10 Fév Valls toujours plus haut
Nichée dans les collines qui constituent le piémont des montagnes de la Prada, striée de torrents et de sources, la ville aux trois clochers cache une âme de rebelle, farouchement catalane. Visitez Valls, vous serez sous le charme.
Capitale de la comarca (région) de l’Alt Camp, Valls s’annonce à l’horizon avec ses collines douces, son torrent encaissé et ses trois clochers. Elle s’élève au pied de la Serra de Miramar qui culmine à 862 mètres. D’emblée ses rues étroites, aux balcons de fer forgé et aux larges porches, respirent le sud. Les terres de l’Ebre sont proches, annoncées dans les ocres sombres des façades, dans les galeries voûtées qui bordent les places, dans l’accent aussi, avec ses formes orientales et chantantes.
De profondes racines
Si le territoire est peuplé depuis la préhistoire comme l’atteste le gisement des Masmolets à Picamoixons, la localité voisine, la première occurrence remonte à la première moitié du XIIe siècle, après la reconquête et la défaite des Sarrasins, date de la construction de l‘église paroissiale. Mais la célébrité ne fait que commencer pour cette petite ville qui compte aujourd’hui 25 000 habitants, car, à sa manière, elle collectionne les records.
Toujours plus haut
D’abord, Valls est le berceau des castells, reconnus depuis 2010 patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO, et découverts par le monde entier, lors de la fabuleuse cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Barcelone en 1992. Cette tradition de tours humaines, probablement inventée lors des processions religieuses au début du XVIIIe siècle, est si importante à Valls qu’elle a structuré et structure encore en grande partie la vie sociale. De toute éternité, il y a eu à Valls deux colles castelleres : celle des Pagesos (paysans) aujourd’hui « Colla Vella dels Xiquets de Valls », et celle des menestrals , aujourd’hui « Colla Jove dels Xiquets de Valls ». Et ces deux colles rivales ont toujours repoussé l’exploit physique jusqu’à être capables de monter 9 étages de quatre castellers soit la hauteur d’un immeuble de 10 étages ! La Plaça del Blat, devant la mairie, est ainsi devenue l’arène mondiale des castells : tous les ans s’y retrouvent les colles du monde entier, notamment lors de la Sainte Ursule (21 octobre) qui marque la fin d’une saison débutée pour la Saint Jean (24 juin). Chaque colla possède son propre siège et bien sûr, ses adhérents.
Rendez-vous en 2021
Tous les dix ans depuis 1791, donc toutes les années qui se terminent par 1, la ville casse sa tirelire et n’hésite pas à dépenser 3 millions d’euros pour les fêtes décennales de la Mare de Deu de la Candela, la vierge protectrice de la ville qui aurait sauvé les habitants pendant la grande peste de 1338. Une somme absolument énorme pour cette petite ville agricole qui possède encore un vrai tissu ouvrier, grâce à sa zone industrielle. Pendant dix jours se succèdent expositions, illuminations, castells (avec des colles venues du monde entier), processions, concerts de carillon, spectacles de danse, de théâtre, sardanes, chorales… une programmation digne des plus grandes capitales, à laquelle participent tous les citoyens. Tous les ans cependant, la fête décline ses traditions mais de façon un peu plus modeste, du 28 janvier au 6 février.
Capitale gastronomique
Mais Valls est aussi une capitale d’un autre genre… celle des calçots. Avec leur sauce façon romesco, délicatement parfumée au poivron, ces oignons qui ressemblent à de jeunes poireaux ont donné lieu à un véritable folklore : non seulement on les grille aux sarments de façon rituelle et codée, mais en plus on les déguste – y compris dans les restaurants – armés de grandes serviettes spéciales destinées à prévenir les coulées intempestives de sauce ! La municipalité se bat aujourd’hui pour créer une Appellation d’Origine Contrôlée, d’autant que la production purement locale est loin de couvrir les besoins et la demande, en croissance exponentielle.
Berceau des mossos
Comme si ces deux apports majeurs à la culture catalane ne suffisaient pas, Valls est également à l’origine du corps des « Mossos d’Esquadra », la force civile la plus ancienne d’Europe, créée en 1721 par le gouverneur de Tarragone en résidence à Valls, et aujourd’hui police officielle de la Generalitat de Catalunya. Décidément, Valls est la ville de tous les records. Mais elle reste, surtout et avant tout, un joyau patrimonial, contrasté et vivant.
