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Fort Lagarde, vigie de pierre

30 Mai Fort Lagarde, vigie de pierre

Il faut arriver à Prats-de-Mollo-la-Preste en venant du sud, c’est-à-dire traverser le pont en direction du col d’Ares et se retourner pour prendre la mesure de Fort Lagarde, dont le village, encore ceint de remparts, semble être l’énorme pendentif, partiellement relié à lui par un étrange chemin couvert. 

Pendant des siècles, les seigneurs locaux, les puissants comtes de Besalú, maîtres par ailleurs de tout le Vallespir, ont eu à Prats leur résidence dans le château de Parella, situé sur la butte jumelle. Plus rien n’en subsiste sinon une tour totalement en ruines. Aucune menace précise, autre que d’éventuels conflits entre seigneurs, ne pesait alors sur ce qui était un village intérieur catalan, comme son nom l’indique, puisqu’il est indissociable de Molló, de l’autre côté du col. Il faut attendre la naissance, aussi douloureuse qu’inattendue, du Royaume de Majorque, pour qu’une première frontière se dessine, due au partage du Royaume de Jaume Ier le Conquérant entre ses deux fils, Pierre III, héritier du Principat, de Valence et des terres ultramarines, et Jaume II de Majorque, héritier, lui, des îles Baléares, du Roussillon, de la Cerdagne et de la seigneurie de Montpellier. Pendant 73 ans, de 1276 à 1349, Prats-de-Mollo sera, pour la première fois de son histoire, une ville frontalière administrativement séparée du Ripollès voisin. En 1307, le pouvoir majorquin érige sur l’emplacement de l’actuelle forteresse une tour de guet baptisée Torre de la Guardia. Elle correspond par signaux avec la tour du Mir (1530 m), qui veille encore sur le territoire de Prats, celles de Cabrenys, près de Serralongue et celle de Cos, au-dessus de Corsavy. Aujourd’hui, elle trône encore au cœur de Fort Lagarde, au sein du donjon. Après la chute de l’éphémère Royaume de Majorque, trois siècles s’écoulent paisiblement, mais le Traité des Pyrénées vient rebattre les cartes. Le col d’Ares devient un passage à surveiller, et surtout, la population du Haut-Vallespir doit être matée d’urgence car la Guerre des Angelets fait rage. Pour ces hommes qui pratiquent une très efficace guérilla, pas question, dans un pays de salaisons, de payer la gabelle, ni d’accepter le joug français. Il faudra plus de dix ans à la plus puissante armée de l’époque pour en venir à bout. Sébastien Vauban, le grand ingénieur royal, est alors dépêché pour construire une forteresse inexpugnable, tirant parti du relief local.

Un outil culturel

Un vaste chantier se déroule de 1663 à 1672. Au passage, les Français démolissent le château de Parella. On ne sait jamais… D’autant que la guerre s’est déplacée et que l’Espagne et la France sont désormais adversaires dans la Guerre de Hollande. La construction du donjon est donc accélérée, bien que le conflit se termine avant la pose de la dernière pierre. Fort Lagarde, nommé d’après la tour de guet originale, vient renforcer la protection du Vallespir, en complément du Fort de Bellegarde au Perthus et de Fort-les-Bains à Amélie.

Il servira réellement en 1793, avant que le général Ricardos, à la tête des troupes espagnoles ne soit défait, au bout d’un an de combat tout de même, par le Général Dugommier, scellant définitivement le destin français de la vallée et au-delà, de tout le Roussillon. Malgré tout, Prats restera longtemps une ville de garnison, chargée de surveiller étroitement le passage frontalier. Rappelons simplement le proverbe né au XVIIe et bien connu de tous les écoliers français : « Ville attaquée par Vauban, ville prise. Ville fortifiée par Vauban, ville imprenable ». L’ingénieur royal, chargé de fortifier la ligne des Pyrénées, a laissé ici un monument puissant. La forteresse, énorme, est construite en schiste, granit et brique, et sa seule vue est conçue pour impressionner et effrayer l’agresseur. Cet ensemble colossal, conçu pour résister à une puissante artillerie, est caractéristique des forteresses de Vauban, avec une structure bastionnée en étoile qui rappelle bien sûr ses autres réalisations comme Mont-Louis ou Collioure. Vauban n’a pas jeté aux orties les leçons des bâtisseurs médiévaux : l’adaptation attentive au relief permet de se servir de la moindre aspérité naturelle pour renforcer les défenses. Malgré ses dimensions plus que respectables, Fort Lagarde est cependant inachevé par rapport à ses plans initiaux, qui étaient beaucoup plus ambitieux. Dans la France de Louis XIV perpétuellement en belligérance pendant plusieurs décennies, les moyens ont parfois fini par manquer, ou se sont concentrés sur des points plus névralgiques. La capacité du monument est moitié moindre que celle prévue initialement, ce qui donne une idée assez précise de la démesure du projet originel. Sur le plan défensif, le fort n’est pas parfait et présente certaines faiblesses. Si son front méridional est bien protégé par deux lignes de défense, et si le nord et l’est sont naturellement défendus par des ravins abrupts, l’ouest, plus exposé, a bénéficié d’un soin particulier traduit par un système de défense complexe. Il comporte même une belle place d’armes. Depuis les remparts de la ville, qui courent aujourd’hui derrière l’église baroque Sainte Juste et Sainte Ruffine, un chemin couvert, conçu pour protéger les soldats des tirs de tous ordres, mène à une sorte de grande tour carrée située à mi-chemin. C’est là que commence le souterrain qui traverse la montagne jusqu’à l’intérieur de l’enceinte du château. 142 marches abruptes y sont particulièrement utiles en cas d’attaque.

Il faut dire que 350 mètres à peine, séparent le fort de la ville. On imagine sans peine les mulets chargés qui empruntaient le sentier de montagne, encore visible à partir du cimetière, pour monter les matériaux. Longtemps laissé à l’abandon, le fort a été classé monument historique en 1925 et fort heureusement racheté en 1970 par la ville de Prats-de-Mollo qui l’a soigneusement restauré pour en faire un atout touristique de premier plan. Au-delà de son intérêt historique et architectural, le fort est devenu un lieu d’expositions, de concerts, de performances théâtrales et même de joutes équestres qui attirent un public de plus en plus nombreux. La simple déambulation sur les remparts du fort offre une vue panoramique sur le cirque des montagnes, la beauté du plan médiéval de la ville avec ses ruelles pavées et pentues et ses deux portes monumentales, la majesté de l’église et tout en bas, le cours du Tech.

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