01 Sep Priorat, le nouvel eldorado du vin
C’est un pays de collines, de petits villages isolés, de routes sinueuses, de plateaux arides et d’une lumière blanche. Le Priorat, canton de l’arrière-pays de Tarragona est, selon tout amateur de vin qui se respecte, béni des dieux. Le climat, le terroir en ont fait une référence internationale. Depuis deux décennies, les caves ultra modernes poussent comme des champignons et pas une terrasse, aussi étroite soit-elle, ne reste inexploitée. Balade au pays du vin avec un grand “V”.
A près de trois heures de route de Perpignan, les éoliennes qui moulinent l’air venu de la mer, sont le signal d’arrivée, la porte d’entrée sur le Priorat. Depuis la route de Reus, elles se distinguent enfin, tout là-haut, immenses moulins blancs, sur la ligne de crête. On pique sur la droite, quittant la route des Terres de l’Ebre. Une fois passé le col Negre, la splendeur d’une région différente de tout ce que l’on connaissait jusqu’ici de la Catalogne nous saute aux yeux. Ce sont des collines qui plongent dans des vallées étroites, formant des cuvettes. Des villages ocre qui se blottissent en leur creux ou s’accrochent sur leurs flancs. Et, surtout, la vigne, qui s’épanouit ici comme du côté de Banyuls-sur-Mer ou de Collioure. Des « feixes » (terrasses) de pas plus d’un mètre de large parfois, ciselant les coteaux, formant des lignes rarement parallèles. Pas un espace qui soit exempt de vigne. D’emblée, le constat saute aux yeux : au Priorat, le vin est roi. Cet univers à part se découvre « poc a poc » (petit à petit). Depuis le col Negre, une petite route descend vers le village de Porrera. Le vent tourne, de gros nuages blancs filent à toute allure dans un ciel bleu vif. Sur le côté, une bergerie est abandonnée au milieu des chênes verts.
Le village de Lluis Llach
Le village se distingue enfin, blotti au creux des collines. Porrera, malgré sa petite taille, est l’une des localités les plus célèbres de la région. C’est ici que vit Lluis Llach. Le chanteur préféré des Catalans est d’ailleurs aussi un acteur vinicole. Sur la place du village, tout sommeille. Seule une boutique de vins sans prétention est ouverte. Passé un petit pont, la cave du célèbre Lluis s’impose, magnifique bâtiment ancien restauré dans l’amour de l’art. « Celler Vall Llach », lit-on sur la façade. Derrière une étagère sur laquelle trône un prix, le « Critics’ Choice Award » de New York, s’élèvent des bribes de conversation. La représentante de clients chinois semble négocier dur. La réunion s’achève, et c’est Salus Alvarez, le gérant des lieux, qui s’avance pour nous accueillir. « Vall Llach », nous explique Salus, « c’est d’abord une histoire d’amitié de toujours, entre le chanteur et son associé, un notaire lui aussi originaire du village, Enric Costa ». Contre toute attente, cette aventure-là n’est pas celle de passionnés de vin. Lluis Llach n’est pas un amateur, il ne boit d’ailleurs pas d’alcool. « Leur projet était social », raconte Salus.
« Du sérieux, de la philosophie, du travail, de l’honnêteté »
Dans les années 1990, la crise agricole était très forte. Deux inondations avaient notamment fait beaucoup de mal à l’agriculture. Ils se sont dit : « Que pouvons-nous faire, en collaboration, pour aider les gens d’ici ? Nous allons planter des vignes. Comment faire un grand vin ? Avec du sérieux, de la philosophie, du travail, de l’honnêteté. Alors, on va se risquer à faire un grand vin si ce sont les conditions », se sont-ils dit. En 1998, le premier vin était produit. Dans la maison de village transformée en cave de vinification, des dizaines de barriques sont alignées dans de superbes salles voûtées, sur plusieurs étages. Une cave pas comme les autres, qui a coûté plus cher qu’une simple construction, mais c’était là tout l’esprit du projet : être au cœur du village. Un village que l’on découvre d’en haut, depuis le toit-terrasse. Derrière les dernières maisons, les premières vignes de « Vall Llach » se laissent apercevoir : 92 hectares, répartis, tel un puzzle, en 17 parcelles différentes. En bons investisseurs, Lluis Llach et son ami Enric Costa ont donné à Porrera ses lettres de noblesse dans le domaine très select du vin, en s’entourant de professionnels. Le « Celler Vall Llach » emploie aujourd’hui 14 personnes à l’année, jusqu’à 24 pendant les grands rushs. Il est devenu la principale attraction dans ce village de 400 habitants.
