
03 Oct Le Baix Empordà, ici, le soleil a rendez-vous avec la lune
Le Baix Empordà cultive en douceur l’art des opposés, dans un « mar i munt » qui voit se côtoyer plaines fertiles et criques déchiquetées, plages abritées et forêts méditerranéennes, passé industriel et noyaux médiévaux. Ici, la beauté est de mise. Toujours !
Deux vents animent la chevelure bleutée des oliviers et les corolles des pins maritimes : la froide tramontane, qui semble avoir fait de l’obstacle naturel des Pyrénées une piste de danse et le garbí, le vent du sud, chaud et souvent porteur de nuages. Une vraie douche écossaise qui trempe les tempéraments et courbe les silhouettes des passants autant que celles des arbres. En écho à ce ballet aérien, deux massifs montagneux se disputent le ciel limpide du littoral. Le premier, le Montgrí, calcaire, pelé, coiffé d’une forteresse carrée, évoque tour à tour un évêque gisant ou une poitrine féminine, selon l’angle. Le second, la Serra de Cadiretes-Ardenya, boisée et striée de sources fraîches, offre aux espadrilles les plus vaillantes de fabuleux sentiers de randonnée. La récompense ne manque jamais à l’appel et la mer finit par apparaître dans son immensité à ceux qui l’ont méritée. Partout, des reliefs escarpés couverts de pinèdes dessinent la transition entre plaine et Méditerranée. Les montagnes de Begur en sont l’exemple parfait, traversées par une route sinueuse qui mène à des panoramas inoubliables. Plus au nord, les Gavarres dominent l’horizon, massives et majestueuses. Ici, la terre n’hésite pas à s’élancer vers le large, formant des caps audacieux, perchés de jardins suspendus ou de phares. Lorsqu’elle atteint la mer, elle y sème des îlots riches d’histoire : les îles Medes, face au Montgrí, classées parc naturel terrestre et marin, haut lieu de plongée et de découverte, ou encore les îles Formigues, au large de Palamós.
Entre mer et montagne
Voilà qui rajoute encore au charme puissant de cette côte découpée, bordée de falaises et creusée de criques, qui n’usurpe pas – sur le tronçon qui nous occupe – son nom de Costa Brava, sa poitrine minérale crânement offerte aux assauts des vents et de la mer. Ce cadre naturel exceptionnel accueille des plages insoupçonnées, comme la plage vierge de Palamós, parfois bordées d’anciennes cabanes de pêcheurs ou de petits hameaux discrets. Deux grands fleuves ont élu domicile sur cette terre qu’ils façonnent de leurs alluvions et de leurs embouchures, au nord le Fluvià, encore porteur des derniers « aiguamolls » et de leur cortège d’oiseaux de toutes sortes, au sud, le puissant Ter, véritable seigneur des eaux douces. Ce dernier traverse des forêts alluviales magnifiques à explorer avant de se jeter dans la mer, en dessinant une plage sauvage et préservée, ponctuée de plantes vivaces. Ici, le lever de lune peut croiser le coucher de soleil, offrant aux photographes une scène céleste inoubliable, à deux pas de la charmante station balnéaire de l’Estartit. De ces dualités multiples naissent des paysages qui sont autant de chocs esthétiques pour le visiteur, et rendent toute préférence difficile. Côté terre, des collines renflées aux formes douces se couvrent de pommiers, d’oliviers, de suberaies, de vignes, de champs de blé ou de colza : un damier coloré à la géométrie incertaine. Le ballet incessant des tracteurs sur les routes et dans les campagnes témoigne de la vitalité d’un monde paysan moderne et travailleur, mais il n’est pas rare de croiser un troupeau de moutons ou de surprendre des cueilleurs, qui donnent à l’ensemble une mesure d’éternité sereine. Sur la mer, le spectacle continue : les voiliers élégants et les yachts croisent les barques traditionnelles et les chalutiers, formant une chorégraphie contrastée entre plaisance et pêche, deux mondes à part entière mais intimement liés à cette côte vivante. Palamós ou Sant Feliu de Guíxols sont en effet des ports de pêche actifs dont les criées sont courtisées par les chefs et les gastronomes. Il n’y a pas si longtemps, Begur, perle sauvage de la Costa Brava et ses criques aux eaux limpides faisaient rayonner, au prix de