Comme au Moyen Age
Derrière l’église s’ouvre un quartier de venelles pentues qui ont visiblement gardé leur plan médiéval : c’est l’ancien call juif où aurait vécu une centaine de familles, à quelques dizaines de mètres de l’église. Partout, des fontaines nichées au creux de minuscules places rappellent que la cité recueille les eaux des montagnes voisines. Depuis 1210, Valls a été décrétée ville de marchés par le roi Pere le Catholique et la tradition perdure. De petits producteurs viennent vendre chaque semaine les produits de leurs vergers et de leurs potagers. Malgré le froid hivernal, en ce mercredi les étals sont pleins et la foule au rendez-vous. Authenticité garantie.
Une ville à vivre
L’église Sant Joan, gothique et baroque, mais partiellement détruite pendant la guerre d’Espagne, comme une grande partie du patrimoine religieux, reste remarquable pour sa chapelle des douleurs et celle de la star locale, la Vierge de la Chandelle ! Dans l’entrée, quatre femmes, dont deux très âgées, assises sur des chaises basses, récitent des prières à haute voix et à l’unisson : de quoi avoir l’impression d’un retour en arrière saisissant ! La rue principale, entourée de boutiques design et de bars chaleureux, va de l’église au « Patí », l’ancienne place d’armes du palais de l’archevêque de Tarragone, bordée de bâtiments modernistes, notamment un ancien cinéma signé Cèsar Martinell. La place abrite aujourd’hui une fontaine noucentiste signée Esteve Monegal « dona que es pentina » (femme se coiffant). Entre les deux, coincée entre deux maisons, s’ouvre juste pour nous la capella del roser qui recèle un véritable trésor : une mosaïque murale du XVIIe représentant la victoire des Chrétiens sur les Ottomans à Lepante. Une merveille.
L’histoire pour guide
De retour sur la plaça du blat, nous visitons une curiosité locale, l’abri antiaérien construit pendant la guerre, car Valls se trouvait juste à l’arrière de la pire bataille de la guerre d’Espagne, la bataille de l’Ebre, dont l‘issue fut fatale aux Républicains et marqua le début de l‘exode. L’occasion de découvrir un mini-musée consacré à ce conflit, de 1936 à 1975, date de la mort de Franco, et un dédale de galeries dont seulement 40% ont été dégagés.
Record de hauteur
Peut-être inspiré par le vertige des castells, le clocher de Valls se visite : il s’élève à 74 mètres ce qui fait de lui le plus haut de Catalogne et un mirador incomparable sur la Costa Daurada et les montagnes de la Prada mais aussi, un haut lieu de la varappe ! Bien abrité dans la tour se trouve encore l’ancien mécanisme du carillon (1897), aujourd’hui remplacé par une réplique électrique et automatisée. Pour reprendre notre souffle, rien de tel qu’une halte au café voisin, un grand café comme il en existait dans les années cinquante et où le temps semble s’être arrêté avec les vieux qui jouent à la « brisca » (jeu de cartes catalan).
Des citoyens illustres
Le premier étage de la mairie, un joli hôtel du XVIe siècle remanié au XVIIIe, abrite la galerie des illustres citoyens de Valls, parmi lesquels le grand peintre gothique Jaume Huguet (1412-1492), l’architecte moderniste Cèsar Martinell (1888-1973), ou encore l‘immense photographe Francesc Català Roca (1922-1998). Tout près d’eux, comme pour signifier qu’ici grande culture et culture populaire se conjuguent et se complètent, l’Aliga Gégant (aigle) du bestiaire de Valls trône dans le hall. Cette fidélité aux racines continue au Musée où se déroule un hommage à un grand peintre contemporain local, Pere Queralt. Il ne fait aucun doute qu’ici, on est fier d’être vallenc. Le reste des collections du musée (plus de 1 000 pièces essentiellement modernistes et noucentistes) fait une large place à la création locale.
Conviviale et authentique
Avant de quitter cette ville décidément chaleureuse, nous faisons halte dans un café très atypique où se pressent clients du marché et étudiants. Il s’agit d’un sous-sol voûté orné de céramiques : les gens y lisent la presse tranquillement en buvant l’excellent vin de l’Alt Camp. Rien de plus facile que de lier connaissance. Tout le monde vous le dira dès la première phrase, Valls est le berceau de trois éléments marquants de l’identité catalane, les castells, les calçots et les mossos. Qu’on se le dise !
LES CASTELLS POUR LES NULS
Le monde des castells ressemble souvent pour les non initiés à un exercice de déchiffrage. Si le geste des castellers est magnifique, il reste souvent obscur. Voici quelques éclaircissements. La base d’un castell, formée de plusieurs dizaines de personnes arc-boutées les unes sur les autres, s’appelle la pinya, d‘où l‘expression « fer pinya » soit « se serrer les coudes ». Mais un castell peut être monté « amb folre » ou « net ». Dans le premier cas se rajoute un premier étage humain de renforcement de l’édifice, et l’élévation s’en trouve facilitée. Dans le deuxième cas, le plus ardu, seule la pinya soutient l’ensemble.