Litus, bible du vin
De la magie du vin, Litus, qui tient un restaurant voisin, « la Cooperativa », parle mieux que personne. Ce Barcelonais installé ici avec sa femme, Mia, pratique une cuisine du jour basée sur des produits locaux et un goût indéniable pour la bonne chère. Cuisine qu’il arrose volontiers de bon vin. Même son « vi de la casa » est on ne peut plus honorable. L’engager sur la question de l’œnologie revient à découvrir, sans même avoir besoin de tremper les lèvres dans le breuvage sacré, une palette insoupçonnée de saveurs, de fraîcheur, de finesse. Des cuvées de chaque vigneron, des cépages utilisés, il connaît à peu près tout. Litus aurait pu écrire un guide des vins du Priorat, au lieu de quoi, il vous raconte, avec passion, « sa » vérité. Entre une délicieuse pièce de veau, arrosée d’un filet d’huile d’olive et de gros sel et une part de clafoutis, il nous livre ses préférences. « Je suis très fan du ” Clos Erasmus “, très mature, de ” Nit de nin “, plus frais, en biodynamie ». Puis Litus prévient. « Si nous parlons de vins, vous devrions parler de zones. Il y a les zones chaudes, plus fraîches, influencées par la mer. Cela joue beaucoup sur la variété de vins ». Litus et sa femme Mia ont d’ailleurs quelque 200 références dans leur restaurant. Sur les étagères, ses plus belles bouteilles (déjà bues) sont exposées. Lorsqu’on l’interroge sur le prix élevé du vin du Priorat, il plaide avec passion : « Ici, on travaille le vin à la main. C’est normal que ce travail fasse vivre. Avant les gens allaient à pied, aujourd’hui ils peuvent s’acheter une voiture. C’est digne ». Nous quittons le village de Llach vers le nord.
Actionnaires célèbres et passionnés de vin
La route dessine virage sur virage et grimpe jusqu’au col de Porrera, à 531 m d’altitude. Elle passe près d’un centre de vinification moderne, tout en rectangles. Passé le col, la Serra de Montsant s’étire dans toute sa splendeur, remplissant l’espace. Cette magnifique barrière rocheuse, coiffée d’un plateau aride, abrite à ses pieds, des coteaux de toute beauté, que seul le vent vient perturber. La route domine le Mas Perinet, connu pour compter, parmi ses actionnaires, le chanteur Joan Manuel Serrat, véritable star dans toute l’Espagne. Passés le village de Poboleda et les champs d’amandiers voisins, on parvient à la « Cartoixa d’Escaladei », la « Chartreuse d’Escaladei », berceau du canton du Priorat. Ces bâtisses, construites dès le XIIe siècle par des moines chartreux originaires de Provence, portent toute l’honorabilité de leur grand âge. « Le Celler de Criança », beau bâtiment frais aux immenses colonnes, fut fondé en 1840 par la famille qui acheta la Cartoixa. En 1878, ce vin monta à l’Exposition Universelle de Paris. Au bout d’une piste, se trouve une cave autrement plus moderne. Immense bâtisse d’architecte que ce « Celler de La Conreria D’Scala Dei ». A l’accueil, trônent des prix à la pelle. La cuvée « Les Brugueres », visiblement d’un excellent rapport qualité-prix (13 €, c’est correct pour du Priorat !), a obtenu un 92/100 dans le très vénérable guide Robert Parker’s Wine Advocate. Le « Iugiter » 2006 a décroché la médaille d’or au concours mondial de Bruxelles, le 2007 l’argent. Et ainsi de suite. Tandis que deux employés nettoient de grandes cuves en inox, Jordi Vidal Pardenilla, l’un des responsables des lieux, nous livre l’esprit du cellier… Et du vin. « La Conreria » compte pas moins de 21 associés, artistes, agences immobilières ou encore architectes, des investisseurs passionnés de bon vin. Ici, « on ne peut pas avoir beaucoup de production, mais elle est de qualité » précise Jordi.
