03 Oct LLEIDA : TOUJOURS UN TEMPS D’AVANCE
A eux seuls, ils dessinent le nom de Lleida : d’abord le fleuve, le Segre, élargi, assagi et majestueux. Et surtout, sur sa butte abrupte, l’ancienne cathédrale, La Seu Vella.
Une capitale
Délimitée par ces deux bornes hautement symboliques qui la définissent aux yeux du monde, la ville a prospéré au fil des siècles jusqu’à devenir, outre celle du Segrià, la très dynamique capitale de l’ouest de la Catalogne. Magnifique et performante. C’est aussi la tête de pont d’un territoire contrasté, des plaines du sud aux contreforts des Pyrénées. Un véritable moteur économique, culturel et industriel.
La Seu : emblématique et sublime
C’est à la Seu que vous devez votre toute première visite. Bien sûr, vous pouvez grimper à partir de la rue Sant Martí ou opter pour la voiture mais il y a plus simple et plus spectaculaire. A partir de la place Sant Joan, la place centrale de Lleida, un ascenseur vous emporte, histoire de vous donner un avant-goût de la vue qui vous attend là-haut. L’ensemble monumental arbore fièrement ses strates mémorielles, autant de cicatrices et de sutures qui disent l’histoire de ce territoire, ligne de fracture entre Maures et Chrétiens et, toujours, haut lieu de la résistance catalane.
Mémoires en dialogue
Ici, ancienne cathédrale, fortifications militaires et château du roi se bousculent, selon toute vraisemblance sur l’ancien emplacement d’une mosquée et d’une casbah ! Ne ratez pas les fresques gothiques, le cloître magnifique et les deux donjons, et si vous avez du souffle, gravissez les marches du clocher pour accéder aux cloches du XVe siècle, d’authentiques œuvres d’art. La vue est sublime, avec en arrière-plan la barrière des Pyrénées, impressionnante. Cette merveille fut successivement une prison puis une garnison, jusqu’en 1948. Pourtant, elle respire la sérénité.
La Paeria
Dans la vieille ville, en contrebas, là où les venelles de l’ancien quartier juif enlacent de vieux bâtiments gothiques, vous attend la Paeria, autrement dit la mairie de Lleida depuis la charte accordée par le roi Ramon Berenguer IV, en 1150. Un siècle plus tard, en 1264, le roi Jaume 1er accordait à son tour à la cité ses privilèges de marché. Mélange détonant de roman civil et de néoclassique, le bâtiment abrite une chapelle et une prison destinée aux condamnés à mort, la Morra. La Paeria abrite aussi une copie originale du premier code civil occidental, rédigé en catalan, Els Usatges. A Lleida, on est fier des apports de la Catalogne au monde.
Ville ouverte
Préparez-vous à parcourir des rues animées et parfois bondées, qui témoignent d’un vaste afflux de travailleurs agricoles et d’étudiants venus d’ailleurs. Lleida est une terre d’accueil. Ce bain de foule est la seule façon d’admirer un patrimoine foisonnant ! Jetez un coup d’œil à la « nouvelle cathédrale », baroque, presque totalement détruite en 1938 pendant la guerre civile. Juste en face, l’ancien hôpital Sainte Marie (XVe) ouvre sur un joli patio central sa galerie à ogives, à laquelle mène un bel escalier de pierre. Cap sur l’église Saint Llorenç, romane puis gothique, avec ses quatre magnifiques retables, puis vers l’église Saint Martin (XIVe) devenue successivement université et prison, avant d’accueillir aujourd’hui des concerts.
Un patrimoine multiple
Ce patrimoine vous enchantera par sa diversité. Et les vieilles pierres n’ont pas dit leur dernier mot ! Ici les pèlerins de Saint jacques de Compostelle s’arrêtaient dans une petite chapelle (XIe) dédiée à la Vierge des Neiges et surnommée Peu del Romeu (pied du Pèlerin). Modeste, le bâtiment fut élevé par les chrétiens en pleine Reconquête, en humble témoignage de leur résistance et de leur foi. Le contraste n’en est que plus fort avec l’Académie Mariale, une splendeur néoclassique, revêtue de marbre importé de Grèce et ornée de 30 m de fresques dédiées à la vie de la Vierge. Depuis 1871, c’est un des monuments phares de la ville.