Un « 3 de 9 » se lit de la façon suivante : 9 étages de 3 castellers ; un « 4 de 8 », 8 étages de 4 castellers. Le tout est surmonté par le « pom de dalt » (bouquet du haut) composé d’une paire de dosos (porteurs) qui ont généralement de 9 à 14 ans, c’est-à-dire assez forts pour porter les deux enfants qui couronnent le castell et assez légers pour monter très haut, d’un aixecador ou acotxador (éleveur) qui s’accroupit sur les épaules des deux précédents et enfin d’un enxaneta, qui monte sur l‘aixecador. Lorsqu’il lève le bras on dit qu’il fait l’aleta (la petite aile) et le castell est alors validé. La tradition castellera a connu, du fait de sa puissante composante identitaire, une très forte résurgence dans les années 80 et s’est étendue à la totalité des Paisos Catalans. Valls en demeure le berceau et la capitale incontestée.
Moixons
Savez-vous que ce terme désigne tout simplement dans tout le sud de la Catalogne, les oiseaux et s’avère donc un synonyme exact de « ocells » ? Cela laisse rêveur sur les hasards dialectaux de la langue catalane quand on imagine qu’à Mallorca et dans toutes les Baléares, un moix (prononcer mouch) désigne un… chat !
Cathédrale du vin de Nulles
Nous sommes en plein pays des cathédrales du vin, ces caves modernistes dessinées par les plus grands architectes. Ne manquez pas la cave coopérative de Nulles, due au crayon de Cèsar Martinell, une merveille ! Et tant que vous y êtes, ne ratez pas le cava, médaille d’or à Bruxelles, un délice qui tient la dragée haute à beaucoup de champagnes.
Mariage princier
En 1229, l’infant Pierre du Portugal a épousé à Valls la comtesse d’Urgell, en présence du grand roi Jaume Ier et de toute la cour du comte-roi. A la mort de son épouse, il échangera ses terres d’Urgell dont il est l’héritier, contre celles de Majorque, avant de devenir l’un des plus grands connaisseurs du monde islamique de son temps.
Notre Dame de la Chandelle
Après la deuxième peste de 1333, la quasi-totalité de la population de Valls est décimée. Selon la légende, l’évêque trouve près de la ville une statue de la vierge, une merveille de facture gothique qui fut malheureusement détruite en 1936, au début de la guerre. Mais quelques fragments ont pu être récupérés et en 1940, le sculpteur barcelonais Veciana a procédé à sa restauration.
Eléonore d’Aragon 1386
Fille de l’infant d’Aragon et de Jeanne de Foix, épouse du roi de Chypre, puis régente de ce royaume au nom de son fils, elle revint de Jérusalem en 1382 et choisit d’installer sa cour et sa suite avec tout l’apparat et le faste dû à une souveraine liée aux plus grandes familles d’Europe, dans la petite ville de Valls où elle mena grand train, avant de mourir à Barcelone en 1414.
Bataille de Valls
La bataille de Valls, également connue sous le nom de bataille du Pont de Goi, a eu lieu le 15 février 1809, lors de la conquête napoléonienne de triste mémoire dans la péninsule ibérique. Elle opposait les forces du maréchal d’Empire Louis de Gouvion Saint Cyr aux forces espagnoles du général Suisse Teodor Reding et se solda par une cuisante défaite des Espagnols.
Espaces de la bataille de l’Ebre
L’abri antiaérien de Valls fait partie d’un itinéraire culturel qui relie les hauts lieux de la bataille, des centres d’interprétation et de mémoire, des musées, des tranchées, des miradors, disséminés dans la totalité du Tarragonais… de quoi partager le quotidien des soldats et comprendre les enjeux réels de cette grande préfiguration de la deuxième guerre mondiale.
Bibliothèque Populaire de Valls
Ce fut la première bibliothèque populaire créée par la Mancomunitat Catalane en 1918. Œuvre de l’architecte Lluis Planas, cet édifice moderniste s’inscrit dans l’idéologie noucentiste qui veut que les bibliothèques soient des temples de la culture ouverts à tous. En attendant sa restauration complète, les 28 000 volumes ont été transférés à la maison de la Culture.
Musée casteller
C’est le grand projet dont parlent tous les vallencs. Le hic : il coûte 15 millions d’euros. En pleine crise, c’est beaucoup. Pourtant, gageons que la ville va réussir à se doter de son musée casteller, prévu en plein centre-ville, avec 3000 m² dédiés à l’histoire et à la sociologie des castells. Encore un fleuron en perspective pour Valls, capitale de tous les possibles.
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