01 Juin Le Montsec, grandeur et isolement
Au nord-est de Lleida, à la limite de l’Aragon, la Serra del Montsec forme une large barre rocheuse entre les Pyrénées, au nord, et la plaine, au sud. Ces paysages arides, entre plateaux et canyons, sont abreuvés par de grands barrages. Voyage dans un paysage hors du commun, fait d’immensité et d’isolement.
C’est une impressionnante barre rocheuse qui emplit toute la ligne d’horizon, d’Est en Ouest, cachant sans vergogne les Pyrénées qui se tiennent derrière, au nord. Le Montsec est une montagne dans les collines, qui, comme son nom l’indique, n’a pas grand-chose en commun avec l’image verdoyante de la montagne. Ici, la garrigue s’accroche avec peine à la roche pentue, et les pins se dressent, comme par miracle, sur le moindre replat. Nous nous sommes arrêtés au bord de la route en venant de Balaguer, à hauteur du Port d’Ager, un col traversé d’une voie romaine. Vu d’ici, le Montsec impressionne d’autant plus par sa démesure qu’il reste lointain. Entre lui et nous, un immense plateau incliné, couvert de forêt et de prés verts, invite à dévaler vers un large fond de vallée. Le paysage tient de la vallée de l’Agly, dans des proportions démultipliées. Dans cet univers à part, on imagine sans peine l’ambiance dramatique d’une soirée d’orage ou la sensation d’étouffement d’une mi-journée d’été. « La première fois que l’on voit le Montsec, c’est une vision très marquante » nous avait prévenus le directeur scientifique du Centre d’Observation de l’Univers, Salvador Ribas. Le centre, justement, se devine d’ici, lové au pied de la montagne, en amont du petit village d’Ager. Ses deux coupoles blanches brillent dans la garrigue.
La route des gorges
Nous amorçons donc la descente et c’est une belle route qui nous mène jusqu’à Ager. Construit dans les tons de la roche, ce petit village a conservé, comme ses voisins, des ruelles médiévales avec de beaux porches. Malgré sa petite taille, plusieurs structures de sports de pleine nature coexistent, ainsi que des restaurants qui profitent de l’attractivité de la région, due au tourisme vert et au planétarium. Dans la rue de la Font, les patrons de la Casa Xalets nous accueillent avec le sourire et des grillades arrosées d’huile d’olive d’Algerri, particulièrement savoureuses. Nous allons aborder ce tour du Montsec par une route des barrages, des gorges et des cours d’eau, tant la région est prolifique en la matière : on ne compte pas moins de six barrages, c’est dire ! Nous quittons Ager vers l’Est, puis nous obliquons vers le nord, en direction des gorges de Terradets. Très vite, les prés semés de céréales font place à un défilé de gorges impressionnant. Ces roches gigantesques qui encadrent la vallée étroite laissent à peine à la route, à la voie de chemin de fer touristique, ainsi qu’à la rivière, une place suffisante pour se faufiler. A la sortie du défilé, nous avons quitté la « comarca » de la Noguera et nous voilà dans celle de Pallars Jussà. Car le Montsec fait fi des limites administratives et s’étire sur les deux régions.
