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Torreilles, ce film d’auteur…

30 Mai Torreilles, ce film d’auteur…

Les deux pieds dans l’eau, côté plage. La tête au cœur des pierres, côté village. Si le petit village de Torreilles est unique, c’est qu’il se raconte à la puissance deux ! Deux âmes, deux souffles. Entre dunes et clocher, au fil du Bourdigou, au gré de la tramontane, au son du jazz, Torreilles sent l’art et l’abricot. Et ses couchers de soleil ressemblent à des fins de film qu’on n’a pas envie de quitter.

Il y a des endroits qu’on ne trouve pas. Ce sont eux qui vous trouvent. Torreilles, c’est ce genre d’endroit qui met à l’envers. Un petit village catalan d’à peine 4000 habitants. Un « cœur d’artichaut » tranché en deux, entre village et plage. Pas forcément un décor parfait de carte postale, mais quelque chose de plus brut, plus vrai, plus subtil. Les dépliants touristiques parleront d’authenticité et de cachet. Il y a très certainement de ça, mais il y a surtout beaucoup plus… Et ce n’est pas un hasard si Torreilles est le seul village des Pyrénées-Orientales à avoir eu son « Monsieur Cinéma ». Il s’appelait Claude Blazy. En 1969, il remporte dix victoires d’affilée dans la célèbre émission télévisée de Pierre Tchernia. à sa retraite en 1988, l’ancien instituteur lance le festival « Tous yeux, tout Torreilles » qui rend la cité déjà « différente » des autres, bien avant la déferlante des macro-festivals du 66. Les grands noms de la chanson française ne s’y trompent pas. Torreilles sonne bien à l’oreille. De Georges Moustaki à Serge Lama, en passant par Michel Delpech, Pierre Bachelet, Hugues Aufray, Gérard Lenorman, Michel Jonasz, Louis Chedid, Olivia Ruiz et bien d’autres encore… Tous ont posé leur voix dans la cité de feu Monsieur Cinéma.

Torreilles, version originale

Et si Torreilles faisait aujourd’hui son cinéma, elle serait à n’en pas douter un film d’auteur. Un type de film qui privilégie la qualité à la quantité, et qui invite le spectateur-visiteur à une expérience introspective, parfois déroutante, mais toujours sincère. Où voulons-nous en venir ? On vous le concède : le rythme est lent pour entrer dans le vif du sujet. C’est le propre du cinéma d’auteur. Poser les ambiances, suivre les émotions. Pas de course-poursuite toutes les cinq minutes. Venez, approchez… À Torreilles, c’est comme si l’on filmait encore en caméra Super 8. Côté plage, c’est sable sauvage, ganivelles et dunes à perte de vue. Là, six paillotes pieds dans l’eau. Trempette, transat, tapas. Au sud, c’est plage naturiste et zone naturelle « Marende Petit », protégée par le Conservatoire du Littoral. Les textiles, eux, sont invités à vagabonder plus au nord. Façon Agnès Varda, dans des flashs de Nouvelle Vague, avec un faux air de Pointe Courte sétoise – sans les pêcheurs – à Torreilles-Plage, le temps marche pieds nus. Il file doucement le long du Bourdigou, ce petit cours d’eau parallèle à l’Agly, qui forme à son embouchure une zone humide remarquable, l’un des derniers espaces naturels préservés du littoral du Languedoc-Roussillon. Ici, l’arrière-dune est peuplée de yuccas, de figuiers de Barbarie, de griffes de sorcière… Véritable sanctuaire pour de nombreuses espèces, le cours d’eau du Bourdigou constitue un lien naturel de 4 km entre le village et le sud de la plage sauvage de Torreilles. Ce lieu envoûtant, marqué par l’absence totale de constructions, attire inévitablement les amoureux de nature et de liberté. Ce n’est donc pas un hasard si Torreilles voit fleurir ses premiers campings dans les années 1980. Parmi les plus anciens, le Trivoly, né en 1987. Ont suivi Les Dunes, le Calypso, le Marisol, Les Tropiques et La Palmeraie. Aujourd’hui, entre palmiers, piscines et engagement écologique, les campings de Torreilles, tous classés 4 ou 5 étoiles, incarnent l’alliance parfaite entre tradition et élégance durable. En matière de slow tourisme, Torreilles avait d’ailleurs déjà perçu les choses… « Différemment ».  À la fin des années 1970, le promoteur Merlin avait fait jaillir sur 33 ha sablonneux, plus de 640 pavillons d’un type aussi particulier que précurseur. Des enceintes circulaires, enfouies dans le sable et dissimulées par la végétation. Divisées en deux, entre intérieur et extérieur, avec une partie plus élevée face à la tramontane et plus basse face à la mer. Vu du ciel, le village de « camemberts » comme on les appelle, n’est autre qu’un exemple parfait d’urbanisme bioclimatique.