Vendanges à la main
C’est, en fait, tout l’esprit du Priorat qu’il raconte, en ouvrant une grande porte sur les terrasses étroites de la colline d’en face. « Impossible de vendanger avec des machines, on fait tout à la main ». Les vendanges sont faites avec un soin exceptionnel. « Sur un hectare de vigne, on va peut-être récolter cinq fois ! Il faut compter deux mois et demi pour vendanger ! ». Souhaitant surfer sur la vague haut de gamme, la Conreria porte un projet, pour l’instant au point mort, d’hôtel-restaurant axé sur l’œnotourisme. Plus étonnant, la cave loue ses espaces de stockage. Une façon de rentabiliser aussi, un peu, cet immense investissement. Les petites caves se trouvent aux sous-sols. Des casiers, qu’obtiennent pour 500 € par an, de riches amateurs de vins et autres sociétés régionales ou multinationales. Une plaque fixée au mur recense tous ces heureux propriétaires. On y trouve le troisième fabricant mondial de portes d’ascenseurs, aux côtés d’un journal régional. Les locataires ont ainsi l’assurance de voir vieillir leurs bouteilles préférées dans de bonnes conditions et ont droit, cerise sur le gâteau, à des prix sur les cuvées de la maison. La Conreria récolte 90 000 kg par an, pour une production de 80 000 bouteilles. Elle est, en quantité, la douzième cave du Priorat. Jordi explique alors l’immense bouleversement qu’a subi la région en deux décennies. « En 1997, il y avait 17 caves. Aujourd’hui, on en compte 96 ! Et 60% d’entre elles font moins de 30 000 bouteilles. Au total, on produit cinq millions de kilos de raisins dans le Priorat ».
« C’est la révolution du vin dans la région ! »
Production simple, mais aussi œnotourisme… Tous les champs des possibles sont offerts. Le canton, mourant voilà trente ans, trouve un deuxième souffle, que seuls les effets de la crise pourraient anéantir. Mais pour l’heure, beaucoup veulent y croire encore. « On a des Sud-Africains, des Italiens, des Français, des Californiens, des Belges… Avec cette toute petite production, il y a beaucoup de cœur. C’est un grand bouillonnement. Chacun fait sa sauce. C’est bon pour la diversité des vins ». Jordi conclut : « grenache rouge, grenache blanc, merlot, syrah, carignan, cabernet,… C’est la révolution du vin dans la région ! ». Une révolution largement initiée par le Français René Barbier. Ce professionnel du vin originaire des Côtes-du-Rhône, qui s’est notamment formé en Bourgogne et à Bordeaux, s’y est installé dans les années 1980, flairant les capacités exceptionnelles de la région : un excellent terroir de schiste conjugué à un climat méditerranéen adouci d’entrées maritimes. Depuis, son « Clos Mogador », à Gratallops, a joué un rôle important dans la valorisation de toute la région vinicole. Chez les vignerons originaires de la région aussi, la révolution s’est effectuée. Exemple chez Salvador et Conxita, à Poboleda. Le « Celler Burgos-Porta » se gagne au terme d’une longue piste qui ondule dans les collines depuis le village. Aujourd’hui c’est le rush. Un camion est paré à repartir, chargé de bouteilles. Conxita a passé la nuit à les étiqueter. Les yeux cernés de sommeil, elle nous fait entrer dans sa cave, une belle bâtisse carrée en pierre.
Des pieds de vigne de soixante ans
« Les parents de Salvador étaient viticulteurs, ils portaient leurs raisins à la coopérative », explique-t-elle. « A partir de 2003, nous avons pensé à produire notre propre vin. Depuis 2005, nous l’élaborons comme nous voulons. Nous avons été parmi les premiers de Catalogne à reconvertir toute notre production en biologique. On parle directement avec le client, j’aime ce contact, c’est ma partie. Salvador, lui, est dans les vignes ». Conxita est issue d’une famille de commerçants de la ville de Reus. Ici, dans l’arrière-pays, elle a trouvé son pays de cœur. Elle pose un pied à l’extérieur et désigne du doigt une parcelle de vignes voisines. « Elles ont été plantées pour la naissance de mon mari. C’est un vin spécial qui a soixante ans ! ». Ainsi va l’histoire de la vigne et du vin au Priorat. Une affaire de passion, de terroir. L’histoire d’un renouveau inespéré, dans une région reculée. Le Priorat couvait d’incroyables capacités œnologiques, des hommes ont choisi de les porter haut, redessinant des paysages à coups d’étroites terrasses de vignes, de constructions de caves ultra-modernes. Mais, surtout, le renouveau du Priorat est le fruit d’une belle aventure humaine.
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