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06 Fév La cuisine catalane, entre tradition… et excellence
Entre influences romaines, arabes, juives et orientales, la cuisine catalane s’est enrichie au fil des siècles, devenant une véritable référence gastronomique. Des manuscrits anciens tels que le Livre de Sent Soví ou le Livre de Coch aux chefs étoilés d’aujourd’hui, elle raconte une histoire riche et savoureuse. Grâce à ses produits d’exception et à son art des accords mets-vins, la Catalogne est désormais reconnue comme « Région Mondiale de la Gastronomie 2025 », une consécration méritée pour cette terre où tradition et innovation culinaire se rencontrent harmonieusement.
Entrer dans la cuisine catalane, c’est entreprendre un voyage fascinant dans le passé de la Méditerranée, plonger dans l’histoire des circulations des marchandises et des savoir-faire humains, dans celle des plantes endogènes, des épices nomades, des espèces animales indigènes ou importées, et des techniques de conservation. Les influences se croisent : romaines, berbères, juives, orientales, imposant des alliances subtiles d’aigre-doux et de salé-sucré, consacrant les noces des fruits avec la viande et le poisson, couronnant la majesté des fruits secs et de l’huile d’olive. On découvre, par exemple, que la cerise est venue de Chine avant de devenir emblématique de Céret, et que la tomate n’est arrivée qu’au XVIe siècle, mais quelle intégration magistrale ! Le grand Josep Pla écrivait : « Un plat, c’est un paysage dans l’assiette ». C’est aussi des millénaires d’Histoire portés par des saveurs qui invitent volontiers à d’autres horizons. Tout commence, bien sûr, par un solide héritage romain. À l’époque, le légume préféré des classes patriciennes est… la fève, réputée porter bonheur. N’est-elle pas encore aujourd’hui la part de magie des tourteaux de l’Épiphanie ? Les Romains consomment également du chou, du céleri, des navets, des artichauts et des céréales, notamment le blé noir, avec lequel ils confectionnent le pain, ainsi que de grandes quantités d’olives, d’huile d’olive et d’amandes. Le poisson bleu est la ressource animale la plus courante et nos ancêtres ne sont pas avares en épices et aromates : thym, persil, menthe, poivre, moutarde, gingembre, sésame, coriandre, cardamome, safran et anis parfument des recettes que vient adoucir le miel. Autant dire que les bases sont déjà posées pour le célèbre régime crétois, remis à la mode par l’obsession de la minceur dans les magazines féminins ! Pour relever les saveurs, car tout ou presque est grillé ou cuit à l’eau, les Romains disposent d’un atout : le garum, une sorte de nuoc-mâm fabriqué à partir de tripes de poisson fermentées, de vin, de vinaigre, de poivre, d’huile et d’eau. Un véritable condiment-roi. Sachez également que les Romains buvaient déjà du vin, de la bière et de l’hydromel. Si nos ancêtres ibères connaissaient aussi ces trois boissons, il leur revient le mérite de les avoir portées à une excellence précoce. C’est au Moyen-Âge que cet héritage culinaire explose, avec une singularité marquée qui individualise déjà la cuisine catalane. Cette évolution est en grande partie due à un manuscrit issu des cuisines du roi de Naples : le « Livre de Sent Soví », une compilation de près de 200 recettes réalisée en 1324, reflétant une forte influence romaine, arabe et juive. On y trouve des rôtis, des soupes, des desserts, mais aussi une cinquantaine de recettes de poissons, crustacés et mollusques, incluant trois manières de les préparer en escabèche. Côté viandes, la cuisine de l’époque n’est pas très différente de celle d’aujourd’hui : on y retrouve du veau, du mouton, du cabri, du lapin, ainsi que des volailles et du gibier. Le porc est utilisé pour préparer de savoureuses salaisons. Le lait de chèvre ou de vache accompagne souvent des desserts ou des fromages sucrés, où les amandes occupent une place importante. Notons que le marqueur actuel des sauces catalanes, la « picada » – mélange de fruits secs hachés et d’aromates – est déjà présent, bien qu’il ne soit jamais mentionné sous ce nom. Le ou les rédacteurs du manuscrit connaissent également les beignets, ainsi que des ingrédients tels que l’aubergine, les pois chiches ou les asperges, encore inconnus à l’époque en Occitanie.
Une cuisine aux racines millénaires
Pour mariner les viandes, on utilise du cidre, de l’eau de rose ou du jus d’orange amère. Plus surprenant, le safran reste l’épice dominante, mais la cannelle et le gingembre sont aussi employés. Pour obtenir les consistances désirées, le mortier est un outil incontournable. Deux copies de ce fabuleux manuscrit existent et sont respectivement conservées à Valence et à Barcelone. Notons pour l’anecdote que beaucoup des tournures employées sont clairement du nord de la Catalogne, sinon de Catalogne-nord. Deux siècles plus tard en 1520 parait le « livre de Coch » signé par Robert de Nola, écrit, lui aussi en catalan, sous le titre « Lybre de doctrina pera ben servir de tallar y del art de coch. Ço es de qualseuol manera de potatges y salses compost per lo diligent mestre Robert, coch del Serenissimo Senyor Don Ferrando, Rey de Napols ». (Le livre de doctrine pour savoir bien servir, découper et sur l’art de cuisinier. C’est à-dire toutes les façons de faire des potages et des sauces écrit par le diligent maître Robert, cuisinier du Sérénissime Seigneur Don Fernand, Roi de Naples).
Gastronomie et innovation
C’est tout simplement le premier livre de cuisine jamais imprimé et il confirme pour une large part les recettes de son prédécesseur. Entre-temps, la tomate a fait son apparition et une bulle papale de 1491 autorise les chrétiens à consommer œufs et lait pendant le Carême. Les fondamentaux de cette cuisine méditerranéenne singulière sont posés et confirmés en 1835 avec un livre anonyme qui devient vite un best-seller « la Cuynera Catalana ». Le XXe siècle verra l’avènement de grands chefs comme Josep Mercader au Motel Empordà, Santi Santamaria au Racó de Can Fabes ou encore de Ferran Adrià au restaurant El Bulli, suivis d’une pléiade de chefs étoilés faisant de la Catalogne la nation sans État la plus étoilée du monde. Longtemps formés sur les fourneaux des grands chefs français, ces talents catalans sont aujourd’hui une source de formation et d’inspiration à l’échelle internationale. Ajoutons à cela les merveilles des onze appellations d’origine contrôlée catalanes, le savoir-faire de leurs œnologues, l’utilisation judicieuse des cépages autochtones et le soin constant apporté aux accords mets-vins, des bières artisanales de haut vol, des spiritueux remarquables (eau-de-vie, whisky, rhum, sakés), des liqueurs savoureuses (ratafias), des eaux minérales plates ou gazeuses frappées au sceau du qualitatif.Voilà pourquoi la Catalogne a été désignée Région Mondiale de la Gastronomie 2025, un titre amplement mérité.
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