’est autre chose, la route étroite et abrupte mérite d’être réhabilitée et ses accotements réaménagés. C’est d’autant plus nécessaire que l’arrivée sur la mer est une splendeur.
CC : C’est ce qui est incroyable avec ce parc, il s’ancre vraiment dans les Albères
Il est le point ultime des Albères qui se jettent dans la mer. Nous travaillons à montrer la cohérence de ce territoire en aménageant des sentiers entre Argelès et Roses. Pas seulement des sentiers côtiers, mais aussi ceux qui passent par le col de Banyuls, à l’intérieur des terres, au cœur même de la montagne. Nous avons même monté un dossier européen pour ça, espérons qu’il va aboutir.
CC : Votre autre casquette, c’est celle de maire du Port de la Selva…
Nous sommes un petit village de 1000 habitants qui passe à 12000 en été. Inutile de dire que le tourisme est notre vertu cardinale.
CC : ce tourisme, comment le qualifieriez-vous ?
Il y en a plusieurs. D’abord celui des résidences secondaires : beaucoup de Barcelonais et d’habitants des capitales de comarques, quelques Français, quelques Belges. En été, nous avons des gens de toute l’Europe du nord. Mais grâce au tourisme de proximité, c’est-à-dire principalement des gens venus de la Catalogne du nord ou de l’Occitanie voisine, nos hôtels et surtout nos restaurants travaillent toute l’année. C’est pour nous un véritable poumon notamment pour les week-ends de basse saison !
CC : Vous avez noté des évolutions ces dernières années ?
Oui, le tourisme basque. Je ne sais pas s’il faut y voir une sorte de complicité culturelle (rires) par rapport à notre relation avec l’état espagnol, mais en tout cas c’est une tendance lourde que nous travaillons beaucoup.
CC : vous avez la chance que la Costa Brava soit desservie par le train. Ça aide ?
Pas vraiment. Nous avons réussi à créer notre propre desserte de bus entre les communes du Cap de Creus mais il faut se battre pied à pied pour obtenir une intermodalité cohérente depuis la gare de Llançà. Enfin, on y travaille et cela devrait aller mieux cet automne. Nous avons ressenti de façon assez forte la baisse de régime de l’aéroport de Girona lorsque Ryan Air l’a quitté pour celui de Barcelone. On ne vient pas chez nous par hasard mais parce qu’on l’a choisi.
CC : vous vous êtes toujours occupé de protection civile, notamment de la lutte contre les incendies, cela vous aide dans vos fonctions de maire ?
Regardez autour de vous. Les espaces naturels sont partout. Aujourd’hui je siège dans des commissions au niveau de la comarca et auprès de la Generalitat avec la casquette environnement et protection civile. C’est essentiel pour notre petit territoire, j’y tiens beaucoup.
CC : quand vous dites territoire, on sent que vous le pensez comme un avant-poste de la Catalogne. D’ailleurs vous êtes un des premiers maires à vous être prononcé en faveur d’une sortie de l’Etat espagnol …
Je souhaite le meilleur pour mon pays, pour nos enfants, pour la mémoire de ceux qui nous ont précédés et j’agis en conséquence, c’est-à-dire en faveur de l’indépendance de la Catalogne. Le processus est en marche et je suis convaincu qu’il est irréversible. Nous avons beaucoup à apporter à l’Europe.
CC : un seul mot de conclusion, donc, Josep Maria Cervera : merci !
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