VOTRE MAGAZINE N° 138 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 138 EST EN KIOSQUE

Rencontre avec Jordi Ribas

03 Oct Rencontre avec Jordi Ribas

Qui mieux qu’un chef pour parler du Baix Empordà, véritable pays de cocagne de la gastronomie et des produits frais « kilomètre zéro » ? Cap Catalogne a rencontré pour vous Jordi Ribas, maître-queux au restaurant El Sol Blanc de Pals, un mas typique installé au cœur du triangle d’or (Pals / Peratallada / Monells).

Cap Catalogne : Bonjour. Évidemment, la question s’impose, étant donné le sujet de notre dossier ! Êtes-vous fils de cette terre de l’Empordanet ?
Jordi Ribas : Non, je suis né dans un petit village des environs de Barcelone, mais je suis arrivé ici à l’âge de 17 ans à peine. Donc, je pense que ça vaut adoption (rires). En fait, comme tout ce que j’ai toujours désiré dans la vie, c’est cuisiner, j’ai fait l’école hôtelière de Barcelone. J’y avais comme camarade de promotion une fille originaire d’ici dont les parents tenaient un camping avec restaurant, comme il y en avait beaucoup à l’époque. Quand nous avons dû effectuer un stage dans le cadre de notre formation, nous y avons travaillé tous les deux. C’était un restaurant classique, avec les bases de la cuisine française, comme il était d’usage à l’époque : tournedos, sauces… Mais j’y ai beaucoup appris, non seulement sur le métier et le rapport à la clientèle, mais aussi sur ce pays magnifique, ses plages, ses paysages. C’était formidable pour un jeune périurbain comme moi !

CC : Et vous y êtes resté ?
JR : J’ai pas mal voyagé avant de me fixer. J’ai eu un premier restaurant à Begur, l’une des merveilles de la côte. C’est là que j’ai commencé à développer ma propre cuisine, résolument catalane, avec du « sofregit » (oignons et tomates fondus dans la poêle) et le recours fréquent au « mar i muntanya » (poisson et viande réunis dans un même plat). J’avais compris que j’avais quelque chose de personnel à exprimer.

CC : Cette année, la Catalogne est distinguée au niveau culinaire comme région gastronomique européenne. Pensez-vous que c’est l’une des meilleures cuisines du monde ?
JR : Disons que peu de cuisines reposent sur une telle variété de produits, tous accessibles en kilomètre zéro. C’est aussi une cuisine qui synthétise l’ensemble de la Méditerranée. En ce sens, oui, c’est une excellente cuisine, sans doute l’une des plus anciennes et des plus remarquables d’Europe.

CC : Vous êtes installé dans un lieu magique, un mas somptueux, typiquement empourdanais. Est-ce un bien de famille ?
JR : Pas du tout. Nous le louons, mais nous y avons réalisé de très nombreux travaux afin d’améliorer l’accueil et l’accessibilité. C’est un lieu idéalement situé, avec la proximité de Pals, qui demeure l’un des joyaux patrimoniaux les plus fréquentés de la côte. Toutefois, comme les propriétaires ont refusé de nous vendre les lieux, nous venons d’acquérir un mas à nous, doté d’un laboratoire culinaire dernier cri, avec l’idée d’en faire à la fois un centre de production et de formation. Nous souhaitons aussi ralentir un peu le rythme… La restauration est un métier par essence épuisant.

CC : Si je vous demande de me décrire l’Empordanet en trois mots, quels seraient-ils ?
JR : D’abord, la mer sous toutes ses formes : criques, falaises, plages de sable fin, rizières… Ensuite, la culture paysanne, omniprésente ici, dans les champs, les vergers, les zones d’élevage de volailles et de porcs, et qui marque profondément la mentalité locale. Enfin, bien sûr, les produits eux-mêmes, qui sont incroyables. On trouve ici tous les fruits imaginables, tous les légumes, des viandes d’éleveurs d’une qualité exceptionnelle et de merveilleux produits de la mer, sans oublier le haut niveau d’exigence de nos vignobles. L’Empordanet est un jardin enchanté, un monde en soi au sein de l’Empordà.

