
30 Mai Tarragona, la glorieuse
Si Tarragone est surtout connue pour son illustre passé romain, la ville du deuxième millénaire, médiévale, chrétienne, industrielle, marine et étudiante, sait changer de visage à l’envi pour mieux séduire le visiteur. Belle, vraiment !
Pour commencer, et pour bien prendre la mesure de l’étrange continuité entre Tarraco et Tarragona, offrez-vous donc une immersion dans la ville romane et surtout gothique ! Bien sûr, les bâtisseurs médiévaux ont largement utilisé les fabuleux remparts romains, se contentant souvent de les compléter et de leur adjoindre quelques tours comme la tour d’Arandes, la tour des Monges (des moniales) ou celle de Tintoré. La structure de la ville, notamment le réseau serré des rues du centre ancien proclame son origine médiévale, et notamment sur le Pla de la Seu, l’esplanade qui s’ouvre devant la cathédrale, entourée de belles maisons seigneuriales de style gothique, comme le presbytère et la très belle maison Balcells.
Traversée des époques
Cette dernière est un hôtel particulier de toute beauté construit autour d’un patio central à arcades abritant écuries et dépendances, doté d’une galerie voûtée à l’étage qui longe une belle salle d’apparat. Pour bien comprendre Tarragone, il faut buller sur les terrasses des cafés, s’offrir un petit resto, déambuler tranquillement et se laisser prendre par le rythme et l’ambiance, le joyeux mélange des langues et les très nombreux magasins. L’ancien hôtel de ville, lui aussi orné d’un patio, les voûtes à arcades de la rue de la Merceria, tout transporte le visiteur à l’époque gothique, qui est aussi l’apogée de la thalassocratie catalane en Méditerranée, quand les comtes-rois possédaient des comptoirs sur toutes ses rives. étape incontournable, la cathédrale, terminée en 1331, dont la beauté illustre cette aura de gloire, repose sur un plan basilical à trois nefs, couronné d’un vaste transept. La façade principale surprend par son énorme rosace tandis que le portail monumental est orné d’une vierge à l’enfant entourée des prophètes catholiques et des apôtres de Jésus. Le maître-autel présente des scènes historiées qui retracent la vie de la Sainte patronne de la ville, Santa Tecla.
Le retable majeur, magnifique, est fait d’albâtre polychrome couvert de pâte de verre. C’est un véritable chef d’œuvre signé Pere Joan qui, lui aussi, s’inspire de la vie de la sainte. Sarcophages, peintures murales, baptistère monumental, le mobilier gothique est à la hauteur de son écrin et mérite votre visite. Si vous levez la tête, vous ne manquerez pas de noter que le clocher octogonal, dont la base est romane, se prend pour un beffroi nordiste et accueille une quinzaine de grandes cloches. Il faut au moins cette armée céleste pour porter haut et loin, la grandeur de la cathédrale et la parole de Rome ! Le cloître adjacent rassemble, par bouquets de trois, ses arcs en plein cintre soutenus par de fines colonnes, fermés d’une grille de fer forgé. Le lexique iconographique des chapiteaux est foisonnant, et les chapelles latérales joliment ornementées. N’oublions pas que Tarragone est le siège de l’archevêché et à ce titre, la ville la plus élevée de Catalogne dans la hiérarchie catholique. Juste à côté du cloître s’ouvre le musée diocésain, installé dans l’ancienne salle capitulaire et l’ancien réfectoire. Les caissons du plafond de la salle du trésor sont de style mudéjar et représentent des thèmes héraldiques. Les collections du musée sont remarquables qu’il s’agisse de statuaire, de retables ou de pièces d’orfèvrerie. Après cette plongée dans l’ensemble cathédral, votre flânerie vous révèlera quelques jolies chapelles qui attirent le regard, comme Santa Tecla la Vella, et rappellent la lutte des tout premiers chrétiens sur ces terres. Vous n’en avez toutefois pas fini avec le gothique, cap sur l’église Sant Llorenç, restée dans son jus ou encore sur l’ancien hôpital de Santa Tecla un magnifique spécimen de gothique civil où a élu domicile le Consell Comarcal, sans doute séduit par la belle solennité des lieux. La décoration florale des chapiteaux qui portent les voûtes en plein cintre est d’une grande finesse. Derrière la cathédrale, quelques ruelles particulièrement étroites, la trace sur le chambranle de certaines portes de fentes ressemblant à des mezzuzahs sont tout ce qui reste d’un quartier juif (call) dont la littérature et les actes civils ont gardé la trace et qui comportait mikvé et synagogue. Enfin, il vous reste à voir ce qu’il reste du château du Paborde. Aujourd’hui remplacé par le Palais de l’Archevêché, il en subsiste quelques éléments de défense plantés sur la muraille romaine, pas plus.