Un ermitage posté au-dessus d’un barrage
Le barrage de Cellers, que nous longeons, est une grande tache bleue dans un univers de roche. Dans cet environnement hostile, les hommes ont de tout temps bâti, sans s’arrêter sur les « détails » que peuvent représenter des éperons rocheux inaccessibles.En témoigne cet incroyable ermitage posé sur un rocher, au beau milieu d’une montagne à première vue impossible à gravir, bien visible de la route de Llimiana. Mais,en termes de démesure, l’impensable se situe de l’autre côté du Montsec, à la frontière de l’Aragon. Cap sur les gorges de Mont-Rebei. Pour ce faire nous traversons tout le Montsec d’Ares, par une petite route qui grimpe dans les collines et redescend sur Pont de Montanyana. Une piste nous fait passer, cahin-caha, sous d’énormes rochers. A nos pieds, plusieurs dizaines de mètres plus bas, l’eau se fait un chemin dans une large vallée, dans un environnement d’alluvions et de bois d’eau. Un canyon se forme maintenant, dans une terre presque rouge. La traversée des gorges à pied est une aventure à elle seule, ralliant, côté sud, l’ermitage de la Mare de Déu de la Pertusa (lire notre article sur le tourisme vert). Mais nous suivons une petite route qui grimpe jusqu’aux hauteurs du plateau du Montsec, via Alsamora. Avec sa tour et ses quelques maisons resserrées sur la colline, ce village a des airs de bout du monde. Au fil de la montée, les champs de luzerne et les amandiers laissent place aux forêts de chênes et aux plantations de sapins. Une fois en altitude, un panorama splendide se dégage sur la chaîne pyrénéenne, au nord, avec une vue imprenable sur le toit des Pyrénées, le pic d’Aneto, qui culmine à 3 404 mètres. Depuis les hauteurs plus modestes du Montsec (nous nous trouvons à 1500 mètres), on aperçoit l’observatoire astronomique utilisé par les scientifiques. Situé en bord de plateau, il capte des images précieuses du ciel qui sont ensuite traitées du côté de Barcelone.
Une nuit au monastère
Le Montsec se découvre aussi par ses petits chemins qui s’enfoncent dans des vallées étroites et mènent à d’improbables villages typiques, à l’image de l’incontournable Alos de Balaguer, perché sur un éperon rocheux, avec ses fontaines. La région regorge aussi d’ermitages et de chapelles posés dans des sites exceptionnels, propices à la méditation… Un calme et une beauté du paysage que viennent aussi chercher les touristes qui dorment chez les frères maristes de Santa Maria de les Avellanes… Un hôtel moderne a été réalisé dans la continuité du monastère. On se croirait dans un établissement touristique classique, si ce n’étaient la bible proposée comme livre de chevet et l’improbable traversée du cloître pour se rendre au petit-déjeuner !
Ancienne frontière entre les mondes musulman et chrétien
Dans le Montsec, les tours de guet et châteaux aussi, sont nombreux. Ils témoignent d’une époque où le massif servait de frontière entre le monde musulman (Lleida et Ager notamment) et le monde chrétien (au nord de la Conca de Tremp et en direction des Pyrénées). Impossible de quitter la région en snobant les châteaux d’Os de Balaguer, du XIe siècle, qui accueille un musée des cloches, et de Montsonís, datant des XVe-XVIe siècles, avec son tout petit village remarquablement restauré, avec cette pierre locale ocre si chaleureuse. Dans le château, on organise des visites théâtralisées et autres dîners médiévaux. A deux pas de là, on goûte une cuisine très catalane au Celler de l’Arnau. Mais, surtout, avant de quitter le Montsec, arrêtez-vous à Balaguer, « la » ville de la région, également capitale de la comarca de la Noguera. Surprenante de prime abord, avec ses deux rives qui se font face, aux architectures opposées, l’une avec ses maisons anciennes colorées, l’autre avec ses grands immeubles du XXe siècle. On l’aura compris, c’est sur la rive ancienne, dominée par une colline plantée d’une imposante église et de larges remparts, que bat le véritable cœur de Balaguer. Dans ces vieux quartiers qui semblent en travaux perpétuels, des ruelles médiévales cachent de belles maisons de maîtres, aux larges porches et des échoppes comme on en trouvait partout dans les années 60. Petites épiceries, bazars proposant des objets hétéroclites ou réparateurs de cycles à l’ancienne… Balaguer héberge aussi un musée d’archéologie et un centre d’interprétation de l’or du Segre, relatant toute l’histoire et la magie de l’orpaillage local. Ainsi va le Montsec. Fier de ses nombreux héritages historiques, et authentique.
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