14 Nov Roser Vilardell : Ripoll chevillée au coeur
Menue et infiniment vivante, Roser Vilardell remplit une mission de toute première importance qui est pour elle davantage qu’un métier, plutôt une vocation : c’est sur elle que reposent en effet, en grande partie, l’image culturelle de Ripoll et son attractivité touristique.
Cap Catalogne : Bonjour Roser. Alors dites-m’en plus sur vos fonctions exactes. Nous nous trouvons au musée ethnographique, le premier du genre jamais créé en Catalogne au début du siècle dernier… Depuis, il a fait des petits…
Oui, il vient de rouvrir après des années de restructuration, dix pour être exact. Je suis très heureuse d’y travailler, d’en être aujourd’hui la responsable, et d‘avoir contribué à sa lente résurrection. Il est évident pour tout le monde de nos jours que l’identité d’une terre passe par sa culture traditionnelle. Par les outils utilisés par les paysans, par les chansonniers, par la configuration de l’habitat. Un peu partout on trouve maintenant des écomusées. Mais ce n’était pas aussi clair il y a cent ans, loin de là ! Il y a cent ans, personne ne voyait pourquoi décrire la vie de tous les jours ou garder un outil ancien, c’était la course vers le progrès. Ici, nous avons été précurseurs. Des pionniers ont considéré que la vie des paysans était un sujet d’étude et d’intérêt. Ils ont inlassablement collecté, amassé, analysé. Ils ont anticipé les changements à venir, en préservant la mémoire collective. Au départ, ce musée s’appelait le Musée Folklorique de Ripoll, c’était en 1929 et il était alors installé dans les combles de l’église Saint Pierre. Vous voyez, aujourd’hui il a déménagé et il dispose d‘un espace digne de ses collections.
Cap Catalogne : Justement, qu’y trouve-t-on ?
Tout ce qui a trait à la vie ici, qu’il s’agisse de la vie paysanne, des outils, du rapport au sacré, des débuts de l’ère industrielle avec les textiles et les armes à feu, tout ce qui intéresse la vie quotidienne des gens du Ripollès, au fil des siècles et qui a fini par dessiner une certaine façon d’être, une mentalité.
Cap Catalogne : Et pourquoi ici, à Ripoll ?
Ici en fait, tout vient d’une certaine façon du monastère. C’est parce que nous avons eu Santa Maria et des gens pour s’y intéresser et se passionner, des gens pour comprendre le rôle essentiel de notre cité dans l’Europe médiévale, des gens pour entamer la restauration de ce qui était une ruine sublime, mais une ruine quand même, que le balancier a pu repartir dans l’autre sens, vers les cultures populaires. C’est dans cet équilibre-là que se situe la vérité d’un territoire, son génie propre, j‘en suis fermement convaincue. Nous avons été un peu en avance, c’est tout, en mettant au même niveau, culture savante et traditions populaires. Et franchement, l’avenir nous a donné raison, car aujourd’hui cette dualité prend tout son sens.
Cap Catalogne : Oui, bien sûr, Ripoll est un haut lieu du Moyen-âge catalan…
Oui, on peut presque dire que la Catalogne est née dans les monastères, et a essentiellement rayonné à partir d‘ici. A cet égard, le Scriptorium dont je m’occupe également dans le cadre de ma mission globale, est un patrimoine inestimable pour la culture européenne. C’était un centre de pensée, de traduction, d’écriture et de théologie très important, avec de grandes figures comme l’Abat Oliba que nous avons partagé avec Vic et Cuixà. On a du mal à imaginer aujourd’hui l’immense prestige dont jouissait Santa Maria, sa puissance aussi. Et puis évidemment, il y a le joyau roman dont on découvre encore des pans jusque-là inconnus. Un miracle d’architecture, une bible de pierre qui éclaire les hommes depuis des siècles. On ne peut pas côtoyer tant de beauté sans en être marqué.