La ville s’est, bien sûr, largement développée en dehors des remparts, avec de grandes maisons aux façades sobres et au style méditerranéen, tandis que de larges rambles, de vastes carrefours et des places arborées sont venus aérer son tissu urbain. En parallèle, des quartiers industriels très étendus et des installations portuaires de grande importance ont vu le jour, puisque Tarragone est un des plus grands ports de la Péninsule Ibérique : son centre pétrochimique est un centre économique névralgique pour l’Espagne. Bien sûr, ces changements ont favorisé un brassage culturel avec beaucoup d’immigration intérieure au tournant du XXe siècle, engendrant l’existence d’une classe ouvrière nombreuse et, par conséquent, l’avènement d’une caste de marchands, armateurs et industriels aisés. Ils ont donné naissance, parallèlement à des commandes publiques, à un patrimoine moderniste original. Ainsi Josep Maria Jujol a-t-il dessiné le Théâtre Metropol, la Maison Ximenis, la loge de l’église des Carmes déchaux. Le rectorat de l’Université Rovira i Virgili, la maison Ripoll, la maison Bofarull, celle du Docteur Aleu, le grand bâtiment du marché municipal, c’est-à-dire quasiment toute la Rambla Nova, sont dues à un local de l’étape, Josep Maria Pujol de Barberà. Seule exception dans cet ensemble, la maison de Ramon Salas, imaginée par l’intéressé dont on note qu’il est également à l’origine de l’énorme balustrade qui ceint le Balcon de la Méditerranée au-dessus de la plage du Miracle, un haut lieu de la vie de la ville, adoré des étudiants. Même les papes du mouvement moderniste ont imprimé leur marque : le voisin de Reus, le grand Gaudí, chrétien fervent, a conçu un autel et un ostensoir pour la cathédrale, tandis que son éternel concurrent, Lluís Domènech i Montaner, créait le Mausolée de Jaume Ier le Conquérant. Au bout, tout au bout de la Rambla, domine le bleu de la mer. Tout Tarragonais qui se respecte, tout visiteur en quête d’intégration – ou simplement assez superstitieux pour négocier avec le destin un avenir plus clément – se doit d’aller toucher la balustrade du balcon de la Méditerranée. Cette étrange tradition a même un nom « tocar ferro » et elle concerne aussi les fêtards qui s’y rendent après la tournée des bars. Enfin, un petit détour s’impose par le Serrallo, le quartier des pêcheurs, en particulier à l’heure de la criée. Vous avez rendez-vous avec la Méditerranée éternelle : les maisons colorées pourraient être grecques ou tunisiennes et les palmiers accentuent cet accent exotique. Partout les restaurants proposent des plats savoureux de poissons accompagnés de sauce romesco, des riz parfumés, des plateaux de fruits de mer et des desserts aux saveurs d’amandes. Pas de doute, vous êtes à Tarragone la plurielle qui ne perd jamais Rome de vue mais a su replacer sa foi dans la force de l’avenir.
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