Capitale de l’art de vivre
Et pourtant, Lleida n’a rien de compassé. Ce n’est pas un musée à ciel ouvert mais une ville qui déborde d’énergie. Si elle est ancrée dans un passé glorieux, elle a su prendre l’avenir à bras-le-corps et ne pas rater la révolution industrielle. Le Modernisme, dans une version très spécifique et très reconnaissable, y a laissé des fleurons, comme le théâtre – l’ancien abattoir – ou l’ancienne cave viticole. Une bonne dizaine de maisons de maître sont signées Francesc de Paula Morera i Gatell, un grand architecte local, et permettent de mesurer la prospérité et la force de création de la ville au début du siècle dernier, lorsqu’elle parvint à s’extraire de son destin agricole pour devenir à la fois une capitale de l’art de vivre et des loisirs de plein air et une cité industrielle.
Verte, décidément
Car Lleida, malgré son rude climat continental, possède deux ceintures vertes : celle des maraîchages et des vergers qui ont fait sa richesse au point de parfois damer le pion au Maresme, mais aussi quatre parcs somptueux où il fait bon flâner et pique-niquer. Le Parc del Riu, avec son casino, construit sur la rive extérieure du fleuve, offre une vue magnifique sur la ville et notamment sur la Seu. Les Camps Elisis, les Champs Elysées locaux rappellent irrésistiblement le Parc Montsouris avec leur petit kiosque à musique noucentiste, leur Aquarium moderniste, leur chalet alpin et leurs plans d’eau. Un lieu charmant, un peu suranné, bourré de charme.
Au cœur de la nature
La zone humide de La Mitjana est une rareté locale. Imaginez 90 hectares de beauté le long du fleuve, un peuple d’ormes, de bouleaux, de peupliers, de tamaris, de joncs qui veille sur des armées de canards cols verts, de poules d’eau, de mouettes, de martinets blancs, de martins-pêcheurs. Sangliers et renards y musardent à l’occasion… Et ce n’est pas fini, il vous reste à voir le jardin botanique, avec ses 500 espèces de végétaux ! Lleida est une vraie capitale verte qui courtise la nature. Et elle a tout fait pour le devenir et le rester.
Une histoire d’eau
D’abord, en maîtrisant l’eau. Ici, c’est cardinal. Cette nécessité a dopé l’inventivité des Lleidatans et les a conduits à construire dès le bas Moyen-Age un remarquable réseau de canaux qui en font la zone la plus irriguée de la péninsule ibérique. Lorsque la production d’électricité a pointé son nez, le canal industriel du Serós a traversé la ville et familiarisé la population avec le ronron de ses turbines. Lleida est par ailleurs alimentée en eau potable par le canal de la Pinyana, le plus ancien de Catalogne encore en fonctionnement. Inutile de le préciser, le Musée de l’Eau est un incontournable de Lleida qui enchantera grands et petits.
Ville d’arts
Evidemment, on n’est pas capitale sans les artistes qui vont avec ce statut envié ! Lleida possède donc deux musées d’art, le Musée de Lleida, qui présente l’histoire de la cité, les collections archéologiques, le trésor de la cathédrale, et différentes pièces sacrées provenant de l’ancien musée diocésain, et le Musée Jaume Morera, du nom du collectionneur et légataire des œuvres, dédié aux beaux-arts, qui possède quelques très beaux dépôts du Prado. Au fil des rues, vous noterez la présence de nombreuses galeries d’art. Pour l’ultra-contemporain, le Centre d’art de la Panera est un véritable creuset où s’expriment les toutes dernières tendances ! Et l’architecture ultra-design de la Llotja, le palais des congrès, mérite le détour. Lleida adore être en avance d’un temps.
Et d’une tradition
Pourtant, Lleida, c’est aussi la tradition. Pour la Saint Michel, entre le 28 septembre et le 2 octobre, la ville se pavoise de sang et or et décline l’âme catalane en multiples tableaux : sardanes, havaneres, ball de bastons, et l’incroyable grande nuit du bestiaire, présidée par le dragon local. Une belle occasion de sentir vibrer la ville dans toutes ses composantes et de faire la fête jusqu’au bout de la nuit avec les quelque vingt mille personnes annoncées…
Noble et belle
Vous l’aurez compris, Lleida mérite qu’on s’y attarde. Ses larges places minérales, ses terrasses où traîne, sous les doigts des gitans du cru, le son inimitable de la rumba catalane sous sa forme la plus noble, le garotín, son magnifique patrimoine et son site naturel qui lui tresse comme une couronne d’eau et de verdure, la silhouette de la Seu, enfin, hiératique, tout concourt à donner à la capitale du Segrià une ineffable majesté.
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