Cap Catalogne : Il y a donc à Ripoll le monastère, le scriptorium, le musée ethnographique et la forge ? Le tout exploité par la municipalité ?
Non, le monastère appartient à l’évêché de Vic et c‘est lui qui l‘exploite, mais c‘est indéniablement la locomotive culturelle de la ville. La municipalité a préféré ne pas choisir entre son passé pastoral, son passé monastique et son passé industriel, et je crois que c’est ce qui fait la force de notre action. Ce sont trois facettes essentielles de notre identité. Sans le travail du fer, sans la fabrication des armes, on ne comprend rien au Ripoll des XIXe et XXe siècles et à sa population laborieuse. Sans le Scriptorium, impossible de faire parler les pierres. Et sans le musée dans lequel nous nous trouvons, que saurions-nous de la vie des gens d’ici il y a cent cinquante ans. Vous voyez, tout est important.
Cap Catalogne : En fait, c’est cette identité plurielle et singulière qui fait l’attrait touristique de Ripoll ?
Pas seulement. Il y a le cadre, la nature, les montagnes. Justement, c’est ce cadre naturel qui nous fait comprendre qu’il y a eu une accélération exponentielle. Les choses sont restées sensiblement les mêmes pendant des siècles : les maisons de pierre et les troupeaux de brebis, la transhumance et de pauvres cultures. Et puis, avec l’industrialisation, l’électricité, l’exode rural, les routes surtout, c’est tout un monde qui a disparu, je devrais dire qui a sombré, tant cela a été brutal. Aujourd’hui subsistent quelques exploitations avec leurs troupeaux de brebis. Mais le monde d’antan, celui des petits métiers et de l’entraide montagnarde n’est plus. Nous tentons d’en conserver les traces matérielles et immatérielles pour les donner à voir aux générations futures, pour qu’elles sachent d’où elles viennent.
Cap Catalogne : Et ce patrimoine est spécifique de Ripoll ?
Non, cela va beaucoup plus loin. Disons qu’il est spécifique des Pyrénées. Il y a certes des mots différents d’un dialecte à l’autre, mais ils désignent les mêmes choses. Ce qui est valable pour le Ripollès l’est aussi pour la Garrotxa ou l’Alta Garrotxa.
Cap Catalogne : Ou le Vallespir…
Oui, c’est vrai. Finalement, c’est la même chose. Le glorieux passé roman avec ses monuments, le travail dur des paysans éreintés par les cultures et l’élevage et puis le fer et le textile au siècle dernier. Ripoll raconte à lui seul une histoire commune. C’est de ce creuset que nous venons. C’est pourquoi nous accordons une importance toute particulière aux visites des scolaires dans les trois musées. C’est là que ça commence vraiment…
Cap Catalogne : Ces visites, vous y participez ?
Il m’arrive de faire l’accueil et les visites, tout en menant de front mon rôle de conservateur. Je suis aidée par beaucoup de bénévoles compétents et dévoués, j’ai beaucoup de chance car beaucoup de gens se passionnent pour notre patrimoine et veulent le préserver.
Cap Catalogne : Vous êtes vous-même très passionnée, non ?
J’ai travaillé à la naissance du Scriptorium, puis à la renaissance du musée ethnographique et de ses collections. Je travaille en étroite collaboration avec les responsables de la forge. Bien sûr, les subventions se raréfient, la ville porte de plus en plus seule le poids de cet héritage magnifique. Mais oui, je suis passionnée, c’est un prérequis dans ce genre de travail, vous savez. Ça et la curiosité. Et franchement, après tout ce temps, ma curiosité est intacte. Je dirais même de plus en plus forte.
C’est de passion et de curiosité que Ripoll a besoin, alors j‘apporte ma modeste pierre. Pour notre première année d’exploitation, entre avril et décembre nous avons eu 12 000 visiteurs. C’est un bon début. Je suis très confiante parce que je sais que les gens sont en quête de racines et de sens. Donner du sens, finalement c’est ma mission première. Donner du sens et faire aimer Ripoll.
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