CC : Vous avez fait du riz votre plat de référence, avec une variété de cuissons impressionnante qui permet toujours à chaque grain d’absorber la quintessence de la sauce et des produits qui l’accompagnent, toujours très catalans dans l’esprit, comme les escargots ou le poulpe. Ce riz, vient-il toujours de Pals ou vous autorisez-vous parfois des escapades du côté du Delta de l’Ebre, par exemple ?
JR : Non, ici vous dégustez exclusivement du riz de Pals. La production est réduite, mais les conditions de culture sont vraiment artisanales et garantes d’une qualité supérieure. Très franchement, je n’ai pas trouvé mieux. On ne peut pas se revendiquer défenseur d’une cuisine de terroir et passer à côté d’un de ses trésors. Je suis donc un ambassadeur résolu du riz de Pals.

CC : Justement, comment faites-vous pour le poisson et les crustacés ? Vous vous rendez à la criée de Palamós ?
JR : Non, j’ai quelques poissonniers triés sur le volet qui, eux, fréquentent les criées de Roses, de Palamós et de Blanes et me rapportent ce qu’ils trouvent de mieux. Je ne suis pas un fanatique des tailles, par exemple : que les gambas soient grandes ou petites, j’en tirerai toujours le meilleur. Si la nature offre de la variété, ce n’est pas pour que nous la trahissions en la standardisant, mais au contraire pour que nous nous adaptions à elle. Mes poissonniers ont toute liberté pour privilégier le goût et la qualité. On me livre tous les après-midi et la fraîcheur reste donc impeccable. Je tiens à ce que ce soit un marqueur de mon restaurant, mais aussi de ce que peut offrir l’Empordanet. J’ai conscience de m’inscrire dans un cycle qui remonte au fond des siècles en travaillant la pêche du jour. Tout a changé : les instruments, les bateaux… Mais pas les poissons et crustacés qui arrivent dans l’assiette des clients !

CC : Et ces clients, d’où viennent-ils ?
JR : Principalement des personnes qui possèdent ici une résidence secondaire et qui sont donc tombées amoureuses de nos paysages, de nos chemins, de nos plages. Elles viennent souvent de Barcelone ou de Catalogne Nord. Ensuite, il y a les visiteurs de passage, avec généralement les mêmes provenances. En été, nous accueillons aussi des Anglais, des Allemands et même des Américains.

CC : Vous resterez ici ? Vous avez définitivement jeté l’ancre ?
JR : J’ai travaillé dans les vieux quartiers de Girona et de Barcelone, mais franchement, la qualité de vie que nous avons ici est sans commune mesure avec le reste. Ici, on peut se déplacer à vélo dans les chemins creux, décider d’un plongeon juste pour se rafraîchir, faire des promenades merveilleuses… En fait, ici, l’extraordinaire, c’est le quotidien. Cette ruralité tranquille, doublée de la proximité de villes dotées de tous les équipements, est exceptionnelle. Et c’est chez moi !

CC : Le cœur de saison est pourtant très couru.
JR : Oui, il y a une trentaine de jours très tendus pour tout le monde, entre le 25 juillet et le 25 août, même si, cette année, les chiffres se sont un peu tassés.

CC : Comment vous battez-vous pour maintenir votre activité florissante ?
JR : La qualité, la qualité et encore la qualité. Les gens ne pardonnent pas une baisse de qualité, c’est une constante. De toute façon, nous allons vivre de grands bouleversements, car nous ne voyons pas arriver la relève générationnelle espérée. Beaucoup de restaurateurs et de commerçants vont devoir cesser leur activité et partir à la retraite sans avoir pu vendre. Néanmoins, je crois que dans le Baix Empordà, cela sera largement amorti par l’attractivité de la comarca. Nous avons connu de très beaux jours et d’autres sont encore devant nous, j’en suis convaincu. Vous savez, je suis né optimiste, sans quoi je n’aurais rien entrepris de ce que j’ai réussi !

Pas de commentaire

Poster un commentaire