la vie de plongeurs intrépides, leur corail rouge et précieux à travers toute la Méditerranée, incarnant à la fois la richesse naturelle, le courage des hommes et l’âme maritime d’un village profondément ancré dans les traditions de la mer. À la Bisbal, les ateliers des céramistes sont encore actifs et les anciennes usines dressent fièrement vers le ciel leurs cheminées de brique. Artisanaux ou industriels, ces créateurs témoignent de l’importance des arts du feu dans le monde catalan et du génie propre au territoire, décliné en carrelages ornementaux codifiés et en vaisselles vernissées somptueuses et colorées, qui savent à merveille allier tradition et sens des tendances. Mais cette côte, si prisée aujourd’hui, a longtemps été vulnérable : les razzias barbaresques, avec leurs prises d’otages destinés à la vente comme esclaves, hantaient l’horizon. Pour s’en protéger, les habitants avaient tracé des chemins de ronde, encore visibles aujourd’hui, véritables sentiers panoramiques en surplomb. Ils constituent aujourd’hui le moyen le plus simple pour s’immerger dans la beauté de la côte. Ils vous raconteront, au fil d’histoires d’exil et de contrebande, de pirates et de vaisseaux de guerre, sept bons siècles de vie humaine locale. À flanc de crique, ces chemins sinueux longent les plages, s’élèvent au-dessus des falaises ou redescendent vers de petites anses dissimulées. Chaque pas devient alors une invitation au voyage, où la mer, toujours présente, murmure ses récits à ceux qui prennent le temps d’écouter. Et si l’aventure ne vous tente pas, il vous suffit de suivre le GR92, balisé et sécurisé, pour que l’émerveillement soit à portée de regard.
Villages blancs et héritages d’ailleurs
Quant aux villages côtiers, ils partagent un charme commun : le blanc éclatant des façades et ce bleu intense, presque violet : « le blauet de l’Empordà » qui farde volets et portes, en écho aux bleus profonds d’autres horizons méditerranéens. Certains, comme la légendaire Calella de Palafrugell, fief incontesté des « havaneres » et des chansons de taverne, ont su préserver leur architecture traditionnelle Là, le rez-de-chaussée – ou plutôt le ras-de-plage – sert d’abri aux grandes barques, hissées à la force des bras sur les galets roulés par la danse immémoriale des eaux. D’autres, comme la charmante crique de S’Agaró, conservent le souvenir d’une époque dorée, où les stars hollywoodiennes venaient séjourner à l’hôtel mythique de La Gavina, les yeux tournés vers la Méditerranée. Ces paysages, que l’on ne saurait qualifier d’urbains tant on les perçoit enracinés et autochtones, sont l’un des philtres les plus puissants de ce bout d’Empordà que l’immense Josep Pla – édité dans la Pléiade – appelait l’Empordanet : le petit Empordà. Des vues dignes des plus belles cartes postales, des sujets rêvés pour les peintres, mais qui dégagent toujours humilité et discrétion. Et pourtant, ici et là, les petites villes s’ornent de demeures plus ostentatoires, plus exubérantes, plus audacieuses. On les doit aux Indians, ces fils du pays chassés par la grande catastrophe du phylloxéra, qui détruisit la quasi-totalité du vignoble et les contraignit à prendre le chemin des colonies, notamment vers Cuba. Quelques-uns revinrent fortune faite, avec dans leurs bagages des souvenirs architecturaux exotiques : dessins de portiques, colonnades immaculées, fresques colorées… qu’ils appliquèrent à la construction de leurs demeures. Ces maisons s’intègrent aujourd’hui naturellement au tissu urbain de Begur, de Palafrugell ou de Sant Feliu de Guíxols, dans un mouvement d’embellissement qui rappelle la démarche moderniste. Un style assez fréquent sur ce territoire industriel, qui a vu naître, au tournant du XXe siècle, une bourgeoisie très aisée, ouverte sur l’Europe. Terre de passage et de mémoire maritime, le Baix Empordà a toujours pratiqué l’échange culturel, su capter les influences, apprivoiser les contraintes de ses paysages pour en extraire une identité singulière. Une identité si attachante qu’elle donne des rêves d’adoption.
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