Plage, dunes et caméras Super 8

Ce « Village des Sables » est considéré en Europe comme une réalisation immobilière iconique en termes d’intégration environnementale. Tout en finesse, tout en symbiose, Torreilles ose. Son charme intemporel, loin des constructions modernes et impersonnelles se retrouve aussi en cœur de ville, au milieu des riches terres agricoles. à Torreilles-Village, chaque instant est une scène à part entière. En rafale et en plan serré, on passe de la Place Blasi et de ses mamies assises sur leur « pliant » à l’affût du « xipot », à la Baixarada, la rue des Tuileries vers laquelle on descend. Plus haut, le Torreilles médiéval et labyrinthique. Les galets de rivière roulent à fleur de façades, les briques rougeoient sous la lumière rasante du soir. Rue du Vallespir et son fer à cheval incrusté dans une vieille porte en bois. Rue de la Tramontane vue d’un sublime balcon en fonte du XIXe siècle . Rue de Llobet, agrumes et grille à cargolade dans le Patio des Miracles de l’inaltérable gîte de la « La Vieille Demeure ». Rue de la Panna, où la peinture d’un autre temps remplace la plaque de rue. Poésie de la simplicité et du raccourci. Comme l’écrivait l’illustre Claude Blazy, dans les ruelles étroites du cœur de Torreilles « On parle, on évoque, on bavarde, on papote. On y reconstitue comme un puzzle le fait du jour. On ajoute, on enlève, on certifie. On invective, on vérifie. On termine le scénario compliqué avec des bribes de vérité, un soupçon de fantaisie et beaucoup d’affirmations. Et des points d’interrogations ! »

Scènes de village et regards d’artistes

À Torreilles, tout interroge. Les vieux murs de marbre comme la figure de proue du début XXe siècle collée à la façade de l’indétrônable Bistroquet. à Torreilles, l’un parle rugby et artichaut, l’autre répond tramontane et abricot. à Torreilles, on aime toujours et encore passer du bon temps à la Maison Secall. Et dire que dans ce superbe restaurant-galerie se trouvait dès 1914, un café avec une salle d’honneur où bals et cinéma jouaient les rois ! Dans ce scénario entre histoire et modernité, l’Hôtel de Ville, à l’architecture roussillonnaise traditionnelle, défie du regard « le Cube » futuriste voisin. Véritable poumon culturel de la vie torreillanne, ce lieu multifacettes associe auditorium, salle de conférence et cinéma. à Torreilles, ça tourne toujours et encore. Avec le souci de l’esthétisme soigné du cinéma d’auteur. Les plans sont souvent travaillés comme des tableaux. Il n’est qu’à pousser la porte de la Maison Mosko sur la place Louis Blasi. Sidonie reçoit comme dans un film vintage, entre vieux linge, décor suranné-chic et créations upcyclées. Revisiter les choses, viser le simplement Beau. L’association « Pont des Arts » et « L’Auguste Galerie » viennent compléter le tableau. Toujours la grâce et la générosité en creux, Torreilles s’est offert son premier hôtel-spa 4 étoiles d’une élégance rare. Depuis juin 2025, la Maison Gaïa danse de pair avec son « frère de plage » le Maya Club, rapatrié au cœur des terres dans un esprit guinguette chic avec vue sur le Canigou. Vous l’aurez compris : en toute élégance et discrétion, Torreilles prêche naturellement pour sa chapelle. Et quelle chapelle que celle de Juhègues ! Trésor absolu du patrimoine catalan dont les premières traces remontent au XIe siècle, à l’époque où le site était connu sous le nom de « Villa Judaïca », suggérant la présence d’une communauté juive. Aujourd’hui, les moments forts de la vie torreillanne tels que l’Aplec de Pâques, les Floralies, les pèlerinages des Rameaux, le festival Jazz à Juhègues… Gravitent autour de la Chapelle romane de Juhègues. Dressée comme un secret sacré entre ciel et vignes. Romanesque, minérale, elle capte la lumière comme une offrande. Quand vient l’été, les pierres vibrent. Le jazz s’y glisse, voluptueux, cuivré, libre. Les notes rebondissent sous les arcades. À Juhègues, l’art ne s’écoute pas, il se vit. Parfois, il suffit d’un endroit. D’un souffle, d’une lumière, d’une note. Pour que la vie redevienne cinéma.

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